Les retraites (des militaires)

Peut-on, aujourd’hui, encore parler des Retraites des militaires ? La réponse est négative, elle est même d’autant plus négative que le nombre des militaires a été autoritairement réduit et que tout est mis en oeuvre pour que de moins en moins de militaires puissent bénéficier encore du statut de retraités de la Fonction publique. Cette situation est d’autant plus préoccupante que nul ne s’en inquiète et que surtout les militaires sont devenus depuis 1996 une catégorie parmi d’autres d’agents professionnels de l’Etat. De plus en plus les militaires sont, pour reprendre une terminologie usuelle, en CDD (contrat à durée déterminée), c’est-à-dire qu’ils n’ont pas vocation à aggraver le déficit des comptes de l’Etat.

Un article récent du très sérieux journal hebdomadaire, satirique, dit-on, a mis en cause le régime très spécial des militaires.

La seule bonne question que l’auteur de cet article ne pose pas est bien celle de savoir combien il y aura encore de militaires susceptibles de bénéficier des avantages dont elle parle à un horizon de quelques années. Si elle avait consulté la situation de la dette viagère de l’Etat publiée chaque année par le Service des Pensions du ministère de l’économie et des Finances, elle aurait pu constater la décroissance spectaculaire du nombre de retraités militaires.

Certes, pendant un certain temps, la France devra encore payer la facture, mais cette facture n’est autre que le prix de la paix, identifié par le biais des pensions militaires de retraite et d’invalidité.

De plus en plus, le nombre de militaires hommes du rang et sous-officiers susceptibles d’atteindre les quinze ans de service ouvrant droit à pension immédiate au terme de ce faible contingent d’années de service ne cesse de diminuer. De même, le nombre des officiers sous contrat à durée déterminée ne cesse de croître et dès lors de rentrer dans la catégorie des futurs retraites du régime général de la Sécurité sociale.

Il est hautement regrettable que le ministère de la défense n’ait jamais réalisé, à notre connaissance, une étude sur la population des militaires alors que toutes les données sont là et facilement exploitables si on le veut ; seul le DRH (Directeur des Ressources Humaines) du ministère de la défense semble avoir quelques vues sur la question si du moins on en croit le journal le Figaro d’il y a trois semaines. La rétention d’informations est un péché contre l’esprit, une sorte de crime de l’information.

Encore un peu de temps, et tous les militaires auront rejoint la cohorte potentielle des retraités de la Sécurité sociale. L’outil statistique de la Défense, sur lequel le DRH a la haute main, reste top secret. Que représentent aujourd’hui les bonifications qui jadis furent une des caractéristiques enviées du régime de retraite des militaires et qui avait, disons-le, une forte tendance à bénéficier aux « coloniaux » à condition qu’ils reviennent vivants et puissent jouir d’avantages acquis ? Ces bonifications, de plus en plus rares, seront-elles définitivement perdues ou traitées comme celles des retraités de la Fonction Publique ?

C’est sans doute la raison pour laquelle, lors des projets de remise en cause des régimes spéciaux, le système de retraite de la Fonction Publique est tenu pour la Référence, du moins si l’on en croit les journaux.

La situation de la France « retraitable » n’incite-t-elle pas à ouvrir quelques pistes de réflexion dont certains hommes politiques ne veulent surtout pas entendre parler ?
La trilogie inscrite aux frontons de nos édifices publics anciens devrait donner à réfléchir.
Tout Français qui a, dans une profession ou dans une autre, au service de l’Etat ou d’entreprises privées de grande ou de petite taille ou simple travailleur indépendant (ce qui n’est pas sûr), devrait avoir droit à la même retraite de base. C’est ce que l’on pourrait appeler un plancher de ressources financières pour le temps de la retraite c’est-à-dire de la cessation d’activité au terme d’un nombre d’années fixé par la loi. Le lecteur remarquera de suite que les questions de pénibilité, de durée de cotisation à partir d’un minimum, ne sont que débats de spécialistes capables de couper des cheveux en quatre.

Dans notre pays, tout est fondé sur l’inégalité, sur les particularités mais en oubliant que l’histoire est frappée du sceau de l’évolution : tout le monde regarde l’assiette du voisin mais refuse d’étaler la sienne.
La première des choses est, semble-t-il, de faire un inventaire complet de tous ces régimes spéciaux, sans oublier bien sûr ceux de catégories qui ne veulent pas que l’on parle de leur cas : pourquoi, députés, sénateurs et autres bénéficieraient-ils de privilèges à vie ?
Pourquoi les dirigeants d’entreprises continueraient-ils à se faire octroyer dès leur entrée en fonction tant de « stock options » dont nombre et valeur sont soigneusement cachés ?
Toutes les retraites complémentaires sont-elles transparentes ? D’abord quelles sont-elles ? Que distribuent-elles ? C’est le black-out le plus complet sur tout ce magma réservé à des spécialistes, à des actuaires, magma qui pourrait voler en éclats à la faveur d’un quelconque et imprévu bouillonnement du volcan.

Pourquoi le privilège de la naissance, de la formation se perpétuent-ils de nos jours, alors que d’autres solutions existent pour en faire un puissant moyen d’investissement ?
Pourquoi le régime des successions se perpétue-il, favorisant l’accumulation pendant des générations voire des siècles au profit de rentiers de fait et de droit mais d’un droit de circonstance prolongé ?

Le danger est grand, aujourd’hui, de vouloir faire des régimes de retraite une politique des revenus et de faire de tous les Français une cohorte d’assistés « ad vitam », la France devenant une sorte d’étoile de Noël guidant les habitants d’autres continents plus prolifiques.

Ce ne sont là que des pistes de réflexion dans un pays où les borgnes volontaires pour ne pas dire les aveugles sont rois.

Renaud Marie de Brassac

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