Retraites des militaires : intense préparation psychologique

Nous le disions dans un précédent article, les militaires ne pourront échapper à une remise en cause de leurs avantages en matière de pensions de retraite. L’institution chargée, en principe, de défendre nos intérêts, va surtout s’acharner à nous démontrer l’aspect inéluctable de la chose.

Restera à découvrir la nature et le montant de la régression finale, mais plus l’institution « communique » tout azimut, plus les militaires ont des raisons d’être inquiets.

Parcourant la presse nationale, il était déjà difficile de ne pas tomber, ici ou là, sur un article discret faisant état des privilèges (« Régime hors du commun »(1) selon le mensuel Capital de mars) réservés aux serviteurs militaires de l’état. Seule l’actualité guerrière a fait passer cette médiatisation « préparatoire » au énième plan. Pour l’instant, hélas, car il faut s’attendre à une offensive générale, bien avant que les bombardements ne cessent de détourner l’attention.

A cette « diabolisation » externe de ces acquis socioprofessionnels, répond en écho la préparation psychologique interne diffusée par les médias ministériels.

Ainsi la gendarmerie nationale, jamais en retard dans la diffusion des axiomes « d’en haut », publie-t-elle dans sa « lettre aux unités » de mars une petite mise au point en dix questions-réponses.

Donner les réponses officielles à des questions qui n’ont pas encore été posées est toujours bien pratique. Ne nous faisons pas d’illusion, la totalité de la « concertation refondatrice » sera du même style « préfabriqué », ce qui n’empêchera nullement les décisions finales de se prévaloir d’un caractère évidemment consensuel.

Alors qu’apprend-on en dix questions ?

1.- Pourquoi faut-il réformer les retraites ?

La missive entreprend de répéter, à l’envie, le dogme actuel : l’équilibre du système « par répartition » ne sera plus assuré dans quelques années. C’est à dire que le montant des retraites versées par la « sécurité sociale » et les caisses complémentaires, sera « bientôt » supérieur au montant des prélèvements divers.

En oubliant trois questions impertinentes :

Qu’a-t-on fait des excédents des cotisations « retraites » récoltés pendant 58 ans ? Que viennent faire les militaires, dont les pensions sont versées par l’état, dans le régime général de la sécurité sociale et ses régimes complémentaires ? Pourquoi vouloir proroger momentanément un système qui est mathématiquement voué à la faillite à long terme ?

2.- Quelles solutions pour sauver ce régime ?

Même leitmotiv : soit cotiser plus, soit plus longtemps, soit toucher moins (et moins longtemps).

Mais il y a un scoop ! Alors que le consensus général (civil) se forme autour d’une augmentation de la durée du travail, mais sans toucher aux deux autres leviers, le ministère de la défense laisse entrevoir un panachage des trois : « Faire peser la réforme sur un seul des leviers n’aurait pas de sens ». Pas bon !

3.- Les militaires sont-ils concernés ?

Evidemment oui, sinon pourquoi tout ce battage ? Mais l’argument produit par l’institution vaut son poids de cacahuètes : « il est normal que les avancées dont bénéficient les fonctionnaires profitent aux militaires »… Donc, « il en est de même si des efforts doivent être consentis »…

Voilà des années que les organisations d’anciens combattants bataillent pour la transposition légale (et non « normale » : loi DURAFOUR) des mesures favorables obtenues par les syndicats de la fonction publique, sans beaucoup d’aide de la part des hautes autorités. Il suffira d’un court instant pour s’en voir transposer les mesures défavorables, sans certitude d’ailleurs que les dites mesures seront bien appliquées un jour aux dits fonctionnaires.

4.- Quelles sont les spécificités des pensions militaires ?

La réponse est sensée les expliciter de manière irréfutable. Or il ne s’agit que du simple énoncé des « avantages » : bonifications, jouissance immédiate d’une pension, cumul emploi-retraite.

Pour toute justification, le ministère avancera : « l’état militaire qui exige des gens jeunes, mobiles, disponibles ». C’est assez vache pour les autres administrations.

Voilà un argument bien court et solitaire, à contre courant de la nécessité de faire retravailler les « quinquas » et tout aussi incohérent avec le principe de fidélisation et d’augmentation des limites d’âge. Mais qui éclaire sans doute le désintérêt « militaire » pour l’unique solution de l’augmentation de la durée de cotisations.

Mais faire admettre qu’il faut des primes de fidélisation pour les anciens, et conserver les incitations au départ pour les jeunes n’est pas gagné d’avance.

5.- A quels principes doit obéir la réforme du régime des pensions militaires ?

Eu égard à ce que nous avons déjà vécu, il n’est pas évident que la réforme obéira à nos principes, ou même qu’elle s’en souciera. Ce sont plus vraisemblablement les militaires qui obéiront à des impératifs d’où leurs intérêts particuliers seront absents.

Le premier principe forçant l’obéissance serait celui de « la capacité opérationnelle des forces » et de la « moyenne d’âge jeune » sur laquelle elle repose. N’importe quel employeur ferait sien ce principe : employé jeune, compétent, dynamique et pas cher (et mobile, et disponible).

Evident pour une partie « spécialisée » de la force, la capacité opérationnelle se mesure aussi à l’expérience des personnels qui mettent en oeuvre le matériel.

Le colonel De Gaulle, dans son remarquable ouvrage prédictif, rattachait cette nécessité de jeunesse au simple fait que : « on ne meurt bien que jeune ».

L’argument n’a pas été réutilisé, l’évolution des moeurs est incontestable.

6.- Comment, au sein du ministère, est conduite la réflexion sur les retraites ?

Pas de surprise ! Comme toutes les autres réflexions sur la condition du militaire : sans aucune concertation avec les principaux intéressés. Puisqu’on vous dit que c’est le chef qui…

D’ailleurs tout cela a commencé dès 2002, c’est dire si nous sommes en avance par rapport avec les autres « concertations » des forces vives de la nation.

Pas de surprise non plus, l’axe de réflexion fut celui « d’une gestion active des ressources humaines ».  A quand une gestion humaine de la ressource ?

7.- Comment la Défense fait-elle entendre sa voix dans le débat national ?

Question qu’il vaudrait mieux ne pas poser de peur qu’on nous confirme l’indigence des moyens et des résultats. D’ailleurs la réponse est de niveau scolaire maternel : « la ministre l’a dit au premier ministre… ». On voit très bien la scène se dérouler sur les marches de Matignon : « Et dis donc Jean-pierre, à propos de retraites… »

La réponse à cette 7ième question rappelle quand même l’absence d’un système de « représentation » comparable à celui des autres fonctionnaires.

Nous, on est représenté par nos chefs, ça va quand même beaucoup plus vite (cf. § n° 9 : calendrier !).

8.- Comment les militaires seront-ils informés de l’évolution du dossier ?

Les militaires seront plus « formés » qu’informés. C’est d’ailleurs le but de « la lettre aux unités » : distribuer à chacun la même partition pour éviter les fausses notes de « communication ». En dehors du très officiel www.defense.gouv.fr/sga/, nous vous conseillons www.defdromil.org/. Non seulement ce n’est pas la voix de son maître, mais les infos risquent d’en sortir avant l’autre (pour les adhérent(e)s, faut bien vivre !).

Notons que les CFM-CSFM seront réunis sur le thème « l’avenir des retraites » quelques temps avant la décision, mais après la réflexion. Ca risque de ne pas plaire.

9.- Quel est le calendrier de la réforme ?

Intégrée dans le projet plus ambitieux de la réforme des retraites, celle des militaires est déjà quasiment bouclée puisqu’il ne s’agit que de légitimer le travail des états-majors (octobre 2002).

De quoi donner des regrets à FILLON qui débute les préliminaires du commencement des rencontres préalables avec les « partenaires sociaux » pour les autres citoyens. Aux dernières nouvelles, on était déjà « au bord de la rupture ».

Le « calendrier général » apparaît donc très excessivement optimiste puisque entre février (hier) et juillet (demain) tout doit être torché.

Etonnant quand même pour une réforme cent fois remise à plus tard et qui pouvait faire sauter cent fois le gouvernement.

Encore que… attendons l’été.

10.- Les réformes des pensions et du statut des militaires sont-elles liées ?

OUI ! Bien évidemment, et poser la question, c’est déjà y répondre.

C’est pourquoi la réponse officielle se livre à un slalom entre des « problématiques différentes », des « nécessités différentes », des « calendriers distincts » (avant l’été !), des « enjeux communs », pour conclure benoîtement que « l’une prendra en compte les dispositions retenues pour l’autre ». Et sans doute inversement, mais c’est tout à fait fortuit.

A suivre…

(1) Extrait de Capital N°138 de mars 2003

33% des retraites payées par l’Etat vont aux militaires.

[Ce régime hors du commun a fait grimper le montant des pensions militaires à 11 milliards d’euros en 2001. Soit le tiers des retraites payées par l’Etat, alors que l’armée n’emploie que 16% des fonctionnaires. Certes cela évite d’envoyer au combat des soldats aux tempes grisonnantes. « Mais cette création de gros bataillons de jeunes retraités est un énorme gâchis, estime Pascal Beau, expert en protection sociale. L’Etat devrait prolonger la carrière des militaires dans la fonction publique, ce qui coûterait bien moins cher. »]

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