Les conditions dérogatoires d’intégration de certaines indemnités dans le calcul de la pension

(EXTRAIT DU RAPPORT PUBLIC PARTICULIER DE LA COUR DES COMPTES AVRIL 2003)

L’article L. 15 du code des pensions dispose que les émoluments de base auxquels s’applique le taux de 2 % par annuité liquidable « sont constitués par les derniers émoluments soumis à retenue afférents à l’indice correspondant à l’emploi, grade, classe et échelon effectivement détenus depuis six mois au moins par le fonctionnaire au moment de la cessation des services valables pour la retraite ». Il en résulte a contrario qu’aucun élément de rémunération autre que le traitement indiciaire, en particulier aucune prime ou indemnité (132), ne fait l’objet de retenues pour pension et n’est pris en compte dans le calcul de la pension. Au fil du temps toutefois, ce principe a subi plusieurs dérogations d’importance inégale. Elles concernent tantôt certains corps particuliers de fonctionnaires (police, administration pénitentiaire, gendarmerie, douaniers affectés à la branche de la surveillance, ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne) et confèrent alors à leurs titulaires un avantage substantiel. D’autres ont un champ d’application plus large soit ministériel (l’indemnité mensuelle de technicité servie aux agents du ministère des finances) soit inter-ministérielle (la nouvelle bonification indiciaire – NBI) mais portent sur des montants beaucoup plus limités. Certaines dérogations, sans aucun fondement légal, ont également été relevées par la Cour à l’occasion de ses contrôles.

Les caractéristiques essentielles de ces dispositifs ou pratiques dérogatoires seront successivement analysées avant que ne soit portée sur eux une appréciation générale.

I – Les personnels des services actifs de police : l’indemnité de sujétions spéciales (ISSP)

La loi de finances pour 1983 (loi n° 82-1126 du 25 décembre 1982) a, dans son article 95, permis qu’il soit dérogé au principe posé par l’article L. 15 du code des pensions, renvoyant à un décret en Conseil d’Etat le soin de fixer l’étendue et la portée de la dérogation. Elle a simultanément augmenté progressivement la retenue pour pension supportée par les intéressés (majoration de 0,5 % au 1er janvier 1983, portée à 1 % au 1er janvier 1987 puis à 1,2 % à compter du 1er janvier 1991). Le décret du 15 mai 1983, non publié au Journal officiel, a prévu l’intégration sur 10 ans d’un dixième du taux normal de l’indemnité pour sujétions spéciales prévue par le décret du 26 décembre 1975 et dont les taux ont été, jusqu’au décret n° 97-1022 du 6 novembre 1997, fixés par des textes eux-mêmes non publiés au Journal officiel.

Après la dernière revalorisation du taux de l’indemnité intervenue en 2002 (décret n° 2002-78 du 17 janvier 2002), le taux de l’indemnité (appliqué au traitement brut) intégré dans le calcul de la pension s’établit comme suit :

Taux de l’ISSP

Libellé du grade Taux ISSP Sous-directeur de service actif de la police nationale 17 % Contrôleur général de service actif de la police nationale 17 % Chef de service actif de la police nationale 17 % Directeur adjoint de service actif de la police nationale 17 % Inspecteur général de la police nationale 17 % Directeur des services actifs de police 10 % Directeur des services actifs de police de la préfecture de police 10 % Chef du service de l’inspection générale de la police nationale 10 % Commissaire divisionnaire de police 17 % Commissaire principal de police 17 % Commissaire de police 17 % (1) Commandant de police emploi fonctionnel 17 % Commandant de police 17 % Capitaine de police 17 % (1) Lieutenant de police 17 % (1) Brigadier-major de police 22 % Brigadier de police 22 % Gardien de la paix 22 %

(1) 18 % jusqu’à l’indice brut 585. Source : décret n° 2002-78 du 17 janvier 2002

Le nombre de fonctionnaires actuellement en activité auxquels s’applique ce dispositif s’élève à plus de 115 000.

L’examen des pensions liquidées en 2001 et 2000 permet de mesurer l’impact de cette dérogation :

Impact de l’intégration de l’ISSP sur la pension des personnels de police

  Nombre de pensions liquidées Age à la radiation des cadres Indice moyen de base Indice moyen avec I.S.S.P. Supplément annuel moyen de pension dû à ISSP 2001 4 596 52 ans 11 mois 476 568 3 479 € 2000 4 757 52 ans 6 mois 468 558 3 431 €

Source : service des pensions

L’intégration de cette prime a donc un effet substantiel sur le niveau des pensions liquidées, puisqu’elle contribue à relever leur niveau moyen d’environ 19 % tant en 2000 qu’en 2001.

Trois observations complémentaires doivent être formulées sur les conditions dans lesquelles cette intégration s’est opérée :

la contrepartie -à savoir la majoration de 1,2 point du taux de la retenue opérée sur la somme constituée du traitement ordinaire et de l’ISSP- apparaît très modeste au regard de l’avantage obtenu en termes de supplément de pension : en prenant le cas d’un gardien de la paix recruté dès la mise en place de l’intégration de l’ISSP, il a été calculé, sur des bases actuarielles, qu’au 30 juin 2015, date prévisionnelle de radiation des cadres, il se sera acquitté de 17 440 € de cotisations supplémentaires qui lui ouvriront droit à un montant total de pension supplémentaire de près de 102 000 € sur la durée de service prévue de la pension ; cette analyse portant sur un fonctionnaire ayant cotisé toute sa carrière au taux majoré vaut bien davantage encore pour tous ceux qui ont intégralement bénéficié de la réforme tout en ne consentant l’effort supplémentaire que sur une partie de leur carrière voire, pour les fonctionnaires radiés des cadres fin 1982, que pendant quelques mois. Le « rendement » de l’effort de cotisation fourni est alors extrêmement élevé. Ainsi, dans le cas d’un gardien de la paix radié des cadres 10 ans après la mise en place de la mesure, un calcul du même type que celui réalisé précédemment fait apparaître un montant de droit à pension représentant près de 30 fois l’effort de cotisation fourni ; le constat vaut a fortiori pour les fonctionnaires (ainsi que leurs conjoints bénéficiaires de pensions de réversion) qui bénéficiaient déjà d’une pension liquidée à la date de démarrage de l’intégration progressive de l’ISSP et qui ont vu leur pension relevée par étapes successives en application du dernier alinéa de l’article 95 de la loi de 1982 susmentionnée. Cette majoration substantielle des pensions en application du principe de « péréquation automatique » analysé au chapitre précédent a été obtenue en effet sans le moindre effort de contribution complémentaire dans le cas des agents ayant fait liquider leur pension avant 1983, ce qui conduit à ce qu’un gardien de la paix radié des cadres à la veille de la mesure d’intégration bénéficie de droits sur la durée de service de la pension de près de 70 000 € sans cotisation.

Il est à noter que les « effets d’aubaine » massifs, voire exorbitants, rendus possibles par cette technique d’intégration des primes, parfois qualifiée de « rétributive » (133) ne sont pas limités à la seule phase de montée en charge du système mais sont susceptibles de se reproduire, à une échelle certes moindre, à chaque fois que le taux de l’ISSP est relevé comme cela a été le cas au début de l’année 2002.

II – Les personnels militaires de la gendarmerie nationale (ISSP)

Un an après les personnels des services actifs de police, les personnels militaires de la gendarmerie nationale ont obtenu, par l’article 131 de la loi de finances pour 1984, l’intégration de l’ISSP dans des conditions très voisines. Seuls le rythme de l’intégration (15 ans) et une condition d’âge (de 55 ans minimum) diffèrent (134) par rapport aux personnels des services actifs de la police. Comme dans ce dernier cas, le décret d’application de la disposition législative (décret du 28 juin 1984) n’a pas fait l’objet de publication au Journal officiel.

L’effet sur les pensions liquidées est très proche de celui analysé précédemment pour les personnels des services actifs de police :

Impact de l’intégration de l’ISSP sur les pensions des personnels de la gendarmerie

  Nombre de pensions Age à la radiation des cadres Indice moyen de base Indice moyen avec ISSP Suppplémentannuel moyen de pension dû à l’ISSP 2001 1 200 55 ans 1 mois 472 565 3 838 € 2000 919 55 ans 1 mois 478 571 3 796 €

Source : service des pensions

Les observations formulées au paragraphe précédent sur les conditions dans lesquelles cette intégration a été opérée et les effets d’aubaine engendrés par la technique « rétributive » valent également pour les personnels militaires de la gendarmerie nationale, une fois pris en compte le caractère plus progressif de l’intégration et le niveau plus élevé du surcroît de cotisation demandé aux actifs à compter de l’intégration de l’ISSP.

(132) Les primes et indemnités représentaient en 2000 17 % des traitements indiciaires servis aux fonctionnaires civils. Ce chiffre moyen recouvre des écarts importants entre corps, catégories et ministères.
(133) A l’inverse d’une technique dite « contributive » qui vise à proportionner strictement le supplément de pension obtenu au supplément d’effort de cotisation fourni, la technique dite « rétributive » fait bénéficier immédiatement tous les actifs et tous les pensionnés de l’intégration et ce pour la totalité de leur carrière, sans établir un lien quelconque entre la durée et le montant de l’effort supplémentaire de contribution d’une part et l’avantage qui s’y rattache en termes de pension d’autre part.
(134) Le taux de retenue applicable tant au traitement qu’à l’indemnité intégrée est, comme pour les personnels de police, de 10,05 % au total mais la majoration opérée en trois étapes entre le 1er novembre 1984 et le 1er novembre 1995 a porté sur 2,2 points compte tenu du fait que depuis la loi du 18 avril 1957 relatif au régime particulier de retraite des personnels de la police, la retenue applicable était supérieure de 1 point au taux de droit commun.

Liste des documents diffusés sur le site :

> 12.05.2003 Les conditions dérogatoires d’intégration de certaines indemnités dans le calcul de la pension (extrait du rapport public particulier de la Cour des Comptes Avril 2003),

> 11.05.2003 La valse des retraites en 3 temps : bonjour, merci,…, au revoir (par Jean-François Thevenin),

> 07.05.2003 L’Adefdromil revendique l’intégration des primes et des indemnités dans le calcul des retraites des militaires (article de Michel Bavoil),

> 07.05.2003 Le CSFM est-il bien informé ? (article de Michel Bavoil),

> 07.05.2003 Communiqué du 7 avril 2003 de la Haute Fonction Publique,

> 01.05.2002 Les pensions militaires de retraite (dossier complet par Michel Bavoil),

> 23.04.2003 Historique des retraites (extrait du livre d’Eugène-Jean Duval),

> 22.04.2003 Les retraites des militaires (commentaires sur un document DFMPC),

> 06.04.2003 Retraite des militaires : l’Armée sera-t-elle une nouvelle fois citée pour son civisme après avoir avalé des couleuvres ? (par Jean-Pierre Fontrel),

> 30.03.2003 Retraites des militaires : intense préparation psychologique (par Michel Bavoil).

Les questions parlementaires :

> 05.05.2003 Régimes de retraite de M. Vitel Philippe (Union pour un Mouvement Populaire – Var),

> 05.05.2003 Pension de réversion des veuves de gendarme de Mme Ramonet Marcelle (Union pour un Mouvement Populaire – Finistère),

> 05.05.2003 Pension de réversion des veuves d’officiers mariniers et marins de Mme Ramonet Marcelle (Union pour un Mouvement Populaire – Finistère),

> 14.04.2003 Intégration de la prime du DQS dans le calcul de la retraite de M. Roustan Max (Union pour un Mouvement Populaire – Gard),

> etc.

Visiter également le site gouvernemental et en particulier :

> 07.05.2003 Le texte de l’avant projet de loi, tel qu’il a été présenté le 7 mai, en Conseil des ministres, au format pdf,

> 07.05.2003 La Lettre du Premier ministre aux Français, téléchargeable au format pdf en [cliquant ici],

> 07.05.2003 Le texte de l’intervention de Jean-Paul Delevoye, Ministre de la fonction publique, de la réforme de l’Etat et de l’aménagement du territoire, au format pdf,

À lire également