Il y a quelque chose de masochiste, pour un gouvernement, à proposer des mesures impopulaires quand une récente consultation électorale vient de démontrer un degré élevé de mécontentement. Ou alors considérons qu’il s’agit là d’héroïsme pragmatique qu’il convient plutôt d’admirer.
Mais il n’est pas non plus évident que les différentes marches arrière et les virages à 180° sont approuvés par la partie de l’électorat restée fidèle en dépit d’un opprobre qui se généralise.
Attendons en une conséquence prévisible sur les prochaines élections européennes qui devraient perdre leur finalité première pour constituer une seconde sanction de la politique micro franco-française. Les écolos, qui refusent les OGM mais marient les copains au nom d’une « nature » élastique, les socialistes, déroutés par le mauvais coup des présidentielles, et surtout monsieur BAYROU, future providence des alternatifs de droite, peuvent déjà affûter leurs arguments de vainqueurs car les caméras n’en auront que pour eux au soir du 13 juin.
Dans une telle configuration où deux consultations nationales démontrent l’inadéquation entre le pouvoir politique et son assise électorale, nous pouvons tout aussi bien prévoir que les ouvriers d’EDF-GDF, les Intermittents de tout bord, les personnels des Sécu, et tous les autres spécialistes, reprendront à la fois le moral, l’espoir, la rue et de la voix. L’été risque d’être chaud avec quelques pavés sous la plage.
Les militaires eux n’ont rien à dire, c’est bien connu. A quoi bon leur servirait le droit d’expression sur des sujets politiques puisqu’en haut lieu on pense et on s’exprime pour eux? En témoigne, et d’une manière surprenante, la récente déclaration de monsieur Guy TESSIER, qui n’est rien d’autre que le président de la commission de la défense nationale à l’assemblée, sur l’extrême dangerosité d’une remise en cause du budget du ministère de la défense. Le même Guy TESSIER qui déclarait il y a quelques temps à propos de syndicalisation des militaires: « on a parfois tort d’avoir raison trop tôt », ce qui nous l’avait rendu assez sympathique, il faut bien l’avouer.
Mais là, saluons son intrépidité à déclarer aux journaux que le gel de crédits du ministère de la défense, et le reports de programmes d’équipement risquent d’entraîner des manifestations de militaires dans la rue. A l’évidence, nous sommes bien défendus par nos chefs comme le répète à l’envie le « nouveau statut » (que ce même député s’apprête à entériner sans discussion), il n’est donc pas utile de descendre dans la rue quand on a des alliés d’un tel niveau.
La vérité est sans doute plus prosaïque, l’intérêt du président de la commission est ailleurs. La manifestation de mauvaise humeur des gendarmes de l’automne 2001 a effrayé plus d’un politique alors même qu’elle faisaient rire de bon coeur une partie significative d’une population complice. Cette popularité fut sans doute l’élément le plus inquiétant pour nos élites comme pour le pouvoir, et c’est pourquoi ils n’ont cessé de la nier.
Mais en brandissant ce genre de menace, monsieur TESSIER commet une maladresse et nous appelle implicitement à la vigilance contre les provocations. La maladresse, c’est que les gendarmes, tout comme les militaires de base appelés à jouer le rôle de « gros bras » percevront la manipulation. Ils ont parfaitement conscience que les autorités du genre de ce député savent que les militaires d’en bas n’ont jamais eu accès aux finesses d’un budget global dont ils perçoivent par ailleurs de larges pans de gras résiduels. Ils ont pu noter, depuis belle lurette, que leurs autorités changent de véhicules plus fréquemment que l’infirmerie d’ambulance, que les Etats Majors regorgent de matériels toujours modernes, et que les chefs peuvent encore aller en inspection, en contrôle et en enquête, de préférence de l’autre côté du globe sans trop se priver. Nul besoin de rappeler la saga du devis de rénovation du bureau du CEM, le coût pharaonique des campagnes publicitaires de recrutement ou les superbes NBI élitistes pour étayer davantage cette évidence.
Dans ces conditions, un défilé bruyant d’officiers supérieurs, de généraux de première et deuxième section avec des pancartes: « touche pas à ma popotte ! » serait plus juste et préférable. Et puis, ça aurait de la gueule, surtout en voiture de fonction avec chauffeur !
Le problème des gendarmes, comme du « petit personnel », c’était surtout la multiplication des tâches de manière inversement proportionnelle à la décroissance des effectifs, la pénurie de matériels d’usage courant dont la ligne budgétaire n’est même pas visible dans la masse globale, et les retards à l’informatisation ou aux nouvelles télécommunications dont ils avançaient parfois les moyens sur leurs propres deniers… Tout cela avec un fond de mécontentement plus chronique certes, mais toujours très éloigné des préoccupations budgétaires des Titres X et Y.
La mise en garde implicite que nous adresse monsieur TESSIER, c’est que la haute hiérarchie pourrait avoir la tentation de fomenter quelques mouvements d’humeur dans les troupes pour appuyer son opposition à voir le budget des armées jouer une fois encore, et disons le tout net, naturellement, le rôle de variable d’ajustement. Il faudra donc être attentif à ces charmantes démonstrations de sympathie.
Un autre membre de cette même commission de la défense nationale avait déjà, dans un rapport à succès, évoqué la possibilité d’une « gestion profitable » par la hiérarchie de la grogne de ses troupes. C’était en octobre 2000 et il parlait de …la gendarmerie. Il est vrai que depuis, le dit député est passé dans la majorité et en a perdu un peu de sa légendaire perspicacité.
En soulignant l’aspect « naturel » du rôle de variable d’ajustement du budget militaire, nous allons faire rugir du côté de la « Saint-Cyrienne ». Remarquons néanmoins que, d’une part c’est une longue habitude dont tous les généraux actuels, passés et trépassés (à l’exception d’un seul) se sont sereinement accommodés, et que, d’autre part, la sanctuarisation du budget des armées dans une ambiance de sacrifice généralisé serait catastrophique en terme d’image (sans parler de ce trop fameux « lien armée-nation »).
Monsieur TESSIER a d’ailleurs et assez rapidement changé d’argumentation. On pouvait l’entendre par la suite et en boucle sur France-Info expliquer que ce gel de crédits et ces reports de programmes allaient surtout mettre en difficulté les industries d’armement et leurs milliers de travailleurs. Ouvriers et militaires, même combats? Il y a du TROTSKI dans cet homme là !
Allons, rassurons donc les pouvoirs publics, les militaires ne défileront pas de Bastille à République (voire vers la rue Saint Dominique) pour la défense des intérêts de leurs chefs, et les gendarmes mobiles n’auront pas à choisir de quel côté de la barrière se positionner. Mais si monsieur TESSIER veut bien mener sa réflexion plus à fond, il en arriverait à la conclusion que, dans sa lutte pour maintenir le budget de la défense, il va lui manquer un interlocuteur essentiel, autonome et crédible: le « partenaire social des militaires ».
A force de vouloir tout placer sur l’unique « chef à tous les niveaux », il se trouve un peu dépourvu quand le patron d’en haut s’en prend à l’outil de travail… CQFD !