Ma plume en toute liberté et scandalisée

Bien que retraitée militaire depuis 1990, je n’en continue pas moins à suivre l’évolution des armées notamment à travers les différentes déclarations de Madame Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense.

Je mentionnerai, entre autres, la déclaration faite par celle-ci le 18 janvier 2003, au Cannet des Maures, au journal Var-matin où elle a déclaré :

« (…) le ministre de la Défense que je suis veillera et sur la continuité budgétaire et sur le bon emploi de chaque euro consacré à notre défense, à travers notamment les actions de modernisation du ministère. »

J’ai pris également connaissance de son interview dans « Valeurs actuelles » du 31 octobre 2003, d’où mon article « Ma plume en toute liberté et en colère : bientôt le 40ème anniversaire » [lire ici].

Enfin, j’ai découvert dans le rapport de la commission de révision du Statut Général des Militaires, avec une profonde stupeur mêlée de colère, la proposition d’inscrire dans la loi, les dispositions relatives aux articles 5,6 et 7 du 31 octobre 1975…ce qui les rendrait permanentes et quasi invisibles, ainsi que celle destinée à améliorer le sort des officiers généraux en 1ère et 2ème section.

Très succinctement, je reprendrai ce dernier point au départ d’une compilation d’écrits, commentés par mes soins, et qui contredisent quelque peu les engagements de la ministre de la Défense sur la bonne utilisation des deniers publics.

Mais tout d’abord, je me dois de rappeler brièvement ma carrière pour faciliter la compréhension de ce qui va suivre.

Ma carrière et des connaissances toujours d’actualité

Après de nombreuses affectations très variées dans les activités dont plusieurs au sein de cabinets ministériels, j’ai terminé les neufs dernières années de ma vie professionnelle à l’Ilot Saint Germain : EMAT, puis dans deux postes au Cabinet des ministres suivants : Charles Hernu, Paul Quilès, André Giraud et Jean-Pierre Chevènement.

La dernière affectation, surtout durant un peu plus de cinq ans à la sous-direction des bureaux du cabinet (S.D.B.C.) en qualité de chef du secrétariat du S.D.B.C., m’aura beaucoup appris sur le travail effectué dans les coulisses du pouvoir, pas toujours averti de certaines manoeuvres.

En effet, je m’y suis fait expliquer le mécanisme d’attribution des articles 5 et 7 pour les colonels et assimilés par l’ex-bureau « K » et notifiés seulement par la direction des personnels adéquate, ce que beaucoup d’officiers ignoraient.

Enfin, j’ai aidé à la préparation du dossier pour le Conseil des Ministres dont la partie « B », à l’époque, concernait les mesures individuelles, c’est-à-dire la situation des officiers généraux dont beaucoup « bénéficiaient » du sigle TC : à titre conditionnel…par charrettes entières, tous les quinze jours !

Autant dire, et même si les structures du ministère et celles du cabinet ont changé, que la lecture du rapport de Denoix de Saint Marc sur la réforme du SGM m’a apporté la confirmation suivante : mes connaissances d’antan sont toujours d’actualité hélas ! Quant au « piston » qui fait marcher la machine, je ne subodore pas sa disparition dans un proche avenir.

La deuxième Section des officiers généraux

S’agissant des officiers généraux de la 2ème Section, je pourrais mettre en exergue : A tous seigneurs….mais je préfère parler des plus anciens dans les grades les plus élevés, respectant ainsi une coutume hiérarchique dont les conséquences furent des plus fâcheuses pour notre Pays, comme cela va être démontré.

« Toute société a besoin d’une aristocratie, et surtout une République, mais il est vrai que celle dont s’est dotée la nôtre, avec sa haute administration, commence à ressembler à la noblesse de l’Ancien Régime : trop de privilèges et pas assez de services. »
Roger Fauroux (1)

Du rapport précité sur la refonte du SGM, mon attention a été plus particulièrement attirée par l’article 4.3.2 Adapter les règles relatives à la deuxième section. Je cite :

« Le cadre des officiers généraux a été constitué en deux sections en 1839 et cette disposition s’est perpétuée depuis lors. Les officiers généraux de la deuxième section sont maintenus à la disposition du ministre qui peut, en fonction des nécessités de l’encadrement, les employer, notamment en temps de guerre (article 72 du statut général).
Ils sont soumis au devoir de réserve et aux règles statutaires relatives à la liberté d’expression.
Ils perçoivent une solde de réserve de même montant qu’une pension de retraite.

La commission a examiné l’opportunité de limiter la période passée en deuxième section et de placer automatiquement les officiers généraux en position de retraite à partir de 68 ans, qui est actuellement la limite d’âge la plus élevée de la fonction publique ; elle n’a finalement pas retenu cette solution. Elle recommande en revanche de compléter l’article 72 du statut afin de clarifier les modalités d’emploi et la situation statutaire des généraux de la deuxième section rappelés à l’activité. »

C’est donc la loi du 4 août 1839, signée par le roi Louis-Philippe, qui a créé la 2ème section en son article 2. Cette précision grotesque – 1839 – a comblé un vide dans mes connaissances et permis de retrouver le texte de la loi dans les archives municipales de Limoges [lire ici].

Je resterai toujours confondue devant l’indécence avouée de la haute hiérarchie, parce qu’après cette date, il y a eu 1870, 14/18, 39/45, l’Indochine, l’AFN, etc. et tout est resté en l’état.

Une anecdote

Terre Magazine de mars 2003 nous apprenait la mort du doyen des officiers généraux en 2ème section, à l’âge de 107 ans. Il était entré en service en 1914 et placé en 2ème section le 27/11/1951. L’attribution du quart de place était venu couronner une carrière « R » (Rang).

Une précision

Les généraux de corps d’armée et d’armée (ou assimilés) n’existant pas puisque ce ne sont que des généraux divisionnaires ayant rang et appellation de…, que chacun se rassure, des échelons fonctionnels sont venus combler ce vide hiérarchique.

En effet, plusieurs catégories de nominations existent, programmées dès le grade de colonel (ou grade correspondant) : carrière complète, conditionnelle (de 6 mois à 4 ans et 6 mois..) et même les quarts de place, nommés la veille de leur mise à la retraite, ce qui leur octroie la carte de réduction SNCF à vie, d’où cette expression.

Des petits plus…et un gros plus

Parmi les petits plus :

La vanité sur la carte de visite avec l’appellation CR (cadre de réserve) ce qui peut éblouir les néophytes ; L’invitation systématique aux pots après les défilés officiels chez le général du coin ; La dispense de faire établir une demande de laissez-passer à l’entrée du ministère notamment, etc.

Pour le gros plus j’aborderai curieusement ce sujet par le devoir de réserve rappelé, auquel tous les officiers généraux restent soumis, y compris ceux en 2ème section : situation statutaire unique dans toute la fonction publique.

En résumé :

1ère section : les officiers généraux en activité, ceux qui ont un commandement ou une direction auxquels s’ajoutent ceux en service détaché, hors cadres ou au chômage technique militaire : non activité (congé spécial, congé du personnel navigant…) c’est-à-dire sans responsabilité en attendant leur passage en 2ème section. 2ème section : ceux maintenus à la disposition du gouvernement, jusqu’à la fin de leurs jours, sauf mise à la retraite pour raisons disciplinaires : cas du général Aussaresses par exemple, nommé ¼ de place en 1975.

J’en arrive maintenant au fait en citant tout d’abord un extrait de « J’allais vous dire…journal apocryphe d’un président » Editions Lattés, septembre 1993, pages 244 à 246.

« 6 juillet 1988

Le ministre de la défense se décide enfin à réprimander les officiers généraux qui, au mépris du devoir de réserve auquel ils sont astreints, ont appelé à voter pour Jacques Chirac entre les deux tours de l’élection présidentielle. (…)

Ils prônent l’autorité, la hiérarchie et la discipline. Qu’ils commencent par s’y plier !
Qu’ont-ils à craindre ? Pas grand-chose. La mise à la retraite d’office n’aurait pour eux que des conséquences bénignes : la perte d’une voiture ou d’un secrétariat ; ils devraient payer leurs billets de train comme tout le monde. »

Explication sur le gros plus ignoré du ou des rédacteurs de l’ouvrage précité.

Les officiers généraux en 2ème section, toutes étoiles confondues, continuent à bénéficier du dégrèvement de 10% dans leur déclaration sur le revenu des personnes physiques (IRPP) comme s’ils étaient en activité et ce, contrairement aux autres retraités dont l’abattement de 10% est plafonné par foyer fiscal (3268 euros en 2003).

Ils sont peut être assis entre deux chaises, mais somme toute, cette situation est fiscalement très confortable.

Voilà pourquoi les étoiles sont tant désirées au point qu’il était même prévu de créer le grade de lieutenant-général…

Pour la petite histoire

Pour la petite histoire, le passage tiré du livre cité supra concerne un manifeste signé par 45 officiers généraux et publié dans le Figaro du 3 mai 1988. Parmi les signataires : trois anciens chefs d’état-major des armées, les généraux Fourquet, Maurin et Méry (article de libération du 5 mai 1988 : lire ici) (article de libération du 9 et 10 juillet 1988 : lire ici).
Ces derniers ont été rappelés à l’ordre par Jean-Pierre Chevènement, Ministre de la défense [lire ici] et non sanctionnés, le changement de Gouvernement leur a été très bénéfique.

Pour la grande histoire

Pour la grande histoire, je citerai quelques extraits d’un livre intitulé « les leçons d’une défaite. Ce que le Pays doit savoir » de Pierre TAITTINGER – député de Paris, membre de la commission de l’armée (S.A. imprimerie charentaise. Angoulême 1941).

Sans idée polémique, ce livret de 81 pages, genre carnet de route, retrace dans un style alerte la cause de nos déboires de 1940. Les quelques citations choisies suffiront pour l’heure au départ de faits connus et vérifiables, notamment au Journal officiel de la République Française.

Pour mémoire, je rappellerai que par JO du 27 juin 1939, le général Maurice Gamelin prend le commandement en chef des forces terrestres, en qualité de plus ancien dans le grade le plus élevé, date de prise de rang le 9 février 1931 comme général d’armée suivant les nouvelles appellations (décret du 6 juin 1939)

« L’indiscutable déficience du Commandement » (pages 14 et 15)

« Une anecdote m’a été contée par une haute personnalité militaire, concernant le Général Gamelin :
Après l’autre guerre on s’aperçut en 1920, que l’on avait un trop grand nombre de généraux pour l’armée française ; on s’efforça de les reclasser selon leurs aptitudes, ou de les mettre à la retraite par anticipation. Une commission fut désignée à cet effet pour procéder aux discréminations nécessaires ; le Maréchal Foch en faisait partie.
Lorsque vint le tour du général Gamelin, et que les membres de la commission examinèrent son dossier, une majorité se dessina nettement en sa faveur, pour qu’un commandement continuât à lui être confié.
Seul, ou presque seul, Foch fut d’un avis contraire, et quand on lui demanda ce qu’on devait faire de Gamelin, il répondit avec la forme d’esprit qui lui était particulière : « Qu’on en fasse un Préfet ! »
Nous regrettons bien vivement que l’on n’ait pas suivi l’avis de Foch, peut-être de grands désastres nous auraient-ils été évités ! »

Pages 37 et 38

« Il ressort aussi des observations que nous avons été amenés à faire au cours des dernières opérations qui se sont déroulées, que le Commandement Français a été en partie au-dessous de sa tâche. La défaillance des chefs a engendré la défaillance des troupes ; on ne peut faire à celles-ci mal commandées, et parfois même abandonnées le reproche de n’avoir pas accompli tout leur devoir.
L’exemple venait de haut, de très haut.
Le général Gamelin ayant été admis après le désastre des Flandres à faire valoir ses droits à la retraite, le général Garchery, commandant l’armée d’Alsace, par solidarité, donna en pleine guerre sa démission. Le général Garchery étant de l’équipe Gamelin estimait être dans la même situation qu’un Ministre suivant dans sa retraite son Président du Conseil démissionnaire !
Imaginez pour un instant un soldat de 2ème classe, voulant donner au général Gamelin un témoignage de sympathie, et donnant sa démission de réserviste pour retourner dans ses foyers !!!
Le plus curieux c’est que la démission du général Garchery a été acceptée… »

Le général Gamelin est « démissionné » le 1er mai 1940 et il est remplacé par le général Maxime Weygand à la même date, rappelé à l’activité, car retraité depuis 1935.

Quid de la 2ème Section aujourd’hui ?

Alors que nos armées ont déjà un effectif surdimensionné d’officiers généraux, (tous grades et appellations confondus) en 1ère section – lesquels passeront automatiquement en 2ème section : + ou – 600 en activité de service (2) sans compter tous ceux en attente d’être admis en 2ème section, en « permission » de longue durée… Quid de cette dernière et de son utilité… si ce n’est le côté impôts ?

Au lieu de modifier les textes, il conviendrait plutôt de se renseigner sur le nombre d’officiers généraux rappelés à l’activité par l’autorité politique, c’est-à-dire le ministre.

Je pense que les dix doigts suffiront largement pour les compter.

De plus, il y a un manque à gagner pour l’Etat… Qu’en dit le « généralissime Bercy » ? Une question écrite serait la bienvenue, du genre :

« Nombre d’officiers généraux admis en 2ème section au 31 décembre 2003, répartis par étoiles dans les quatre armées et les quatre services communs, le nom des personnels rappelés à l’activité, la justification et les modalités de leur rappel, l’indication de la durée de ce rappel, ainsi que leur situation une fois rendus à la vie civile ? »

En conclusion

Une fois encore, confirmation est faite que certains hauts responsables confondent défense du Pays avec défense de leur compte en banque, armées avec armée du salut, distribution des soupes de nuit avec l’amélioration du contenu de leur gamelle.

Quant à l’augmentation des emplois hors échelle A , B et G dans la fonction publique en général, entre 1988 et 2001 (3), qui sert d’argumentation en faveur du sommet de la hiérarchie – par ailleurs responsable des carrières courtes sans droit à pension de retraite – mon père qui était un homme de bon sens aurait ainsi résumé le problème :

« A force de marcher avec un boiteux on finit par boiter… mais ce n’est nullement une obligation ».

(1) Ancien élève de Normale Sup et de l’ENA, ancien PDG de St GOBAIN, ancien ministre de l’Industrie (1988 – 1991) – auteur du livre « Notre Etat – le livre vérité de la fonction publique » aux éditions R.Laffont écrit en collaboration avec Bernard Spitz du Conseil d’Etat et vingt sept personnalités diverses.

(2) Question écrite du député Michel Voisin et la réponse ministérielle au JORF du 1er avril 2002. Se reporter également à l’article « Trop de fonctionnaires ? » paru dans la TSO (3ème Trimestre 2002)

(3) De 1988 à 2001 : + 118,6% d’emplois hors échelle A (-2,2% pour les emplois militaires) et + 77,3% d’emplois hors échelle B à G (-10,9% pour les emplois militaires).

Lire également :
Lettre adressée par un officier supérieur à Madame Annie ROMERIO, en réponse à son article « Ma plume en toute liberté et scandalisée »

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