De la gloire au psychodrame : revue d’une descente aux enfers au ministère de la défense. (Par Michel Bavoil, vice président de l’Adefdromil)

La gloire, c’est celle de l’opération victorieuse au Mali. Le psychodrame, c’est la concertation dépourvue d’aménités entre le ministre et le CSFM. Mais, entre la gloire et le psychodrame, il y a le marécage Louvois à franchir.

Mali, l’embellie qui cache la misère.

Engagée, par le Président de la République en janvier 2013, contre les djihadistes au Mali, l’armée française remporte en quelques mois une victoire éclatante. Le massif des Ifoghas « sanctuaire des groupes terroristes » et théâtre des « combats les plus durs », est nettoyé. « Le territoire a été sécurisé, les djihadistes ont quasiment disparu, une vie normale a repris…  La cote de popularité du ministre de la défense Jean Yves Le Drian est à son zénith. Il entreprend une tournée des popotes comme jadis le Général De Gaulle en Algérie. A Gao, il déclare devant un parterre de 250 soldats chantant la Marseillaise, «  Mon premier sentiment est la fierté ». Les tripes remuées par ces voix mâles, il ne tarit pas d’éloges et évoque tour à tour « les qualités professionnelles, le courage, le sang froid, le don de soi…jusqu’au don de [votre] vie ». Depuis l’aéroport de Tessalit, il déclare à la troupe « Sur vous, ainsi que sur nos frères d’armes tchadiens, dont je sais les souffrances et dont je salue le grand courage, repose désormais une grande part du succès de l’opération « Serval »Il ne pouvait pas faire moins face au bilan humain significatif du côté tchadien (38 morts selon Wikipédia, beaucoup plus selon d’autres sources).

Mais, tout à sa gloire, notre ministre en a oublié de renvoyer l’ascenseur en omettant de prendre les premières dispositions visant à accorder la campagne double aux militaires engagés dans l’opération « Serval », qualifiée de « guerre » par le Chef des armées. Cela n’émeut pas le CSFM, mais agace l’Adefdromil qui est à l’origine de la mesure pour l’Afghanistan.

La misère : les militaires sont désormais au RSA (Régime de solde aléatoire).

Le ministère bien géré laissé par Gérard Longuet, a fini par dévoiler un vice caché : LOUVOIS ! Soldats et cadres ne sont pas payés ou trop payés ! 130 millions d’euros de trop-perçus…De nombreux bénéficiaires en fin de contrat sont dans la nature. La machine s’emballe et le ministre s’énerve. En bon démagogue il déclare la guerre à LOUVOIS « C’est une bataille, c’est un combat. C’est un combat qu’il faut mener ensemble et c’est un combat que nous gagnerons ensemble. ». Sauf que, malgré les incantations et les bonnes intentions, l’informatique ne suit pas et on parle de plus en plus d’abandonner le « désastreux logiciel ».

Qui est responsable ? C’est ce qu’essaye de déterminer la commission de la défense nationale présidée par Mme Patricia ADAM, dont l’agenda est surbooké depuis son arrivée dans le poste. Ainsi, l’Adefdromil n’a pas eu le privilège d’être reçue par la dame, qui dispose d’un contrôleur général des armées détaché, chargé de lui expliquer.

Les protagonistes de la « success story »LOUVOIS ont donc eu beaucoup de chance d’être reçus.

–     CGA Jean-Paul Bodin, directeur de cabinet adjoint à l’époque de la fameuse bascule et actuel secrétaire général pour l’administration (SGA). « Toutes les décisions de « bascule » ont été collectives, présentées par l’ensemble du ministère au ministre, après plusieurs mois de paye en double et après que l’accord des uns et des autres ait été recueilli ». C’est donc la faute à pas de chance et personne n’est responsable, surtout pas lui !

–     CGA Jacques Roudière, ancien directeur des ressources humaines du ministère de la Défense, seul acteur à présenter ses excuses  à tous ceux qui ont été lésés. Il  déclare : « S’agissant des responsabilités, le directeur des ressources humaines a, selon les textes, une mission de pilotage – que j’ai accomplie. Le DRH-AT, quant à lui, est responsable de l’administration et de la gestion du personnel de l’armée de terre. Notre ministère est grand et complexe et il existe d’autres responsabilités prévues par les textes qui répartissent les attributions entre directions et services plutôt fonctionnels et les états-majors. Aujourd’hui, dans les mêmes conditions, et avec les mêmes informations, je proposerais les mêmes recommandations. » M. Roudière a été remplacé par décret du 12 juillet 2012.

–     CGA Christian Piotre, secrétaire général pour l’administration à l’époque et chef du contrôle général des armées lors de son audition. Pour lui, les choses sont extrêmement claires : « il n’y a pas eu d’incurie, d’incompétence ou d’irresponsabilité». M. Piotre a néanmoins été remercié lors du Conseil des ministres du 10 juillet 2013.

–     Amiral Edouard GUILLAUD, chef d’état-major des armées : «  Je suis à la fois furieux et vexé de ne pouvoir influer sur la situation. » « en vertu du décret 2009-1179 signé à la même date et fixant les attributions du secrétaire général pour l’administration, c’est la direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD) qui « assure le pilotage des systèmes d’information ministériels en matière de ressources humaines, et notamment de solde, de paie, de droits individuels et de pensions. » Ce n’est pas fuir ses responsabilités que de le dire. C’est un fait avéré, qu’il est nécessaire de rappeler. » « J’ai donné mon accord pour la bascule et j’ai eu tort. J’assume ma part de responsabilité, mais pas celle des autres ! J’observe aussi que l’on essaie de la faire porter à d’autres et, par exemple, que le SCA est mis en accusation. Créé le 1er janvier 2010, il n’existait même pas au moment de la conception de Louvois… » 

–     Général (2 S) Elrick Irastorza, ancien chef d’état-major de l’armée de terre, « Que la conduite du programme Louvois ait été un temps confiée à la direction centrale du commissariat de l’armée de terre (DCCAT) est une chose mais je rappelle que la direction de programme dépendait directement de la DRH-MD. » « Les autorités impliquées dans la conduite de cette transformation ont-elles été informées de nos préoccupations ? Oui, de manière informelle mais aussi de manière formelle. La lettre du chef d’état-major des armées de mai 2010 rend bien compte des inquiétudes dont je lui avais fait part dès notre premier entretien et régulièrement par la suite. En revanche, les heureux futurs « bénéficiaires » de cette réforme savaient-ils que le calculateur se montrerait aussi capricieux, pour rester dans un registre correct ? La réponse est non. »

 

Si l’Amiral GUILLAUD et le général d’armée IRASTORZA assument avec sincérité, courage et honneur leurs responsabilités somme toute minimes dans cette affaire, l’attitude de certains responsables du fiasco LOUVOIS est pathétique ! Plus politique que militaire, notre énarchie militaire tente de diluer ses responsabilités en noyant l’historique de la conception de Louvois dans une multitude de détails ce qui entraîne une réplique cinglante du député MESLOT au CGA Bodin : « Vous nous avez fait un historique très complet, peut-être trop d’ailleurs, comme si on voulait noyer dans l’historique les causes réelles du problème. »

En tout état de cause, l’Adefdromil partage entièrement l’analyse et les conclusions du député Gilbert Le Bris suite aux stupéfiantes déclarations du CGA PIOTRE:

« En disant qu’il n’y a pas eu d’incurie, d’incompétence ou d’irresponsabilité, vous dédouanez facilement le ministère de la Défense. Je pense qu’à côté de la responsabilité politique – sanctionnée par le suffrage universel –, doit exister une responsabilité administrative : lorsqu’un service opérationnel, logistique ou technique fait une erreur, il y a sanction, mais lorsque c’est le cas d’un service administratif, il n’y a rien ! Certes, cela ne coûte pas de vie humaine, mais la facture est tout de même de 400 millions d’euros… Or, sont encore au ministère ceux qui ont fait ces erreurs. Cela est d’autant plus inacceptable que l’on ne tire pas les conséquences de ces dernières…

Vous êtes responsables collectivement et je souhaite que des sanctions soient prises au sein des services administratifs des armées.»

Votre vœux est exhaussé Monsieur le député Le Bris ! La première sanction est tombée : par décret  du 28 juin 2013 portant promotion et nomination, le CGA Jean Paul BODIN a été promu au rang d’officier de la Légion d’honneur !

Peut-être une sucette en attendant d’aller travailler dans une entreprise de porcelaine… à Limoges ?

Pour l’heure, les adhérents de l’Adefdromil touchés par le système de solde Louvois et vivement impressionnés par une telle sanction, patientent  en regardant l’émission « Plus belle la vie »… alors que l’été s’annonce chaud dans les armées !

La concertation à la dérive.

En effet, chaude fût la réunion de la 89ème session du Conseil supérieur de la fonction militaire qui s’est tenue du 17 au 21 juin 2013 à l’Ecole militaire à Paris.

Tout a basculé le jeudi 20 juin 2013 suite à deux évènements :

1° la diffusion d’une note sur la préparation du rendez vous 2013 de la réforme des retraites ;

 Ce document de travail évoque une série de pistes de réformes, dont une concernant la réversion de la pension, qui a immédiatement engendré une grande colère des membres présents.

2° la présentation par le DRH-MD d’une mesure tendant à remplacer progressivement des jours payés de temps d’activité et d’obligations professionnelles complémentaires par des jours de permission. Cette mesure aurait pour conséquence, en décembre 2013, le retrait de 2 jours de TAOPC sur la solde, soit 170 euros. Selon un officier supérieur présent, « cette annonce a fait l’effet d’une bombe, et le DRH-MD s’est presque fait lyncher sur place ».

De ces deux évènements ont découlé des contestations virulentes. Certains ont menacé de descendre dans la rue renouvelant ainsi leur menace de décembre 2012. D’autres ont proposé de boycotter le 14 juillet…

 Au final, les membres du CSFM ont décidé de faire part dans leur avis au ministre de la défense de leurs vives préoccupations et de leur colère ! Ils lui ont rappelé qu’ils étaient conscients de la limite de ses pouvoirs dans les négociations avec le ministre de l’économie et des finances et, crime de lèse Majesté, pendant la lecture de l’avis, ils ont demandé la présence du Président de la République, chef des armées, afin d’être entendus notamment sur le sujet des retraites et la condition militaire en général !  Pas besoin de syndicats pour faire face à des apprentis rebelles !

Très susceptible, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a considéré cette demande comme un échec personnel et il s’est braqué, allant jusqu’à interdire au secrétaire général du CSFM de diffuser l’avis émis.

Au lieu de se féliciter de l’indépendance et de la liberté de parole du CSFM, le cabinet noir du ministre de la défense s’est lancé dans une chasse aux sorcières en exigeant, selon Jean Guisnel, journaliste défense à l’hebdomadaire Le Point, des sanctions à l’encontre de deux officiers supérieurs soupçonnés à tort d’être à l’origine de la fronde. Voici venue l’heure des colonels, qui, dans l’ouvrage d’Yves Courrière sur la Guerre d’Algérie, précédait : « Les feux du désespoir »  !

L’Adefdromil regarde avec beaucoup d’intérêt toute cette agitation au Conseil supérieur de la fonction militaire qui démontre que le modèle de concertation dans les armées a atteint ses limites.

L’Adefdromil est fermement opposée à d’éventuelles descentes dans la rue ou au boycott du 14 juillet, qui paraissent relever de rodomontades. Le CSFM est une instance de dialogue, pas une instance de chienlit. Au même titre que les syndicats, le Conseil supérieur de la fonction militaire est dans son rôle lorsqu’il défend les droits acquis obtenus par les générations de militaires précédentes. Le ministre de la Défense doit l’accepter. Aucune avancée significative de la condition militaire n’a été obtenue dans la facilité. Il suffit de se souvenir des comités de soldat, de la mise en place du général Bigeard comme secrétaire d’Etat à la Défense, du Mouvement des femmes de gendarmes, de la descente des gendarmes dans la rue et de la création de l’Adefdromil en 2001 … C’est donc à juste titre que le CSFM s’est opposé fermement à la remise en question des droits acquis surtout lorsqu’il s’agit des droits des soldats les plus démunis comme c’est le cas avec cette tentative de reprise de 170 euros !

Quoiqu’il en soit, cette affaire tombe très mal pour le ministre de la Défense. En effet, ce fiasco intervient juste au moment où le gouvernement français doit répondre à la CEDH à la requête n ° 32191/09 Adefdromil c. France aux deux questions suivantes :

1. «Les arrêts du Conseil d’Etat déclarant l’association irrecevable à demander l’annulation de textes réglementaires au motif qu’elle contrevient aux prescriptions de l’article L.4121-4 du code de la défense dès lors qu’elle a pour objet statutaire la défense des intérêts professionnels des militaires, caractérisent-ils une restriction dans l’exercice du droit à la liberté d’association au sens de l’article 11§2 de la Convention ?

2. Au vu de ses conséquences pour l’association requérante, l’interdiction totale et absolue des groupements professionnels à caractère syndical au sein de l’armée est-elle « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre l’un des buts énumérés au second paragraphe de l’article 11 de la Convention ? S’agit-il d’une restriction légitime au sens de la dernière phrase de cet article ? »

L’Adefdromil attend avec confiance la décision de la CEDH. Elle  pense également que le Conseil supérieur de la fonction militaire est entrain de vivre ses derniers soubresauts avant l’avènement inéluctable du syndicalisme dans les armées sous une forme qui reste à préciser.

Michel BAVOIL

11/07/2013

 

 

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