Intervention de M. Debré


M. Michel Debré

, ministre d’Etat chargé de la défense nationale

Mesdames, messieurs les députés, après le code sur le service national que vous avez adopté l’an dernier, vous êtes saisis d’un texte dont l’importance juridique et politique n’est pas moindre : le statut général de la fonction militaire.

Les remerciements que j’adresserai au début de mon propos à votre commission de la défense nationale ne sont pas de pure forme. Ce statut, en effet, a été l’objet de très longues discussions. Comme il m’est arrivé de le dire devant la commission, il n’a pas fallu moins de deux ans pour achever l’étude administrative et ce qu’on appelle aujourd’hui la concertation.

L’étude administrative : elle a été longue car il a fallu discuter des dispositions de ce projet avec la fonction publique et avec le ministère de l’économie et des finances. La concertation : conseil supérieur de la fonction militaire, conseil supérieur de la guerre, conseil supérieur de l’air, conseil supérieur de la marine – et même ce qui, je crois, n’avait jamais eu lieu, réunion commune des trois conseils supérieurs – enfin, naturellement, conseil supérieur de défense et Conseil d’Etat.

Mais, au-delà de cette mise au point administrative, au-delà de cette concertation d’une durée et d’une importance exceptionnelle, la discussion avec la commission, notamment avec son président et son rapporteur, a été approfondie, quelle que soit la brièveté de certains délais. Si, sur quelques points, dont un sur lequel j’insisterai tout à l’heure, nous nous trouvons en contradiction, il n’en est pas moins vrai que l’appui de la commission, ses observations nombreuses, le travail de son rapporteur, les remarques de son président et de certains de ses membres ont, tant pour M. le secrétaire d’Etat que pour moi-même, constitué des éléments de valeur. Je souhaite donc que ce texte, une fois adopté, soit considéré par tous comme l’heureux fruit de la collaboration entre Gouvernement et Parlement.

Après MM. Le Theule et Sanguinetti, que pourrais-je dire de ce texte ?

Je formulerai essentiellement trois remarques. La première porte sur la valeur juridique de cet acte ; la deuxième, sur sa valeur politique ; enfin, répondant d’ailleurs au voeu des deux orateurs que vous venez d’entendre, j’insisterai sur la place de ce statut dans l’ensemble d’une politique, non seulement militaire mais surtout de défense nationale.

En premier lieu, l’acte qui vous est soumis a une valeur juridique certaine.

Comme vous avez pu le constater, ne serait-ce qu’en lisant les articles, il existe, à l’heure actuelle une foule de textes pour déterminer les règles qui s’appliquent aux différents corps militaires ; il faut être particulièrement averti pour pouvoir expliquer à un membre d’un corps déterminé ou, simplement, à un militaire, quel est l’ensemble des dispositions qui régissent sa carrière, la discipline, ses droits et ses devoirs.

Il était bon de mettre de l’ordre dans cet ensemble de dispositions. Vous avez d’ailleurs considéré qu’il y a presque autant de dispositions à caractère réglementaire que de dispositions à caractère législatif. Un monument juridique de clarté était indispensable. D’ailleurs, si vous vous reportez aux discussions des dernières années, vous constaterez qu’à bien des reprises il a été demandé. Le voici.

En second lieu – et le point est important, je l’ai souligné fréquemment – il existe, à l’intérieur de la société hiérarchique qu’est la société militaire, des dispositions de discipline qui n’ont pas de base légale.

Jusqu’à présent, la jurisprudence, se fondant sur les traditions, sur le caractère particulier de la société militaire, validait ces dispositions, ces instructions, le cas échéant ces sanctions.

Il est clair qu’en raison de l’évolution de la jurisprudence et de ses exigences juridiques plus précises, il est indispensable – et si on ne le faisait pas, il y aurait de mauvaises surprises dans le cours des prochaines années – d’asseoir l’autorité, la discipline et le pouvoir hiérarchique sur une base légale.

Enfin, point important qui a fait couler sinon beaucoup d’encre, en tout cas des flots de paroles, il fallait établir clairement et j’oserai dire d’un commun accord les limites entre le domaine législatif et le domaine réglementaire.

Vous allez examiner tout à l’heure un article 3 qui a été adopté par la commission. Mais derrière cet article 3, que de problèmes ! Plus exactement il n’y en a qu’un, qui est le suivant : le statut de la fonction militaire est-il entièrement du domaine législatif ou est-il, au contraire, partagé entre le domaine législatif et le domaine réglementaire ?

La Constitution répond très clairement. Elle stipule en effet qu’appartiennent au domaine législatif, d’une part, les sujétions imposées aux personnes pour des raisons de défense nationale et, d’autre part, les garanties pour la fonction tant civile que militaire.

Et si je me reporte à ce qui est fait pour la fonction civile, le domaine législatif est un domaine relativement restreint, le domaine réglementaire étant au contraire extrêmement large. Je rappelle en effet que, pour la totalité des corps civils, les dispositions portant statut général se contentent de règles qui fixent des principes, des dispositions importantes, renvoyant pour tout le reste à des statuts particuliers et même permettant, par une disposition que vous avez votée en 1984, d’établir des dérogations, notamment pour tous les corps issus de l’école nationale d’administration, et pour l’ensemble des corps enseignants. Pour quelques autres dérogations qui peuvent être apportées par le décret à des dispositions législatives en raison des caractères propres de telle ou telle fonction ou de tel ou tel corps, fallait-il, pour la fonction militaire, interpréter si strictement la règle constitutionnelle ?

Nous ne l’avons pas voulu et, par rapport à la fonction civile, nous avons établi juridiquement deux différences qui sont capitales.

Premièrement, nous avons considéré qu’un certain nombre de dispositions touchant, par exemple, les limites d’âge ou la hiérarchie qui peuvent être et qui pourraient être considérées à la rigueur par les autorités juridiques comme appartenant au domaine réglementaire, peuvent, d’un commun accord, figurer dans la loi.

Pourquoi avons-nous estimé que nous pouvions le faire ? Pour une raison très particulière et importante sur laquelle je reviendrai, c’est que la fonction militaire n’ayant pas le droit syndical, ni le droit d’appartenir à un groupement professionnel, on pouvait donner à la notion de garantie fondamentale du texte législatif un sens plus extensif qu’à la garantie fondamentale des fonctionnaires civils.

En même temps, pour ce qui concerne la faculté de dérogation, dont vous avez décidé en 1964 qu’elle pouvait s’étendre très largement à de nombreux et importants corps civils, nous avons admis – et c’est le texte de l’article 3 – qu’un certain nombre de dispositions pouvaient ne pas faire partie de la dérogation éventuelle par voie réglementaire.

En d’autres termes, allant probablement plus loin qu’une interprétation stricte de la Constitution, nous vous proposons une délimitation du domaine législatif et du domaine réglementaire qui, avant d’avoir en tout cas un appui juridique certain et éternel, représente entre le Gouvernement et le Parlement un accord solide ayant une valeur juridique autant que politique. Voilà le premier point.

Le texte qui vous est soumis est un acte juridique, il met de l’ordre dans un grand désordre de textes. Il donne une base légale à des règles qui, souvent, en manquaient. Enfin, il établit dans des conditions, à mon avis, d’une particulière générosité juridique la limite entre le domaine de la loi et celui du règlement pour ce qui concerne la fonction militaire. Mais, si ce texte n’avait qu’une valeur juridique et quelle que soit l’importance de ces débats sur la loi, et le règlement, et le goût, le cas échéant, que nous avons d’en parler, il n’y aurait pas lieu d’accorder un intérêt si considérable au texte qui vous est soumis. S’il vous est présenté comme un texte important, c’est que sa valeur politique, au meilleur sens du terme, me parait capitale. En effet, en 1972, ce texte rappelle, avec la solennité qui est celle, du moins je l’espère, d’un texte voté par le Parlement, les caractères fondamentaux de l’état militaire, avec ses conséquences, en même temps qu’un effort est fait pour moderniser un certain nombre de règles anciennes, compte tenu de l’évolution des moeurs.

Quels sont les caractères propres de la fonction militaire ? Il faut d’autant plus les rappeler que ce sont eux qui justifient les garanties, les compensations et, ce que je disais à l’instant, sur la délimitation plus généreuse que pour la fonction civile entre le domaine législatif et le domaine réglementaire.

Il faut bien voir que sans porter atteinte d’une manière ou de l’autre à ces caractères fondamentaux de la fonction militaire, un certain nombre de dispositions touchant les garanties, les compensations ou le caractère législatif des dispositions statutaires n’aurait plus sa place politique ni morale.

Quels sont ces caractères ? Ils sont définis, et pour l’essentiel, dans la neutralité politique, dans l’absence du droit aux groupements professionnels, enfin dans une disponibilité et dans un esprit de discipline qui est le propre d’une armée.

La neutralité politique est indispensable, et si elle est une conquête de la République il faut bien essayer de la préserver et de vouloir la préserver.

Tout à l’heure, votre président de la commission de la défense nationale, pensant peut-être à ses origines familiales, prétendait que nous étions tous marqués par le coup d’Etat du 2 décembre, me semble-t-il. Je ne le crois pas. Mais ce dont nous devons être marqués c’est par l’effort qui a été fait par la République pour mettre l’armée en dehors de la vie partisane.

C’est là un point capital. Effectivement, au cours du dix-neuvième siècle, à la suite de changement de régime, l’esprit partisan et même, le cas échéant, un certain esprit social, avait déterminé dans l’organisation ou l’orientation de l’armée des courants qui n’étaient pas de bons courants.

A travers bien des épreuves, l’armée, depuis maintenant un siècle, se tient en dehors de la vie partisane. Elle reçoit du fait de cette absence d’esprit partisan, de cette absence de liens avec la politique, un soutien de caractère national. Il faut préserver ce capital exceptionnel, c’est-à-dire bien marquer qu’il n’y a point à l’intérieur de l’armée de discussions politiques ni le droit pour les militaires à l’appartenance à un parti politique. Il faut naturellement éviter aussi à l’intérieur de l’armée toute discrimination en fonction des croyances ou des opinions. Sans doute une exception est-elle prévue, très limitée, très circonscrite puisque depuis une décision du Gouvernement provisoire présidé par le général de Gaulle, les militaires ont – à juste titre – le droit de se présenter aux élections. Le droit à la candidature, avec ses conséquences, constitue la seule exception.

Il faut affirmer d’une manière claire la neutralité politique de l’armée avec la volonté de bien marquer que sur ce point une tradition qui n’a guère plus d’un siècle doit continuer pour nous avec la même valeur. Il en est de même pour l’affaire des groupements professionnels.

Votre rapporteur, je le sais bien, m’interrogera tout à l’heure sur le contenu ou l’esprit de certains articles, notamment l’article 9. Nous nous expliquerons quant aux détails. Ce qui est essentiel, c’est que le syndicalisme n’entre point dans l’armée.

Les expériences que nous avons observées dans quelques armées étrangères sont, sans exception, nocives et néfastes. Une organisation professionnelle devient vite un sujet attirant pour une formation politique. Par ailleurs, appartenir à une association professionnelle ou à un syndicat c’est accepter des ordres et une hiérarchie qui ne sont ni les ordres de la hiérarchie militaire ni l’exécution de la discipline. Il faut éliminer non seulement le droit à la grève mais écarter l’appartenance à un groupement professionnel. C’est justement en fonction de cette règle fondamentale que nous pouvons, pour ce qui concerne les garanties statutaires, étendre le domaine de la loi plus qu’on ne le fait pour la fonction civile.

Enfin, je terminerai sur les caractéristiques qu’il convient de rappeler en disant que la disponibilité ainsi que le respect de la discipline sont les marques de la société militaire, de la fonction militaire.

C’est en considérant cette neutralité politique, cette absence de syndicalisme et d’organisation professionnelle, cette disponibilité et ce respect de la discipline qu’il faut regarder ou juger et les garanties et les compensations.

Les garanties, comme vous l’a expliqué votre rapporteur, sont essentiellement traditionnelles et, au fur et à mesure de la lecture des articles, nous pourrons les évoquer, ce soir et demain. Je me bornerai, dans cet exposé introductif, à citer certains des progrès réalisés, progrès que les uns trouvent excessifs, d’autres timorés et dont vous avez, me semble-il, jugé toute la valeur.

Depuis maintenant cent cinquante ans les officiers ont cette garantie, qui n’est pas uniquement verbale, de la propriété de leur grade. Le texte qui vous est soumis l’élargit à l’ensemble des sous-officiers. Voilà un exemple de garantie étendue, et de bonne qualité. De même, le conseil supérieur de la fonction militaire se voit donner le droit d’être consulté obligatoirement par le Gouvernement pour toute modification statutaire. Je vous rappelle que le conseil supérieur de la fonction militaire, dans un précèdent débat, figurait déjà à l’un des chapitres de ce statut que le Gouvernement vous avait demandé de voter il y a maintenant plus de deux ans, de façon que ce conseil soit en fonction pour discuter de ce projet de statut. C’est ce qui s’est passé et désormais les modifications importantes au statut, les décrets sur des statuts particuliers ou portant sur des dispositions majeures devront lui être soumises.

Ajoutez à cela des dispositions, qui ne sont pas minces, et en vertu desquelles toute sanction devra désormais offrir des garanties à l’intéressé.

Ajoutez aussi quelques dispositions complémentaires, comme celle en vertu de laquelle la radiation du tableau d’avancement n’est plus désormais une décision arbitraire mais, considérée comme une sanction, doit comporter des garanties. Vous voyez que dans ce statut, en raison de l’affirmation des caractères traditionnels de la fonction militaire, un effort est fait pour approfondir non seulement les garanties, mais aussi ce qu’on appelle d’un terme qui n’est pas très heureux mais qui dit bien ce que nous souhaitons dire les compensations.

Sur ce point, une première affirmation est exprimée qui était demandée depuis longtemps, notamment par la commission de la défense nationale et des forces armées : c’est le principe de la parité.

Je sais bien qu’il s’agit là d’une disposition dont le caractère peut sembler quelque peu oratoire, verbal. Il n’empêche que l’affirmation de ce principe était réclamée et l’expérience a montré que, grâce à une disposition fixant et imposant la parité avec d’autres fonctions, on peut assurer à la fonction militaire une amélioration de son sort plus facilement que si une telle disposition fait défaut.

Désormais, figurera dans ce statut l’affirmation que les traitements des militaires doivent pour l’essentiel suivre le sort des traitements de la fonction publique. Cette novation – j’y insiste – pourra sembler à certains limitée, dans la mesure où, depuis quelques années déjà, le Gouvernement s’efforçait en fait de respecter cette parité. Mais, si auparavant c’était un fait, maintenant ce sera un droit.

Figurent, en outre, dans le statut des dispositions relatives aux indemnités, aux avantages en nature et aux droits des familles, dispositions qui sont précisées autant qu’elles peuvent l’être dans le cadre d’un statut. Vous avez là un ensemble de compensations qui va même au-delà de la parité et dont nous reparlerons au cours de la discussion des articles.

Mais, en plus de l’acte politique qui consiste à marquer les caractères fondamentaux de la fonction militaire et, en conséquence, les garanties et les compensations qui s’y attachent, il vous est proposé – et le fait mérite d’être noté – d’opérer ce que j’appelle certaines modernisations. Celles-ci peuvent apparaître limitées ; il en est au moins une qui revêt une très grande importance.

Désormais, pour se marier, pour adhérer à une association qui n’a point un caractère professionnel, pour rédiger des articles ou des livres qui n’ont point trait à des questions politiques ou militaires, l’autorisation préalable est supprimée. Un certain nombre de dispositions subsistent, que nous aurons l’occasion d’évoquer. Mais le principe posé est celui d’une très grande libéralisation et du droit de la famille et des libertés individuelles, ces dernières étant limitées par ce que j’ai dit tout à l’heure au sujet des associations et pour ce qui concerne le droit d’expression, les questions politiques et militaires.

A cette modernisation dans le sens d’une libéralisation que je crois tout à fait normale au temps où nous vivons s’ajoute uns disposition dont l’importance doit être soulignée parce qu’elle réalise, au bénéfice de la fonction militaire, un progrès, en même temps, me semble-t-il, qu’elle est la marque d’un effort particulier en ce qui concerne notamment, les jeunes officiers. Je veux parler du droit au pécule. Il s’agit de permettre à des officiers encore jeunes ayant acquis la possibilité d’une pension, mais à jouissance différée, de quitter l’armée avant l’âge requis en disposant d’un pécule, lequel est calculé sur la moyenne de la solde au cours de leurs dernières années.

Pourquoi cette disposition, exceptionnelle, et dont on ne trouve en aucune façon le parallèle pour la fonction civile ? Nos forces armées, en ces temps fort heureux de paix que nous vivons – et que nous espérons durables pour nous et nos enfants – devraient, si l’on n’y prenait garde, voir diminuer les effectifs à l’entrée des écoles militaires : les besoins en officiers d’un certain grade sont naturellement moindres. Or, il nous a semblé que pour de nombreuses raisons, liées notamment aux structures des armées, une réduction du nombre des jeunes hommes entrant dans des écoles militaires n’était pas souhaitable ; qu’il était, au contraire, utile de disposer d’un très grand nombre de jeunes. Au moment où, l’âge venant, le nombre des fonctions diminue, la pyramide s’amincit, il fallait prévoir, pour un certain nombre, la possibilité de faire une seconde carrière.

Ce n’est là, en aucune façon, une innovation dans l’armée. Si nous nous reportons cent ou même cinquante ans en arrière nous avons l’exemple d’un très grand nombre de jeunes provinciaux qui, vers la quarantaine, revenaient dans leur province natale après avoir consacré un certain temps au service de l’armée.

Actuellement, dans des armes d’une qualité technique particulière, nombre de jeunes officiers, après avoir passé quelque temps sous l’uniforme, optent pour une carrière civile où ils brillent en raison même de leurs qualités techniques et scientifiques.

Mais il fallait, à bien des égards, offrir cette possibilité de choisir une autre carrière dans des conditions financières satisfaisantes à un nombre naturellement limité de militaires qui, après avoir passé une quinzaine d’années sous l’uniforme, n’ont plus le désir de continuer ou ne peuvent plus accéder à un grade plus élevé.

A cet égard, la disposition résumée dans l’article consacré au pécule constitue une novation que je crois essentielle pour maintenir à un niveau satisfaisant le nombre des jeunes candidats aux écoles militaires. C’est là aussi l’un des aspects politiques, et non des moindres, de ce projet de statut.

Pour rester dans le domaine politique, j’arrive maintenant au seul vrai différend qui m’oppose à la commission de la défense nationale.

Le Gouvernement, après avoir recueilli tous les avis et pratiqué la plus large concertation, comme je l’ai déjà rappelé, a décidé de proposer un texte qui recouvre, dans sa globalité, dans son universalité, aussi bien les militaires de carrière, officiers et sous-officiers, que les militaires servant sous contrat de durée relativement limité, que les appelés et, en fin de compte, les réservistes.

Pourquoi cette novation ? Pourquoi ce statut général ? Pour des raisons de nature sociale et politique qui me semblent fort importantes.

Voilà quelques instants, le président de la commission de la défense nationale évoquait, à juste titre, certaines difficultés de la société militaire actuelle.

Même si cette dernière, comme le soulignait votre rapporteur, est diverse en elle-même par rapport à la société civile, et notamment par rapport à la société libérale et occidentale que nous vivons et où nous souhaitons vivre, est-ce le moment de marquer une différence fondamentale entre ceux qui portent l’uniforme par vocation, par contrat de brève durée ou en tant qu’appelés au titre du service national ?

On nous parlera de vocation ; mais il conviendrait alors de limiter le statut aux seuls militaires de carrière, en en écartant ceux qui servent sous contrat. En effet, le jeune homme engagé pour deux ou trois ans a-t-il une vocation militaire plus accentuée que celui qui, après avoir effectué deux ou trois ans de préparation militaire, avoir été appelé et versé dans les réserves, souhaitera suivre des cours de perfectionnement ? En aucune façon.

En outre, l’importance que nous voulons donner aux officiers et sous-officiers de réserve se trouverait fortement atténuée et nous suivons la commission.

Dans ce statut, trois articles – même s’il n’y en a que trois – comportent des dispositions relatives aux officiers et sous-officiers de réserve. S’agit-il uniquement des officiers et sous-officiers issus du corps des officiers et sous-officiers de carrière ou de leur ensemble ?

Dans le premier cas, on divise les réservistes et il convient de prévoir deux statuts, selon qu’ils sont issus ou non du corps des officiers et sous-officiers d’active. Dans le second cas, on établit au contraire une différence entre les appelés qui seront devenus officiers et sous-officiers de réserve et les autres.

En vérité, il est important, face à la société française de la fin de ce siècle, de bien marquer dans ce petit nombre d’articles, comme l’a dit M. le rapporteur, qu’on n’entend pas établir de différence, lorsqu’on parle de l’état militaire, de la fonction militaire, entre les militaires de carrière, ceux qui servent sous contrat, les appelés et les réservistes.

Certes, le statut général sera complété par des statuts particuliers ; certes, nombre de ses dispositions ne s’appliqueront qu’aux militaires de carrière et à ceux qui servent sous un contrat d’une certaine durée, mais le principe selon lequel les militaires et les réservistes issus des appelés peuvent être rattachés juridiquement au statut général de la fonction militaire est une affirmation de l’unité de l’armée qui a sa valeur politique et qui justifie que vous suiviez le Gouvernement. ( Applaudissements sur quelques bancs de l’union des démocrates pour la République et du groupe des républicains indépendants ).

Il est un point qui, en tout cas, me lie entièrement aux conclusions de la commission de la défense nationale : ce statut, quelle que soit son importance juridique, quelle que soit sa valeur politique, ne constitue à mes yeux qu’un élément d’une politique d’ensemble.

Je ne veux pas revenir sur l’ensemble des dispositions prises au cours des douze dernières années. J’ai été le signataire, en tant que Premier ministre du général de Gaulle, de la grande ordonnance de 1959 qui est la base de notre système de défense. Depuis 1962, M. Messmer, dans le Gouvernement que présidait M. Pompidou, a, soit par voie réglementaire, soit par voie législative, développé une série de mesures qui ont amélioré l’organisation et modernisé nos armées.

Au cours de cette seule législature vous avez voté la loi, puis le code sur le service national. Vous avez voté une troisième loi de programme dont vous vous rappelez à quel point, même par rapport aux lois de programmes antérieures, elle revêt un caractère exceptionnel. Vous avez, l’an dernier, dans le budget, approuvé des « mesures catégorielles », pour employer le jargon administratif, dont la valeur est incontestable, notamment pour un certain nombre de militaires.

A côté des mesures législatives, des mesures réglementaires importantes ont été prises. La réorganisation des états-majors, un plan naval à long terme, le rétablissement de la préparation militaire et de l’instruction des réserves. Une orientation a été décidée, non sans difficultés, pour hâter la modernisation et l’amélioration des conditions de la vie militaire. Nous allons continuer.

Ainsi que je l’annonçais à la commission de la défense nationale, le prochain projet du budget marquera à la fois l’actualisation de la loi de programme et de nouvelles « mesures catégorielles  » en application directe de ce statut.

Dans le même temps sont à l’étude un plan à long terme pour l’armée de terre et un plan à long terme pour l’armée de l’air, tous les deux, comme le plan à long terme pour la marine, en fonction des missions de ces armées, et notamment en premier lieu de la mission de dissuasion.

Enfin, j’envisage, pour répondre à un voeu émis depuis longtemps par votre commission de la défense nationale, de publier ce que les pays étrangers appellent un « livre blanc » qui permettra à l’ensemble de ceux qui s’intéressent à la défense nationale de connaître d’une manière claire et précise, à la lumière des orientations de notre défense, l’organisation de nos armées.

Ce statut fait donc partie d’un ensemble, mais il y tient une place capitale. Pourquoi ?

II est crucial que les pouvoirs publics – dont, naturellement, au premier chef, le Parlement – marquent, par un vote solennel, presque aussi unanime, je le souhaite, que celui qui a institué le service national, l’importance qu’ils donnent à la fonction militaire.

Les militaires en ont besoin ! Sans doute, comme le notait M. Sanguinetti, l’environnement de la société libérale occidentale, entièrement et à juste titre orientée vers la paix, établit-il une sorte d’incompréhension du fait militaire : mais, au-delà, vous le savez bien, un certain affaissement du civisme et l’incompréhension des problèmes de défense touchent à bien des égards la fonction militaire plus que cet environnement.

Lorsque sur les bords du camp du Larzac, nous entendons un prélat se demander si la guerre défensive est légitime, on peut, et vous devez mesurer l’abîme vers lequel nous glisserions si nous ne mettions pas, nous, pouvoirs publics, et solennellement, un frein à ce dévergondage des idées. ( Applaudissements sur de nombreux bancs de l’union des démocrates pour la République, du groupe des républicains indépendants et du groupe Progrès et démocratie moderne ).

Il n’est pas douteux que la tâche militaire est aujourd’hui difficile. M. le rapporteur y faisait allusion. Toute notre défense est orientée vers la dissuasion : dissuasion nucléaire, mais aussi, plus généralement, dissuasion de défense.

Que signifie la dissuasion pour le militaire, qu’il soit officier, sous-officier ou homme du rang ? Pour qu’elle soit crédible, lui et son matériel doivent apparaître comme ayant atteint un haut degré de perfection.

En d’autres termes, il faut à la fois des matériels modernes et des hommes de grande valeur, car plus les matériels seront modernes, plus la qualité du militaire sera élevée, plus s’accroîtront les chances d’éviter la guerre.

Il est bien clair que l’esprit de défense, au service d’une politique de dissuasion, exige une abnégation qu’il est bon de reconnaître et de saluer aussi bien chez les dirigeants qui choisissent les matériels, que chez les militaires qui les servent.

Il y a une seconde difficulté, comme vous me l’avez souvent entendu dire et comme l’immense majorité de l’Assemblée le sait : notre défense sera nationale ou elle ne sera pas. Aussi, quelle que soit l’importance, aujourd’hui et demain, de la technique et du métier, il faut maintenir un service national, une possibilité de mobiliser la nation.

Or les jeunes recrues dont l’instruction ne dure que quelques mois ont-elles reçu dans leur famille ou dans leur école l’éducation qui leur était dispensée voilà cinquante ou soixante ans ? En aucune façon ! Avec l’air du temps, l’esprit de ces jeunes est affranchi de toute règle et de tout principe quant au civisme et au patriotisme. C’est le moins qu’on puisse dire.

C’est à l’armée à leur enseigner, dans le respect des consciences, les droits et les devoirs du citoyen – aujourd’hui comme toujours – à leur apprendre que la liberté n’est pas seulement le droit de vote, mais aussi, le cas échéant, l’obligation de défendre sa patrie. Cette mission dont sont investis aujourd’hui les militaires, elle ne leur incombait pas il y a cinquante ans. Ils devront cependant continuer à l’accomplir si nos moyens d’information et d’éducation et même l’esprit des familles ne prônent pas le retour à des vertus qui ne sont pas militaires, mais simplement civiques. ( Applaudissements sur de nombreux bancs de l’union des démocrates pour la République, du groupe des républicains indépendants et du groupe Progrès et démocratie moderne ).

Dernière difficulté : la France a signé avec des alliés, notamment avec les Etats issus de l’ancienne Union française, des engagements qu’éventuellement l’armée doit respecter. Le moins que je puisse dire est qu’alors l’armée ne reçoit pas, des organes de diffusion de l’opinion et d’information, le soutien qu’elle mérite.

En conclusion, la tâche militaire est aujourd’hui difficile. Sans doute, pour ceux qui ont gardé le sens du service de l’Etat et le sens de la patrie, continue-t-elle à représenter un idéal exceptionnel, mais assorti de contraintes qui ne la facilitent pas.

Dans une large mesure, toute la politique que Gouvernement et Parlement, au cours des dernières années, suivent de concert, qu’il s’agisse des plans à long terme, des lois de programme, qu’il s’agisse des mesures catégorielles, aujourd’hui de dispositions statutaires, est destinée à marquer à la fois dans le fond et dans la forme, par l’acceptation solennelle que vous donnez à cette politique, à quel point les responsables du sort de la République apprécient la valeur de l’armée et de ceux qui la servent.

C’est là le fond du débat. Le statut n’est pas seulement, pour les intéressés, l’expression de leurs devoirs, de leurs garanties, de compensations ; le statut est également l’affirmation que l’on n’est pas au service de l’Etat, et plus particulièrement de la défense, sans avoir droit à une considération particulière.

Et au-delà des dispositions que nous étudierons tout à l’heure, ce soir ou demain et des votes sur tel ou tel article, le fond de l’affaire est le soutien que je demande au Parlement et l’approbation d’un texte qui est à la fois, je le crois, un beau monument juridique, mais avant tout l’affirmation que les pouvoirs publics ont conscience de ce que représentent éternellement l’armée et ceux qui la servent pour le bien de la République et de la nation. ( Applaudissements sur les bancs de l’union des démocrates pour la République, du groupe des républicains indépendants et du groupe Progrès et démocratie moderne ).

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