Les affirmations approximatives du général Pichot de Champfleury…et ses omissions

L’ADEFDROMIL persiste et signe

Par Michel BAVOIL, Président et Jacques BESSY, Vice Président.

« Le rapport contient beaucoup d »affirmations approximatives, voire erronées. » Général Pichot de Champfleury, commandant la légion étrangère à propos du rapport de l’Adefdromil.

***

Saluons tout d’abord, l’habileté politique du ministre et de son cabinet qui, en laissant le général Pichot de Champfleury s’exprimer sur un site de la toile particulièrement fréquenté, cherche à cantonner le débat dans une querelle entre militaires. Ce faisant, cela évite au ministre de nouer un dialogue avec notre association ce qui reviendrait à la reconnaître comme un partenaire. Ce « négationnisme » de l’Adefdromil est non seulement puéril, mais surtout contreproductif.

Des arguments juridiques fallacieux.

« Depuis que la Légion étrangère existe (1831), on s’y engage sous une identité déclarée, c’est-à-dire une autre identité que la sienne. Si nous avons maintenu ce principe, ce n’est pas par respect des traditions mais pour de bonnes raisons, que le Conseil d’Etat a reconnu. D’abord le principe d’égalité entre les engagés. Nous ne voulons pas de discrimination entre les « francophones » [citoyens français – ndlr] et les autres. » Gl Pichot de Champfleury

Le décret n° 2008-956 du 12 septembre 2008 ne soumet nullement les engagés de la légion à un « principe d’égalité », qui consisterait à engager tout le monde sous identité déclarée.

Il suffit de se reporter au texte : « Article 9 – En l’absence des pièces justificatives nécessaires, le ministre de la défense peut autoriser la souscription d’un contrat sous une identité déclarée.

L’identité déclarée est réputée être l’identité militaire de l’intéressé aussi longtemps que le ministre de la défense n’a pas procédé à la régularisation de sa situation militaire selon les modalités prévues à l’article 10.

Article 10Lorsque le militaire servant à titre étranger qui a souscrit un contrat sous une identité déclarée produit les documents établissant la preuve formelle de sa véritable identité, il est procédé à la régularisation de sa situation militaire… » – A noter que ce décret ne fait que reprendre sur ce point et d’autres, les dispositions du décret antérieur n°77-789 du 1er juillet 1977.

La possibilité d’engagement sous identité déclarée ne signifie pas obligation de s’engager sous fausse identité attribuée de force.

Tout d’abord, il faut déduire de la lecture du décret que le candidat à l’engagement peut en théorie s’engager sous son vrai nom, s’il fournit les « pièces justificatives ». Quelles sont-elles ? Le texte ne le précise pas. Le  seul critère de distinction autorisé n’est pas celui de la nationalité ou de la langue, mais celui de la présentation de pièces justificatives ou non.

Ce que ne dit pas le général, et qui est rapporté par les engagés, c’est qu’en fait, les candidats ne servent pas sous une identité qu’ils déclarent eux-mêmes. Ils pourraient ainsi déclarer simplement celle qui est sur leur passeport et qui serait validée plus tard, après vérifications. Dans les faits, les recruteurs de la légion sortent des noms d’un petit carnet en leur possession, en fonction de la nationalité ou de l’origine de l’intéressé. Volkov devient Vassiliev et Gurung se transforme en Gurkha. Les légionnaires ont donc de deux à trois identités : 1°, celle qu’ils déclarent, 2°, celle qui leur est attribuée de force et 3°, éventuellement leur vraie identité s’ils ont menti sur leur identité déclarée (cas du légionnaire malgache cité dans le rapport de l’Adefdromil). Celui qui refuse de signer son contrat sous le faux nom attribué par la légion, quitte instantanément la sélection.

Est-ce bien l’esprit du décret ? Est-ce bien conforme au principe de la garantie d’anonymat sous lequel est présenté l’engagement sous identité déclarée ?

Enfin, pour clore nos observations sur le droit applicable, il convient de préciser que l’Adefdromil est intervenue en son temps auprès du Conseil d’Etat pour appeler l’attention sur la disposition illégale visant à faire supprimer la possibilité d’avoir recours à un avocat lors d’un conseil d’enquête. Effectivement, à la suite de notre intervention, les dispositions antérieures n’ont pas été modifiées. Il semble, en fait que c’est l’application du droit qui pose problème puisqu’on se garde bien de préciser au comparant qu’il peut se faire assister d’un avocat. Ce point reste tout de même marginal. Et, il aurait été préférable pour la crédibilité du propos que le général n’élude pas les autres problèmes.

L’argument tout aussi fallacieux de la sécurité pour justifier les engagements sous fausse identité imposée.

« En effet, pour des raisons de sécurité, nous vérifions l’identité réelle des gens qui s’engagent chez nous. Il nous faut en moyenne un an pour nous assurer de la véracité des déclarations faites lors de l’engagement. Nous vérifions par exemple que l’engagé n’est pas recherché par la police de son pays pour un crime commis à la veille de la signature de son contrat. Cela prend du temps, car cela se passe souvent dans des pays lointains. Pour nous, l’identité déclarée est une phase d’entrée.  Au bout de trois ans, 80% des légionnaires ont repris leur vraie identité. Dans l’ensemble de la Légion, nous n’avons qu’une cinquantaine de légionnaires avec plus de cinq ans d’ancienneté qui servent sous « identité déclarée ».  Retrouver son identité est un processus long car nous demandons des papiers fiables, certifiés, pas des photocopies. Il faut des traducteurs habilités, etc… Pour nous, la simplicité, c’est que les engagés servent sous leur identité réelle. » Gl Pichot de Champfleury.

La sécurité a bon dos.

On comprend que dans les deux siècles précédents, il était aussi impératif que maintenant de s’assurer de l’identité des étrangers venant servir la France. Au 19ème siècle, nous avions quelques voisins européens qui ne nous voulaient pas que du bien, comme les méchants teutons, les vilains austro-hongrois, leurs alliés, etc. Georges Blond, dans sa fameuse histoire de la légion étrangère rapporte, par exemple, le soutien avéré de pionniers allemands aux assaillants chinois de la forteresse de Tuyen Quang en 1884/85, défendue héroïquement par la légion. Après 1945 et jusqu’à la fin de la guerre froide, on pouvait  craindre de la même manière des engagements téléguidés par les camarades soviétiques.

De nos jours, il faut sûrement continuer d’être prudent. Mais, on se demande ce qu’apporte sur le plan de la sécurité, l’engagement sous fausse identité imposée. L’intéressé n’en est pas moins présent dans les rangs de la légion et son identité de pacotille ne garantit nullement ni la sécurité de la légion, ni celle de l’armée française. L’argument de la sécurité pour justifier les engagements sous fausse identité imposée ne résiste pas à l’examen.

De nos jours, il y a des moyens rapides, efficaces de s’assurer de l’identité d’une personne.

Tout d’abord, la légion dispose d’un réseau mondial de correspondants très efficaces qui peuvent aisément contrôler les dires des candidats.

Ensuite, les moyens actuels de transmission et de stockage des données numériques et personnelles permettent de détecter les usurpations d’identité en particulier pour tous les candidats issus de l’Union européenne.

Enfin, les candidats à l’engagement en provenance d’un pays « hors UE » ne débarquent pas sans papiers de l’île de Lampedusa. Ils arrivent aux postes de recrutement munis de leurs pièces d’identité (passeport) et sous couvert d’un visa touristique.

Il suffit donc dans un premier temps de respecter la lettre et l’esprit du décret et de les engager sous l’identité figurant sur leurs documents personnels. Cela n’empêcherait pas de vérifier leurs dires et de rompre le contrat de ceux qui auraient menti. Combien y a-t-il de tels cas découverts annuellement ?

Pour nous, la simplicité, c’est que les engagés servent sous leur identité réelle. » Gl Pichot de Champfleury. Allez, chiche, Mon général, faites simple !

Il faut donc conclure que les engagements sous fausse identité imposée ne sont pas justifiés pour des raisons de sécurité, mais bien pour « tenir les légionnaires ».

Quel est, en fait, le statut des légionnaires au regard de la politique d’immigration de la France et de l’Europe et des règles de séjour et de travail des étrangers ?

« Lorsque je lis les propos du capitaine Bavoil, j’ai l’impression que le droit commun ne s’applique pas chez nous, que les légionnaires sont soumis au bon vouloir de leur chef. Rassurez-vous: je ne suis pas un général qui fait ce qu’il veut. Nous ne sommes pas une zone de non-droit…En 2008, nous avons recruté 1000 légionnaires et nous avons eu 8000 candidats. Donc, huit candidats par poste. Les meilleurs agents recruteurs sont les anciens légionnaires rentrés dans leur pays d’origine. » Gl Pichot de Champfleury.

Est-il justifié que le recrutement d’étrangers pour servir la France s’affranchisse des règles de droit commun relatives au séjour des étrangers ?

Pour travailler en France, il faut disposer d’un titre de séjour et d’un permis de travail.

Dans les faits, les légionnaires n’ont aucun titre de séjour valable et aucun permis de travail. Seul l’acte d’engagement signé par le délégué du ministre de la défense valide leur présence sur le territoire français.

Y a t’il des liens établis avec le ministère de l’immigration ? Si, oui, quels sont-ils ?

Il serait intéressant de connaître, par exemple, le statut des citoyens non belges de l’Union européenne, qui servent dans l’armée belge. La même question pourrait d’ailleurs être posée sur le statut des engagés hispanophones de la légion espagnole.

On a vu ainsi un ancien légionnaire d’origine russe qui avait quitté le corps sans le fameux certificat de bonne conduite se voir opposer par le préfet « les conditions illégales » de son séjour en France pendant le temps où il servait à la légion.

L’exemple de l’attribution automatique de la carte de résident par l’effet de la délivrance du certificat de bonne conduite montre également que la zone de non-droit existe bien et qu’il convient d’y mettre de l’ordre.

Que deviennent les 3000 candidats à la légion issus d’un pays hors de l’UE qui ne sont pas sélectionnés et les déserteurs ?

S’agissant des candidats, originaires d’un pays hors UE, non retenus à la sélection – qui doivent se chiffrer à environ 3000 selon les pourcentages donnés par le général- on peut supposer que beaucoup d’entre eux qui ont épargné pour tenter leur chance à la légion, ne rentrent pas dans leur pays et demeurent illégalement sur le territoire augmentant ainsi l’immigration non choisie.

S’agissant des déserteurs, on notera que les 250 -annoncés officiellement- représentent tout de même le quart des recrutements annuels de la légion (1000 engagements par an). Nous laissons le soin aux lecteurs d’en tirer les conclusions sur la pertinence de la sélection, dont le taux affiché est digne des concours aux grandes écoles (1 sur 8). En toute logique, cette hyper sélectivité devrait être garante de la bonne adaptabilité et de la bonne adaptation des engagés. Ce n’est manifestement pas le cas. Le pourcentage élevé de déserteurs explique également que les chefs de la légion s’efforcent de dissuader ceux qui demandent à user de leur droit de rompre leur contrat pendant la période probatoire pour ne pas accroître le taux d’attrition.

En conclusion, nous réaffirmons sans parti pris et avec beaucoup de respect pour le passé et les gloires de la légion que le temps est venu d’une réforme pour qu’elle reste cette force d’élite au service des armes de la France.

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Cet article a 2 commentaires

  1. sven

    A vouloir couper puis recouper ainsi les cheveux en quatre, vous auriez dû être coiffeurs !

  2. vert et rouge

    Bonjour Messieurs,

    Je trouve inadmissibles vos nombreuses critiques sur la Légion étrangère. J’en conviens, tout n’est pas parfait, mais pour critiquer, encore faut-il savoir de quoi on parle. Pour bien vous connaître (notamment votre cher président l’ex-capitaine BAVOIL), et connaître aussi quelques uns des « pseudos » anciens légionnaires inscrits auprès de votre association, je sais que vous êtes loin d’être, vous aussi, irréprochables, ne serait-ce par vos méthodes. Avant d’accorder du crédit aux déclarations de certains de vos adhérents, peut-être devriez vous vérifier qui ils sont et ce qu’ils ont fait. En effet, la majeure partie des anciens légionnaires (pour ceux qui le sont vraiment…) sont peu recommandables : déserteurs, résiliés de contrat pour fautes graves, inapte à la formation militaire pour raison psychiatrique. Il est bien évident que ceux qui vous en disent du mal ne sont pas ceux qui y ont bien servi.
    Je pense que la Légion étrangère est un modèle d’intégration et qu’elle donne sa chance à tout le monde. Le principe de l’identité déclarée à l’engagement permet à tous les légionnaires de démarrer leur carrière au même niveau, sur un même pied d’égalité. En outre, le principe de son recrutement en fait la richesse de sa troupe. La Légion est avant tout un extraordinaire outil de combat qui s’est toujours distingué, encore très récemment avec le décès du SGT PENON, mort en sauvant ses camarades de combat en Afghanistan. C’est aussi une véritable école de la vie, sans aucune barrière de race, de nationalité ou de religion. Je ne sais pas d’où sortent les photos que vous avez publié récemment mais je pense que nous n’avons pas la même définition du mot « brimade ».
    Vous ne publierez peut-être pas mes propos mais je souhaitais simplement vous écrire mon sentiment, partagé par beaucoup de nos concitoyens…

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