Dans son livre « La défaite en chantant » (Plon-Fayard 2007), Claude Allègre, ancien ministre connu pour n’avoir pas sa langue dans sa poche, livre ses réflexions sur la crise de la Gendarmerie de 2001 :
« …Jospin a ouvert la voie des grands désaveux. Il a donné des gages à la dictature de la rue. Il a cédé aux camionneurs. Il a cédé pratiquement à toutes les revendications corporatistes, et la pire de toutes a été celle des gendarmes.
Je n’avais jamais vu jusque-là les gendarmes faire une manif. Le fait que Jospin n’ait pas sur-le-champ limogé le directeur de la gendarmerie, quelle faute ! La preuve : Chirac s’est aussitôt engouffré dans la brèche en menant campagne sur le thème de l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat. Et c’était vrai : l’Etat s’était énormément affaibli. C’est très surprenant de la part de Jospin qui est un homme courageux, et qui a le sens de l’Etat. »
Que le directeur général de l’époque, Pierre Steinmetz, n’ait pas été remercié laisse effectivement pantois et engage bien évidemment la responsabilité de ceux qui se sont abstenus. La passivité du gouvernement est d’autant plus choquante que, quelques jours avant les manifs, Pierre Steinmetz avait déclaré devant la commission de la défense à l’Assemblée Nationale, que tout allait bien Madame la Marquise.
Mais ce qui nous semble encore plus scandaleux, c’est la fin de carrière remarquable faite à un haut fonctionnaire qui avait démontré son incompétence en ignorant ce qui se passait dans l’administration qu’il dirigeait. (1)
Rappelons pour la bonne bouche que M. Steinmetz est devenu ensuite directeur de cabinet de Jean Pierre Raffarin, Premier Ministre avant d’être nommé membre du Conseil Constitutionnel, c’est-à-dire juge suprême de la loi fondamentale de la République qui se fonde sur les principes de liberté, d’égalité et de fraternité.
A-t-on voulu récompenser ainsi sa carrière d’énarque ? Ou bien sont-ce ses amitiés politiques qui lui ont permis de se rétablir sous la majorité de 2002 ? Fait-il partie de divers réseaux, dont on dit qu’ils sont puissants et font ou défont des carrières ?
Comme tout homme, M. Steinmetz, que nous ne connaissons pas, a certainement d’éminents mérites à faire valoir. Il reste que cet exemple d’un haut fonctionnaire qui a failli dans sa mission et se voit récompensé et promu est tout à fait indigne de la République. Tout le monde veut diriger, parader et bénéficier des honneurs et des voitures de fonction. Mais plus personne n’est responsable !
Nous ne pouvons qu’approuver M. Allègre. Car voici un bien mauvais exemple de méritocratie à la française et un excellent exemple de méritocratie de république bananière. Gardons en mémoire que les nominations au Conseil Constitutionnel sont aussi la marque de la valeur que la classe politique accorde à la Constitution.
Dans le cas présent, elle ne doit pas être bien élevée !
(1) Bref rappel historique
Fin de carrière de Monsieur Steinmetz
Directeur de la Gendarmerie nationale (2000-2002) Directeur de cabinet du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin (2002-2003) Nommé le 27 février 2004 au Conseil constitutionnel par le Président de la République, il prête serment devant lui le 10 mars 2004 .
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Déclarations de Monsieur Steinmetz, Directeur général de la gendarmerie nationale
Le 3 mai 2000 au Sénat :
la dégradation du moral de la gendarmerie constitue certes un motif de préoccupation, mais n’affecte en aucune manière la qualité du service rendu, comme l’avait montré l’action exemplaire de la gendarmerie lors des intempéries qui ont touché la France en décembre dernier ; les médias locaux donnent une plus juste image de la gendarmerie que la presse ou la télévision nationale qui ne paraissent accorder d’attention qu’à ses dysfonctionnements
Le 10 octobre 2000 devant la COMMISSION de la DéFENSE NATIONALE et des FORCES ARMéES :
« les mesures annoncées en février 2000 n’annoncent pas l’instauration d’une durée hebdomadaire du travail : tant que les gendarmes seront sous statut militaire, c’est la règle de disponibilité en tout temps et en tout lieu qui prévaudra. Différentes décisions n’en ont pas moins été prises afin de diminuer la charge de travail des personnels et d’accroître l’efficacité du service. Ainsi, la sectorisation ou encore la création des PSIG sont de nature à améliorer fortement les résultats des patrouilles tout en permettant une diminution de la charge de travail des brigades. Il faut ajouter enfin que la diminution du temps de travail des gendarmes dépend également des effectifs disponibles et de l’importance des charges de service qui leur sont imposées ; la question de la syndicalisation éventuelle des gendarmes n’est pas de la compétence du Directeur général de la Gendarmerie ; l’hiver dernier a correspondu à une période de demandes et d’attentes très fortes de la part des personnels de la Gendarmerie, qui, même sans relais syndicaux, ont su rendre leur silence audible. La portée des mesures décidées au mois de février, notamment en matière d’amélioration des moyens de fonctionnement n’a pas été perçue immédiatement mais, au fur et à mesure que les personnels ont pu constater leurs effets sur le terrain, le moral s’est amélioré. Reste une forte attente des personnels liée à l’introduction des 35 heures, à partir de 2002, dans la fonction publique civile ; »
Le 22 0ctobre 2001 lors d’une répétition dans la cour de l’Elysée, 54 gardes républicains refusent de présenter les armes et restent immobiles, désobéissant à l’ordre du commandant du palais. Suite à des nécessités de service ils n’ont obtenu aucun dimanche de libre depuis le mois d’août 2001. Pour justifier cet acte d’indiscipline, la direction de la gendarmerie parle « d’un mouvement d’humeur qui tient compte d’une punition infligée à l’un de leurs officiers » tout en précisant «qu’il n’y a pas de précédent connu à une telle action».
Le 23 0ctobre 2001, à l’Assemblée Nationale, lors de la séance de 17 heures devant la Commission de la Défense nationale et des forces armées :
« Les attentes diverses des gendarmes ne se traduisent pas par des tensions graves. Ainsi, les mouvements revendicatifs qui se sont organisés, notamment parmi les épouses de gendarmes ou les retraités de la Gendarmerie, paraissent s’être fortement atténués, voire dispersés.
On constate à présent une stabilisation des esprits qui paraît témoigner d’une reconnaissance par les personnels de la réalité des actions menées pour l’amélioration des conditions de travail. »
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Les principaux évènements en 2001
Lé 24 novembre 2001 à 14 heures manifestation organisée par les épouses de gendarmes devant la Préfecture de Grenoble.
Le 4 décembre 2001, plusieurs centaines de gendarmes manifestent en uniforme à Montpellier et à Marseille.
Le 8 décembre 2001, les gendarmes obtiennent du Ministre de la Défense Alain RICHARD une augmentation mensuelle de 1000 francs, 50 000 gilets pare-balles et des effectifs supplémentaires.
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La réaction d’Alain Richard, ministre de la Défense,le 11 décembre 2001 à l’Assemblée nationale suite à une question posée par Monsieur Georges Lemoine
M. Georges Lemoine – Monsieur le ministre de la défense, nos concitoyens ont pris connaissance avec satisfaction du résultat de vos rencontres avec les représentants légitimes de la gendarmerie.
Afin de dissiper tout malentendu, pouvez-vous réaffirmer devant la représentation nationale votre attachement au statut militaire de la gendarmerie, et votre volonté de maintenir le bon niveau de formation des jeunes gendarmes ?
Au nom du groupe socialiste, je vous assure de notre soutien, et veux rappeler notre attachement à la gendarmerie, qui est d’abord une force humaine, au service des citoyens, du droit et de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
M. Alain Richard, ministre de la défense – Nous avons vécu une crise (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR) qui aurait pu être préjudiciable à l’intérêt public.
Cela mérite une explication. La concertation des derniers mois ayant permis de mettre à jour les demandes des personnels militaires de la gendarmerie, j’y ai répondu le 30 novembre en proposant des avancées substantielles et en ouvrant des perspectives d’avenir. Un sentiment d’insatisfaction s’est néanmoins exprimé ensuite ; il s’explique par la stagnation des effectifs au regard d’une charge croissante due aux évolutions démographiques, ainsi que par l’aggravation de la délinquance violente dans les zones relevant de la gendarmerie ; et aussi par le retard accumulé en matière de rémunérations.
J’ai sous-estimé ces deux facteurs d’insatisfaction. Les décisions annoncées s’inscrivaient d’ailleurs dans un cadre financier marqué par le souci d’économiser les fonds publics (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).
Il a fallu gérer la crise. J’ai dit mardi dernier que l’on était sorti du cadre du statut militaire, et le Premier ministre l’a redit mercredi. Mais il fallait aussi prendre en compte les insatisfactions légitimes et respecter un équilibre entre gendarmerie et police nationale. Nous l’avons fait.
J’ai ajouté une amélioration de rémunération nette de 400 F pour l’ensemble des personnels, entamé la nécessaire augmentation des effectifs et accéléré la réalisation de certains programmes de matériel. Le coût budgétaire de ces avancées reste maîtrisé, nous l’estimons pour 2002 à 577 millions de francs pour les rémunérations, et 160 millions pour l’anticipation des effectifs. L’augmentation ultérieure de ces derniers devrait coûter 1 milliard de francs entre 2003 et 2005. Par ailleurs, nous aurons à nous concerter sur l’avenir de la gendarmerie.
Ces mesures ont été bien acceptées par les représentants des personnels, non parce qu’elles seraient dispendieuses mais parce qu’elles témoignaient du respect que nous leur portons et leur permettaient de revenir sans tarder dans le cadre de leur statut.
La crise a donc été gérée (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Certes, d’aucuns peuvent prendre à présent une pose énergique mais c’est toujours plus facile quand la crise est terminée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).
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La réaction de Monsieur Lionel JOSPIN, Premier ministre qui répond à la place du ministre de l’économie et des finances à la question posée par Monsieur Georges Tron député,
Monsieur Georges Tron : Monsieur le ministre de l’économie et des finances, je vous interrogeais il y a un mois sur l’inquiétude que vous aviez exprimée devant la multiplication des dépenses publiques non financées. Mais sans doute parliez-vous de l’avenir. Depuis septembre en effet, le bilan ne cesse de s’alourdir : 1,6 milliard pour la gendarmerie ; 2,4 pour la police (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe RCV) ; 12,9 pour l’hôpital public (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste) ; 35 pour la politique de la ville (Même mouvement) et 9 pour la politique de l’emploi (Même mouvement).
Votre majorité s’en réjouit visiblement. J’espère qu’elle applaudira aussi quand vous lui expliquerez si vous financez ces mesures en augmentant les impôts – alors que nous avons déjà les impôts les plus lourds de l’Union européenne, – ou en creusant le déficit – qui est déjà le plus important de l’Union européenne – ou par des redéploiements, c’est-à-dire en sacrifiant l’investissement et l’emploi à des mesures de fonctionnement qui vous échappent totalement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)
M. Lionel Jospin, Premier ministre –Vous exercez votre droit de critique, mais je peine à saisir la cohérence de votre attitude (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR). Depuis plusieurs mois, vous intervenez en permanence sur les problèmes d’insécurité, vous mettez en scène des incidents, parfois des drames. J’ai cru vous entendre dire que les revendications des policiers et des gendarmes étaient légitimes. Nous y répondons, et vous nous le reprochez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) A moins que la cohérence consiste pour vous à soulever des questions, voire à les exploiter, sans jamais vous intéresser aux solutions ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste) Le rôle d’un gouvernement est de traiter les problèmes, si possible de les régler, c’est ce que nous avons fait en matière d’insécurité (Huées sur les bancs du groupe du RPR) …et puisque vous critiquez l’issue des négociations heureusement conduites par les ministres de l’intérieur et de la défense (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), les gendarmes et les policiers sont fondés à penser que vous auriez dit non à leurs revendications (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV).
Certes, les méthodes utilisées par les gendarmes n’étaient pas conformes au statut militaire et nous le leur avons rappelé. Mais il existait un malaise (« La question ! » sur les bancs du groupe du RPR), l’opinion le reconnaissait, les médias le disaient – et seul le Gouvernement aurait dû refuser d’y répondre ? Ce n’est pas ce que nous avons fait (« La question ! » sur les bancs du groupe du RPR). Quant à l’autorité de l’Etat…
M. Thierry Mariani – Vous ne répondez pas !
M. le Premier ministre – …il me semble qu’elle est mieux assurée lorsque des gendarmes ou des policiers déclarent qu’ils ont été entendus, et qu’ils ont repris confiance dans l’avenir, que s’ils étaient encore dans la rue pour une confrontation avec le Gouvernement ! Mais sans doute votre frustration vient-elle de là : ce problème, nous avons su le régler comme nous avons su en résoudre d’autres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Et nous l’avons fait de façon maîtrisée (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF) puisque ces mesures seront financées dans l’enveloppe budgétaire actuelle, grâce à des redéploiements. Pour tenir compte de la priorité donnée à la sécurité, nous faisons simplement bouger un peu le curseur ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR) Cela ne nous empêchera pas de continuer à porter attention aux problèmes de santé puisque, là aussi, les financements sont assurés, soit par la sécurité sociale – dont l’excédent sera plus élevé que prévu – soit par le budget de l’Etat. Nous affrontons la réalité des problèmes et nous respectons nos priorités. Nous avons réduit de façon massive le déficit public que vous nous aviez laissé en 1997 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF). Nous essayons donc d’agir de façon cohérente. Pourquoi, une fois au moins, n’essaieriez-vous pas de faire de même ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).