Lettre adressée par un officier supérieur à Madame Annie ROMERIO, en réponse à son article « Ma plume en toute liberté et scandalisée »

Madame,

Vous vous livrez dans votre article « Ma plume en toute liberté et scandalisée » à une analyse totalement contre-productive vis-à-vis des buts poursuivis, je crois, par l’association dont vous êtes membre. : L’association de défense des droits des militaires est une association ayant pour vocation de défendre l’intérêt du « soldat » au sens le plus large et le plus noble du terme au sein de la société et n’est pas une association corporatiste catégorielle visant uniquement à promouvoir une forme de lutte des classes au sein de l’institution ?

Ce n’est pas en cassant du général que vous améliorerez la situation du caporal, bien au contraire. Ne nous trompons pas de combat, ce qui serait le comble pour des militaires…

Vous partez de faits réels mais vous les présentez de façon à les dénaturer, et le dénigrement qui en résulte devient préjudiciable à l’ensemble de l’institution. Prenons, si vous le voulez bien, deux seuls exemples :

– Les articles 5, 6 et 7 de la loi 75-1000 existent bel et bien, leurs dispositions transitoires ont été reconduites jusqu’en 2008. Elles ne sont pas pérennisées dans le projet de loi portant statut général des militaires. Les articles 5 et 6 offrent à certains officiers et sous certaines conditions, la possibilité de partir avec une pension de retraite calculée sur l’échelon du grade supérieur. L’article 7 permet aux colonels d’être placés en congé spécial. Ils font partie d’une « boîte à outils » permettant d’inciter les militaires, dans leur ensemble, au départ en respectant les contraintes qui sont les nôtres de gestion pyramidale et de jeunesse des effectifs. Il est nécessaire de les replacer dans un ensemble motivé (pécules, 70-2 maintenant ouverte à tous les militaires, possibilités de cumuls pour les sous-officiers dans la fonction publique, droit à la reconversion….) et dangereux de les isoler comme étant des dispositions exorbitantes du droit commun réservée à une élite. Par exemple, le congé spécial des colonels, qui pour les non-initiés peut sembler être une faveur, mais se révèle en fait si contraignant en matière de cumul de tout type de rémunération, que seul entre 5 et 7 colonels par an en font la demande, le plus souvent pour des raisons familiales graves.

– Nos généraux : vaste fantasme bien éloigné de sa maigre réalité quand on la compare au reste de la fonction publique…
Certains points que vous soulignez méritent en effet débat, mais débat raisonné et dépassionné : La limite d’âge en 2ème section à 68 ans ? La sélection de nos élites ? Le nombre de nos généraux ? Le niveau de rémunération de nos élites ? La nomination à titre conditionnel ? Dans ce dernier cas, le débat est tranché avec un abandon simple et définitif proposé par le futur SGM.
Nous revenons là à un débat qui ne peut se contenter de slogans du type « moins au général, plus au caporal » qui me rappelle le caractère simpliste du « beurre pas des canons » ou du « des hôpitaux pas des casernes » de l’antimilitarisme le plus crétin.
Le vrai débat est celui de la place de l’élite militaire au sein de l’élite civile, sauf à militer pour les principes de démocratie hiérarchique de l’armée de Mao en 1949 qui avait supprimé les insignes de grades (pour les remplacer rapidement par le nombre de poches sur l’uniforme…). Pourquoi nos élites militaires seraient-elles moins bien traitées que les élites civiles. Pourquoi, à formation, responsabilités et charges de travail égales, vaudrait-il mieux choisir l’ENA que Saint-Cyr pour nos enfants ??? Un rapide calcul sur les références statutaires et les grilles indiciaires permet de situer à 635 000 euros le différentiel de rémunération (hors primes…) sur une carrière professionnelle entière entre un énarque moyen servant dans la fonction publique et le CEMAT. Pourtant le premier progresse à l’ancienneté et le second aura été sur-sélectionné toute sa carrière. Est-ce normal ? Ne vaut-il pas mieux nous comparer, catégorie par catégorie, à l’extérieur plutôt que d’instaurer une lutte des classes internes ? La carte SNCF, l’abattement de frais professionnels, l’invitation au cocktail après prise d’armes et toutes ces menues rémunérations sociales que vous citez sont autant de prétextes à franche rigolade à Bercy qui préfère voir attribuer ces joujoux à nos élites plutôt qu’une position sociale, statutaire, indiciaire et indemnitaire cette fois, équivalente à celle dont bénéficie ses propres élites ….
Vous reprenez également une idée reçue en stigmatisant le nombre de nos officiers généraux. L’armée de Napoléon était simple et pyramidale: un général, 4 colonels, 16 lieutenant-colonels…. Les temps ont changé depuis. Sauf à confier tout ce qui n’est pas purement opérationnel à des civils, et donc accepter de nous en désintéresser au détriment de nos intérêts, nous avons besoin de maîtriser avec des effectifs militaires des fonctions de haut niveau (relations internationales, finances, GRH, informatique…). Sous contraintes de grilles indiciaires de la fonction publique le seul moyen de rémunérer ces élites et de leur accorder un positionnement social cohérent avec leur compétence et leurs responsabilités est de leur conférer un grade. C’est un vrai débat mais qui mérite mieux qu’une approche simpliste.

Madame, vous nous, soldats professionnels, faites mal et du mal.

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