Pourquoi un statut militaire ?

Pourquoi un statut militaire ?

Il est facile de dire comme on l’a fait récemment en haut lieu à propos des militaires et des gendarmes : « statut militaire », c’est à dire « silence dans les rangs ».

En négociant comme il l’a fait et en sablant le champagne avec les gendarmes en colère, le ministre de la Défense a, de fait, renoncé à ce qui constituait jusque là l’essentiel du statut militaire; dans ces conditions, pourquoi ne pas adapter le droit au fait ?

La vraie question n’est elle pas de se demander pourquoi un statut militaire aujourd’hui où la conscription, c’est à dire la participation obligatoire de tous à la défense de ce que l’on n’ose plus nommer « la patrie », a définitivement disparu ?

Le statut général des militaires de 1972, issu du statut général des officiers de 1834, du statut des sous-officiers de carrière de 1928, de celui des officiers mariniers et maints autres textes, est un statut parmi d’autres appliqué à des personnels relevant de la fonction publique. Depuis 1946, le statut de la Fonction publique a été modifié à maintes reprises, adapté à la décentralisation et à la spécialisation.

Deux ordonnances de 1945 et, surtout, le décret de juillet 1948 (1), ont intégré les militaires dans une unique grille indiciaire de rémunération des personnels civils et militaires de l’Etat; en dépit de cette intégration dans un classement unique , les militaires ont toujours été régis par un statut qui se distingue fortement de celui régissant les autres catégories d’agents de la fonction publique : ils n’ont ni droit de grève, ni droit de représentation pour la défense des intérêts professionnels, leur liberté d’expression est restreinte et ils sont astreints à une disponibilité permanente.

Oui, il est souhaitable que les militaires soient soumis à un statut particulier, mais le particularisme des temps anciens est en grande partie totalement dépassé du fait même de l’évolution générale de la société.

Oui, la disponibilité permanente est par principe justifiée, l’Etat en a besoin;

Oui, pour éviter toute tentative de « crosses en l’air », l’interdiction du droit de grève est justifié.

Mais dans le contexte de la société actuelle à laquelle le Gouvernement et le Parlement ont fixé comme objectif la réduction du temps de travail à 35 heures par semaine, en vertu du principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi, il est tout à fait injustifié que seule la catégorie des personnels sous statut militaire en soit écartée et se trouve exploitée.

De même, pour la même raison, pour éviter de tirer à hue et à dia, il est justifié que les militaires ne soient pas affiliés au système actuel de syndicalisation appliqué dans le monde du travail ; par contre, il est absolument rétrograde de leur interdire, contrairement aux autres catégories, de disposer de moyens de défense de leurs intérêts professionnels.

La fonction militaire, comme d’autres catégories de fonctions de sécurité, est soumise à des régimes d’astreintes mais, quelle que soit la catégorie concernée, ces astreintes dont fait partie la disponibilité permanente doivent être justement compensées à due proportion de ce qui est fait pour les autres catégories. Ceci est d’autant plus indispensable que jusqu’à ce jour les militaires sont privés d’organismes de défense de leurs droits.

Il n’est pas sain de vouloir imposer un régime monastique à une catégorie particulière d’agents au service de l’Etat. Les militaires font partie de la société et, comme le chef des armées l’a rappelé trois années de rang à l’occasion de la présentation des voeux des armées, la société militaire doit de plus en plus être alignée sur la société civile; c’est la condition même pour continuer à assurer aux armées un recrutement constant et de bonne qualité. Il n’y a plus aucune raison pour que les personnels des armées (à l’exception de quelques hauts postes de responsabilité) ne bénéficient pas des mêmes droits que les autres fonctionnaires en matière d’éligibilité et de participation à la vie de la communauté nationale.

Il est tout a fait justifié que pour, des raisons d’aptitude physique, les limites d’âge d’activité ne soient pas celles du fonctionnaire lambda ; par contre, il n’y a aucune raison pour que le service des armées de la France se transforme de plus en plus en une multiplication de contrats à durée déterminée, résiliables ad nutum, alors que la fonction publique ordinaire bénéficie d’une si grande stabilité et que les jeunes Français s’y précipitent à raison même de cette forme de sécurité de l’emploi. En contrepartie de limites d’âge très courtes dans certains grades et emplois, les militaires doivent pouvoir disposer de garanties d’emploi et de formation et cesser de se heurter, lorsqu’ils se reconvertissent, aux diktats de l’Unedic.

Le statut militaire doit être d’emploi limité ; à moins de refuser toute efficacité aux services de secours et d’incendie des villes de France, le maintien sous statut militaire des dits services à Paris et Marseille n’est qu’une survivance anachronique.

La « vertu » militaire (au sens étymologique du terme) est une nécessité qui se traduit par une entière disponibilité, mais cette « vertu » indispensable n’est plus celle du quartier de Vincennes d’Alfred Vigny dans « Grandeur et servitude militaire » ; elle n’est pas non plus celle du « Désert des Tartares » de Dino Buzatti. Cette « vertu » doit être adaptée à notre temps, les saints et les héros sont souvent davantage dans le quotidien que dans l’exceptionnel.

De même, pour de simples questions de moral, d’efficacité et de foi en leur mission, il est indispensable que les engagements pris pour l’équipement des forces, notamment par les lois de programmation, soient mieux respectés qu’ils ne l’ont été jusqu’ici.

Le militaire devenu « professionnel » depuis la décision prise de façon régalienne plus que démocratique et républicaine par le chef des armées le 22 février 1996 ne doit être traité ni comme un kleenex que l’on jette après les premiers éternuements, ni comme un simple rond de cuir à la Courteline, mais comme un citoyen au service des armes de la République et de la France.

Eugène-Jean DUVAL Contrôleur Général des Armées (C.R.)

Article paru dans le n°158 de la Tribune des Sous-officiers, et reproduit avec l’autorisation du Directeur de cette revue et l’auteur. L’Adefdromil les remercie très sincèrement.

Du même auteur :
– « Etapes de la citoyenneté des militaires, 1789-1999 »- Editions des Ecrivains, juin 2000.
– « La révolte des sagaies- Madagascar 1947 » – Editions l’Harmattan 5/7 rue de l’école polytechnique- 75005 PARIS (29 Euros), avril 2002.

(1) Selon la direction de la Fonction publique, ce décret a été modifié à 450 reprises environ; et l’on ne sait plus très bien où on en est dans ce classement

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