Discours de Monsieur Bauke, président de l’EUROMIL

 » Monsieur le Président, Chers délégués,
Mesdames, Messieurs,

Bien que j’aie connu, depuis 1954 et par intermittence, l’un ou l’autre
enseignement donné en français et qu’il m’est aussi
possible de parler le français, sans trop de difficultés,
pour tout ce qui touche les affaires courantes, mon premier choix
n’était pas de tenir un discours dans cette langue. Toutefois,
comme j’estime que ce jour est important non seulement pour vous mais
également pour nous, je vais m’adresser à vous en
m’exprimant dans votre propre langue. Aussi, comme je vais très
certainement commettre l’une ou l’autre faute, je vous demande dès
a présent de m’en excuser.

Mesdames et Messieurs,

Fin de l’année passée, il nous a été
donné d’entendre parler de l’existence d’ADEFDROMIL, une
organisation pour les militaires d’active : un fait nouveau en France !
Après un bref échange de lettres, un entretien s’est tenu,
le 14 avril de cette année, entre d’une part quelques-uns de vos
dirigeants et d’autre part une délégation d’EUROMIL. Je
dois vous dire honnêtement que nous avons été
très satisfaits de cette rencontre : vos représentants
étaient des collègues qui combattent l’injustice et
l’exclusion avec la même ardeur et la même
ténacité que les nôtres. Des collègues qu’il
nous serait agréable d’accueillir en nos rangs et ce, même
si votre association ne compte actuellement qu’un petit nombre de
membres. Sachez que nous avons un profond respect au regard de vos points
de vue idéologiques, devant votre combativité et votre
courage comme militaire d’active à oser vous opposer à
d’injustes conceptions dans le chef de l’autorité
française. Aujourd’hui, comme point à l’ordre du jour, se
trouve inscrite la prise de décision quant à
l’adhésion de votre organisation à EUROMIL. La discussion
qui se tiendra à ce sujet, est de votre responsabilité.
Aussi je ne peux pas et je ne tiens absolument pas à m’en
mêler. Cependant, sachez que j’ai immédiatement
accepté l’invitation de m’exprimer aujourd’hui, ici, devant
vous lorsqu’elle m’est parvenue. Fasse donc que mon discours que je veux
d’ailleurs court, puisse constituer la trame d’une discussion
ultérieure.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

En 1950, le Conseil de l’Europe a consacré, sans la moindre
possibilité d’exclusion, la liberté de réunion et
d’association au sein de la Convention européenne de sauvegarde
des Droits de l’Homme et des Droits fondamentaux. Je cite la
première partie de l’article 11 : « Toute personne a droit à
la liberté de réunion pacifique et à la
liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres
des syndicats et de s’allier à des syndicats pour la
défense de ses intérêts ». Cela est très
éloquent.

Le principe d’un droit d’association était donc consigné.
Mais, sur base de la seconde partie de ce même article, les Etats
Membres pouvaient toutefois y apporter quelques restrictions. A nouveau,
je cite : « L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres
restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des
mesures nécessaires, dans une société
démocratique, à la sécurité nationale,
à la sûreté publique, à la défense de
l’ordre et à la prévention du crime, à la protection
de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits
et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que
des restrictions légitimes soient imposées à
l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la
police ou de l’administration de l’Etat ». Cela est également des
plus clairs : des restrictions peuvent être instaurées dans
des cas particuliers. Toutefois, il doit être clair que
l’instauration de restrictions ne doit avoir pour effet d’atteindre une
privation complète de ce droit. De plus, comme la France a
ratifié la Convention sans émettre la moindre
réserve ou déclaration portant sur l’article 11, nous
sommes en droit de dire que la France prive indûment ses citoyens
en uniforme du droit d’association.

Aussi, se plaindre de cet état de chose est très difficile.
Il est possible de le faire via des voies nationales mais, si la
législation ou la réglementation nationale interdisent aux
militaires de s’associer au sens de l’article 11 de la Convention, alors,
il faut chercher une voie internationale. En effet, tout citoyen d’un des
Etats Membres du Conseil de l’Europe est en droit d’introduire une
plainte auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme
à Strasbourg. Mais alors, il doit être
démontré qu’il (ou elle) a été
personnellement lésé(e) dans ses droits et non pas qu’il
soit possible qu’une atteinte à ces derniers soit portée.
En d’autres mots, il faut en tout premier lieu avoir été
réprimandé sur le plan national et ensuite seulement, vous
pouvez être entendu à Strasbourg. En soi, cela est logique
mais, cela signifie quand même, bel et bien, que vous devez tout
d’abord vous-même courir tous les risques sur le plan national.
Pour des personnes qui ont charge de famille, des hypothèques, des
enfants aux études, etc., la perspective de connaître bien
des ennuis n’est pas des plus séduisantes.

Il n’est cependant pas utile d’agir de la sorte. Je me permets de vous
raconter quelque chose. Il y a quelque 15 années, les conditions
de travail des militaires irlandais étaient franchement mauvaises.
De bas salaires, de longues prestations, pas de possibilités de
promotion, etc. Nos collègues ont voulu ériger une
organisation de type syndicale afin d’oeuvrer à des
améliorations. Et bien que la Constitution irlandaise accorde
inconditionnellement le droit d’association à ses ressortissants,
la législation et la réglementation militaires avaient mis
de côté ce droit. Les femmes des militaires ne l’ont pas
encaissé et elles ont alors créé elles-mêmes
une association. Cette dernière a manifesté de nombreuses
fois devant les bâtiments du Ministère de la Défense
et elle a même menacé de prendre part aux élections
parlementaires. Les soldats ont toutefois été entre-temps
quelque peu honteux du fait qu’ils avaient laissé leurs femmes
tirer les marrons du feu. Après avoir pris des conseils
auprès de bureaux d’avocats et auprès d’autres instances du
même genre, ils ont créé en 1989 une organisation
pour les militaires d’active et ils ont demandé et obtenu l’appui
d’EUROMIL. Leur porte-parole d’antan a été inculpé
d’infraction à la Loi et le Conseil de guerre lui aurait
réglé son compte. Mais, grâce à des
interventions d’EUROMIL menées via des canaux politiques nationaux
et internationaux ainsi que de la publicité, les autorités
irlandaises ont battu en retraite. Actuellement, en Irlande, il existe
deux organisations pour des militaires : l’une pour des soldats, des
caporaux et des sous-officiers et l’autre pour des officiers. Quant
à savoir si cela peut se produire ainsi en France, je le pense !
Mais, vous êtes mieux capables que moi d’en juger. Quoiqu’il en
soit, EUROMIL vous soutiendra toujours dans ce genre d’initiatives. Cela,
j’en fais le serment !

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Il y a quelques minutes, je parlais de citoyen en uniforme. Je ne sais
cependant pas si vous savez précisément ce que nous voulons
dire par de tels propos. Le concept vient, à l’origine, de
l’Allemagne où, lors de la restructuration des Forces
armées en 1955, l’on était d’avis que le militaire allemand
devait être formé autrement qu’avant la Seconde Guerre
Mondiale. On a renoncé à l’obéissance aveugle pour
faire place au principe de la « Innere Führung ». Je ne pense pas
qu’il existe une langue capable de traduire cela en quelques termes.
L’objectif en était que l’on se laisse guider plutôt par des
considérations intérieures en tant qu’être conscient,
en tant qu’être pleinement responsable, et que l’on
réfléchisse aux ordres donnés tout en étant
également obéissant à moins qu’il s’agisse d’ordres
illégaux. Ce militaire ainsi instruit doit, en temps de paix,
pouvoir exercer ses droits civiques de la même manière que
son voisin civil. En d’autres mots : un citoyen en uniforme qui doit
protéger les droits et les libertés de ses concitoyens mais
qui est aussi en droit de les exercer en étant en service
militaire.

Ce principe a été repris par EUROMIL comme un de ses
fondements lors de sa création en 1972 et il en est fait usage
lors de toutes nos tentatives pour réaliser les droits de l’homme,
les droits fondamentaux et les libertés fondamentales des
militaires. Ce n’est pas simple car de nombreux politiciens se
retranchent trop souvent derrière des « legalisten » dans la
société. Le « legalist » considère les conventions et
les lois comme des oeuvres terminées. En d’autres termes : ce qui
a été une fois écrit, devient la sacro-sainte
vérité à laquelle il ne peut être
touché ! Je sais naturellement que la réalisation de
Conventions et de Lois est un long et laborieux processus de formation
consensuelle et, certainement sur le plan international. Mais, je pense
que les Conventions et les Lois d’aujourd’hui sont écrites pour
répondre à des objectifs d’hier qui pourront être
totalement différents demain. Si la société
évolue, il faut également avoir la volonté et le
courage d’adapter les Conventions et les Lois existantes. Et une fois de
plus, ce sont cette volonté et ce courage qui font hélas
défaut.

Parfois, nous devons donc faire appel aux Cours du Luxembourg et/ou de
Strasbourg afin de pousser à l’action, via la voie de la
jurisprudence, nos chers parlementaires. Un bel exemple à ce sujet
est le jugement dit « Kreil » rendu par la Cour de Justice au Luxembourg.
Madame Kreil avait introduit une plainte auprès de la Cour car les
hommes et les femmes n’étaient pas traités de la même
manière au sein des Forces armées allemandes. La Cour a
donné raison à Madame Kreil et ainsi, par ce jugement, elle
a implicitement déclaré que la politique en matière
sociale de l’Union européenne doit être également
applicable au sein des Forces armées. Il est clair qu’EUROMIL fait
régulièrement usage de ce jugement lors de tous ses
contacts avec les autorités et les politiciens.

Mesdames et Messieurs,

Comme déjà dit, EUROMIL a été
créée en 1972. Ce n’était d’ailleurs pas la
première fois que des associations pour des militaires cherchaient
à collaborer. En effet, déjà dans les années
vingt au cours du siècle précédent, des
organisations pour les sous-officiers de Belgique et des Pays-Bas avaient
déjà travaillé de concert. Quand, dans les
années cinquante du siècle précédent, il a
été question de la formation d’une Défense
européenne commune, les associations pour des sous-officiers de
Belgique, de France, du Luxembourg et des Pays-Bas se sont
retrouvées au sein d’un « Comité d’Fntente ». Au nom de la
France, comme membre du comité, nous avons eu « La
Fédération Nationale des Sous-Officiers des Armées
de Terre, de Mer et de l’Air de France et des Colonies ». Et dans
l’intérêt de l’unification de l’Europe, elles ont voulu
travailler ensemble à l’harmonisation et l’unification de statuts
juridiques. Pour cette époque, ils étaient de remarquables
visionnaires !

Toutefois, comme vous le savez, la Défense européenne
commune n’a pu alors être mise sur pied et au cours des
années, les activités du Comité se sont lentement
éteintes. Cela a, entre autres, aussi été dû
au fait que d’autres organisations pour des militaires prévoyaient
de meilleures perspectives dans un forum plus largement concerté
et finalement, EUROMIL a été créée. Au
début, EUROMIL était une petite organisation
constituée de quelques organisations à peine en provenance
de quelques pays seulement. Mais, au cours des années, elle a
évolué pour compter actuellement dans ses rangs 27
associations et 2 observateurs en provenance de 19 pays : un total de
500.000 militaires et leurs familles. Bref, une organisation qui en
impose !

Une organisation qui a acquis le statut de consultant auprès du
Conseil de l’Europe et d’observateur ou d’hôte lors des
réunions parlementaires de l’OTAN, de l’UEO, de l’UE et de
l’OSCE. Lors de tous ces forums internationaux, nous essayons, avec un
succès inégal parfois (et il faut reconnaître ce qui
est, cela ne réussit pas toujours), de réclamer une
attention toute particulière pour les droits fondamentaux des
militaires. Notre dernier grand succès date de septembre 2002
quand l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a
adopté à l’unanimité une recommandation (1572) qui
doit concourir à améliorer la position des militaires sur
le plan du droit associatif et sur celui de la négociation. C’est
maintenant au Comité des Ministres d’y apporter une
réponse.

Mesdames et Messieurs, Chers Amis,

Il me serait bien sûr agréable de pouvoir en dire encore
beaucoup plus sur EUROMIL mais, dans ces conditions, je prendrais trop du
temps de parole qui m’a été imparti ainsi que celui de
votre réunion. En effet, vous devez finalement ici, aujourd’hui,
travailler, discuter et prendre de graves décisions. Et une de ces
décisions est précisément votre future position au
regard d’EUROMIL. J’espère que le processus décisionnel
sera positif pour vous comme pour nous de sorte qu’il sera possible dans
le futur de nous rencontrer plus souvent et de pouvoir échanger,
les uns et les autres, de façon plus large des idées. En
agissant ainsi, nous pourrons dans l’avenir travailler de concert
à l’intérêt général du militaire en
Europe. Et bien entendu, en particulier nous oeuvrerons à
l’intérêt du militaire en France où il est question
de l’obtention avant tout de droits fondamentaux et de libertés
fondamentales. A cet égard, EUROMIL vous aidera de tout coeur et
vous pourrez toujours compter sur mon soutien !

Je vous remercie de votre attention.  »

Lire également :
Présentation de l’EUROMIL

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