On attendait Poncet, et ce fut de Malaussene (Par Jacques Bessy, président de l’Adefdromil)

Dans ce « Waterloo » de l’éthique du soldat que constitue l’affaire Mahé, on attendait beaucoup et évidemment trop de l’audition du général Henri Poncet, hier  4 décembre 2012.

Avec son pantalon de flanelle gris et son blazer bleu, le général de petite taille semble apprêté pour aller à une cérémonie d’anciens combattants, béret rouge dans la poche. Il n’a plus sa superbe d’antan.

Son élocution est claire et son vocabulaire simple. Il réfléchit avant de parler et cela lui évite le faux pas que les avocats des accusés guettent. Son discours est même parfois académique, lorsqu’il parle du cadre juridique de l’opération « Licorne », par exemple.

Le colonel de gendarmerie (e.r) Jean Michel Méchain, présent dans l’assistance, qui a eu un différend professionnel profond  avec le général alors qu’il était en poste au Kossovo en 1999, en est abasourdi : « lui, qui voulait refaire la bataille d’Alger à Mitrovitsa, il a beaucoup progressé sur l’étude du cadre juridique d’une opération extérieure… »

Après sa longue présentation de la situation en Côte d’ivoire, le général en arrive aux faits. Il a couvert le meurtre pour « ne pas rajouter une crise à la crise ». Mais il n’a en aucun cas donné un ordre implicite de tuer Mahé. Il dit avoir découvert les détails de l’affaire dans le cadre de l’instruction judiciaire. Y a t-il eu un seul ou plusieurs contacts téléphoniques avec le colonel Burgaud, après l’arrestation de Mahé ? Pour le général : un seul ! Pour le colonel Burgaud plusieurs ! Mais, le temps et les circonstances ont fait leur œuvre sur les traces éventuelles de ces appels. Lorsque les questions se font trop précises, le général ne se souvient plus. Début d’Alzheimer à 63 ans ou mémoire sélective opportuniste, à chacun de choisir !

Le général désapprouve bien sûr la mort de Mahé. Il aurait préféré, dit-il, un prisonnier vivant, qui lui aurait servi pour demander la modification de la résolution des Nations Unies. Il explique l’initiative du colonel Burgaud d’un point de vue psychologique. Sous la pression de la mission et des événements, le colonel Burgaud et ses hommes auraient connu « un décrochage du sens moral et une trop grande empathie pour les populations et leurs souffrances ».

Le colonel Burgaud réagit : « je ne savais pas que j’étais commandé par un psy, je croyais l’être par un chef ! ». Le général ne bronche pas. Ce n’est pas son intérêt. La salle applaudit et le président rappelle le public au calme.

Le témoin Henri Poncet –qui a bénéficié d’un non-lieu, est ensuite soumis au feu des questions des avocats, qui aimeraient bien lui faire dire explicitement qu’il a donné un ordre implicite ou du moins de faire apparaître qu’il était capable d’avoir donné cet ordre implicite.

Tâche difficile ! L’homme est retors et sait esquiver. Les petites avancées de Me Gublin, avocat du colonel Burgaud, sont même annihilées par l’intervention maladroite de l’un de ses confrères.

Michèle Alliot-Marie, ancienne ministre de la Défense, s’étant annoncée pour 18H30, on passe alors après une courte suspension à l’audition du général Renaud Alziari de Malaussene, qui commandait alors la brigade d’infanterie alpine à Grenoble, et qui, envoyé en Côte d’Ivoire avec deux de ses unités est devenu l’adjoint « opérations » du général Poncet.

 Le contraste est terrible entre le discours habile et convenu du général Poncet et la sincérité courageuse du général de Malaussene. Il explique en préambule que l’origine de cette affaire a sa source dans la personnalité du général Poncet.. En particulier, il a été reçu, avant son départ, pendant une heure par les généraux, chef d’état-major des armées et chef d’état-major de l’armée de terre. 45 minutes de l’entretien ont été consacrées à l’examen de personnalité de son futur chef, le général Poncet, connu pour ses emportements et son style de commandement « à la hussarde ».

Au moment des faits, le 13 mai au soir, il n’était pas joignable sur son portable, qui était un moyen non sécurisé de communication. Le lendemain, en apprenant les circonstances de la mort de Mahé, il a évidemment demandé au colonel Burgaud, son subordonné en métropole, les raisons de son ordre. Burgaud lui a indiqué n’avoir fait qu’obéir à un ordre implicite de Poncet. Et il est convaincu, connaissant Burgaud, que cet ordre a bien été donné.

Il désapprouve et regrette la mort de Mahé, mais l’explique, après avoir beaucoup lu, par une sorte d’application instinctive d’un droit naturel supérieur visant à protéger les populations. Il demande donc l’indulgence de la Cour pour les différents protagonistes de l’affaire.

Le général de Malaussene a été rattrapé par l’affaire Mahé plusieurs mois après, alors qu’il était au Kossovo. Il a été rapatrié et a été sanctionné d’un blâme du ministre, tout comme le général Poncet. Lors de l’enquête de commandement du général Cuche, il a bien parlé de cet ordre implicite. Il a découvert avec stupeur que son témoignage avait été passé sous silence dans le rapport. Mais, le président indique qu’il figure dans les notes que le général Cuche a laissées à la Cour. Le général de Malaussene a préféré mettre fin à sa carrière. Il est actuellement directeur général d’une fondation basée à Lyon, s’occupant d’handicapés.

Après son témoignage courageux, clair, et sans concession, l’infamie a changé de camp.

Pour conclure, il faut souligner la parfaite connaissance du dossier et la non moins parfaite maîtrise des débats du président de la Cour d’assises Olivier Leurent. Certains esprits chagrins craignaient que la Justice ne s’égare dans un domaine où on ne voudrait pas qu’elle intervienne.

Le président Leurent fait la démonstration inverse.

Il s’agit, en définitive, d’un cas concret de ce que peut être la « judiciarisation », et qui sonne comme une entrée en matière du colloque des 6 et 7 décembre organisé par le centre de recherches des Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan sur ce thème à l’Assemblée nationale.

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