On vit une drôle d’époque.
La justice est en conflit avec les hommes politiques. Un ancien premier ministre vient d’être « éliminé » de toute ambition politique par des juges pour avoir prétendument confondu l’argent du contribuable avec celui de son parti. S’en suivent quelques « rouspétances » de son actuel successeur qui estime qu’il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat. Le Président nomme une commission chargée de faire la lumière sur de prétendues pressions qui auraient gâché l’instruction.
On peut déjà être surpris que d’aucuns aient cru habile de vouloir peser a priori sur les magistrats. Il suffisait de lire l’excellent ouvrage d’Eva Joly sur l’affaire ELF, pour mesurer à quel point ces actions irritent le juge et l’incline à la sévérité. Les pouvoirs, quels qu’ils soient, savent bien qu’il est impossible de faire taire longtemps ceux-là même qui sont chargés d’instruire et de dire le droit. Ainsi les « gendarmes de Toulon » n’en finissent pas de prendre leur revanche sur une hiérarchie à courte vue et le médecin de l’HIA Lavéran à Marseille finira bien par obtenir la sienne au grand dam de quelques prestigieux mandarins du SSA.
Grâce aux magistrats, et aussi, il faut bien l’avouer, au pouvoir des médias, le malheur ne frappe plus exclusivement ceux par qui le scandale arrive, mais aussi ceux qui ont voulu les faire taire.
C’est un peu plus long, mais terriblement efficace.
A posteriori, et dans la présente affaire qui trouble autant la majorité présidentielle, une autre surprise provient de l’identité du pompier de service. Rien d’autre que l’excellent vice-président du Conseil d’Etat, celui-là même qui vient de clore brillamment son projet de réforme du Statut Général des militaires. On peut néanmoins présumer que sa tâche va être moins facile. Aux premières nouvelles le Conseil Supérieur de la Magistrature vient de lui signifier son inutilité là où, quelques semaines auparavant, le Conseil Supérieur des Militaires avait crié « au génie » à chacune de ses propositions de ne surtout rien changer.
Cedant arma togae comme d’hab.
Et puis, nos magistrats n’ont pas oublié qu’une loi sur le financement des organisations politiques fut votée pour mettre fin aux divers trafics financiers occultes, et qu’une autre loi « complémentaire », dite d’amnistie, vint absoudre ceux qui, par habitude ou nécessité, s’y étaient complaisamment adonnés.
Bis repetita non placent.
Ce qui parut aussi (mais pas trop) dans nos journaux, c’est l’ensemble touchant avec lequel les autorités militaires firent bloc pour expliquer la différence entre un accident du travail du monde civil, et le même accident au cours d’un exercice « extrême ». Dans le premier cas, le drame est présumé témoigner d’un mépris évident des règles de sécurité, jusqu’à preuve difficile du contraire. Et l’on se souvient de quelques patrons qui essuyèrent en prison les effets expéditifs de cette disposition un peu rigoureuse.
Dans le second cas, l’accident mortel du militaire démontre le sérieux de l’exercice, la réalité d’un danger librement et héroïquement encouru, et, malheureusement, l’implacable fatalité d’un destin cruel. Quand ce n’est pas le prix à payer pour sélectionner les meilleurs. Jusqu’à preuve, fort improbable du contraire (et alors vraisemblablement subversive).
Un magistrat ayant lui-même admis qu’on ne pouvait pas comparer un exercice militaire extrême avec une randonnée du « Club Med » qui aurait mal tourné, on se demande bien pourquoi on s’embarrasserait de la législation du code du travail. Autant nous adapter celle des Tour-Opérateurs.
Remercions au passage l’excellent Jean Dominique Merchet de Libé pour son article sans excès ni complaisance (triste St-Cyr : lire l’article en [ cliquant ici ]). Les journalistes qui se spécialisent dans le domaine militaire savent qu’un article de trop peut leur fermer toutes les portes, et donc toute source d’information. En ce sens, l’armée est de moins en moins muette, mais toujours aussi bâillonnée. Puisse la justice dire ce qui s’est réellement passé cette nuit-là.
Le salut pour nous viendra de l’Europe, disions-nous dans un récent édito. Elle nous a entendu, et la Cour Européenne des Droits de l’Homme vient, dans un arrêt du 17 février dernier, de sanctionner l’Italie qui avait cru possible d’interdire à un magistrat d’adhérer à une association. Dans ses attendus, la Cour insiste sur le caractère accessible et prévisible des dispositions par lesquelles une législation nationale restreint une liberté protégée par la Convention Européenne des droits de l’homme.
Cet arrêt indique clairement qu’un militaire sanctionné pour avoir adhéré à une association aujourd’hui, et un syndicat demain, trouvera devant cette Cour Européenne à la foi une oreille complaisante et une jurisprudence favorable. Voilà qui va faire beaucoup de peine à notre élève du CID qui voit ainsi sa copie sirupeuse (lire l’article en [ cliquant ici ]) taxée de tromperie de la part de censeurs inaccessibles à ses théories. A travers lui, c’est toute une lignée de prestigieux officiers généraux qui en sort ébranlée, même s’il peut leur sembler apaisant, que l’association à laquelle le magistrat italien avait adhéré envers et contre toute interdiction nationale était la franc-maçonnerie, pas le syndicat de la magistrature.
Les comptes-rendus des CFM sortent progressivement des presses institutionnelles pour nous relater comment ces instances ont préparé la session « spéciale » du CSFM, relative aux propositions de la commission de révision du statut des militaires.
C’est édifiant !
Ainsi nous apprenons qu’une forte proportion de conseillers du CFMSSA était opposée à l’idée du maintien de l’interdiction des droits et libertés civiques… avant que de bonnes âmes ne les fassent changer d’avis. Nous serions curieux de connaître ces arguments qui ont forgé le consensus final. Peut être nous rangerions-nous aussi au côté de ceux qui pensent que le militaire (français) doit nécessairement être écrasé d’interdits pour donner le meilleur de lui même. Et qu’en l’absence de ces interdits il ne serait plus ni commandable, ni même recommandable…
Et cela nous ramène supra, car ce cantonnement juridique, dont le maintien est assuré par la Commission de (non) Révision du Statut et son excellent Président, est d’une nature identique à celui que réclament implicitement les hommes politiques en délicatesse avec la loi « générale ». Les militaires français dit-on, doivent subir des lois d’exception parce que l’objectif de leur mission est la sécurité collective. Les hommes politiques demandent eux à rester au-dessus des lois du peuple parce que leur mandat serait d’assurer le bien être collectif par tous les moyens.
Céder aux uns ou aux autres nous renvoie immanquablement au Moyen-âge où les privilèges de quelques uns compensaient prétendument des prestations fournies à la multitude et dont la réalité se perdait dans les abîmes du temps. A contrario, retirer un peu du pouvoir abusivement confisqué par certains peut restituer beaucoup de liberté, de droits, d’équité et de probité à tous.