Le profond mécontentement des gendarmes

Après les lettres anonymes de 1989 et les manifestations en armes de 2001, les gendarmes vont-ils à nouveau descendre dans la rue avant l’élection présidentielle ?

C’est ce que laisse entendre des intervenants sur le site honni de la direction générale de la gendarmerie : « Gendarmes en colère ».

L’Adefdromil ne peut en aucun cas soutenir ou encourager de telles manifestations contraires à la discipline militaire et nuisibles à l’image des armées.

En revanche, elle estime indispensable d’alerter une nouvelle fois les autorités de l’Etat sur les causes du malaise des gendarmes.

Aux promesses plus ou moins tenues en 2002, viennent s’ajouter d’autres sources d’insatisfaction.

Tout d’abord, le temps de travail.

On a beau expliquer aux gendarmes qu’en tant que militaires, ils ne doivent pas regarder dans l’assiette du voisin, et que la loi sur les trente cinq heures ne les concerne pas, rien n’y fait. On leur a beaucoup servi le principe de la parité « police-gendarmerie » qui veut que les gardiens de la paix et les gendarmes bénéficient de la même rémunération à ancienneté égale. Mais ce beau principe ne précise pas que les gendarmes travaillent en fait plus que les policiers. Car, en termes de disponibilité, tout le monde s’accorde à dire que 4 gendarmes « valent » sept policiers. Ce qui revient à dire qu’à travail égal, le salaire n’est pas égal ! Et beaucoup supportent de moins en moins cette sujétion de l’état militaire.

Vient ensuite l’organisation du travail.

Une des conséquences de la fronde de 2001 a été la réorganisation complète du service de la gendarmerie départementale. Faute de disposer des effectifs suffisants pour que la brigade de gendarmerie continue d’être l’unité d’intervention de base, on a fait gérer les ressources de plusieurs unités par une « communauté de brigade ». Ce système bancal – et sans doute provisoire- génère l’insatisfaction tant au niveau des élus et des populations, qui constatent une diminution de la présence des gendarmes dans leur circonscription, qu’au niveau des gradés et gendarmes qui interviennent loin de leur base, sur des circonscriptions qu’ils connaissent approximativement et jonglent avec les contraintes logistiques de la situation nouvelle.

La chape de plomb du statut militaire rend difficile la concertation.

Après 2001, le système de concertation des armées, donc celui de la gendarmerie n’a pas évolué. Les membres du conseil de la fonction militaire de la gendarmerie ne sont pas élus et la concertation reste extrêmement formaliste. Dans ces conditions, il est difficile de mettre en avant des attentes. Le chef est toujours censé veiller aux intérêts de ses subordonnés. Là encore, la comparaison avec les syndicats de policiers qui dialoguent avec leur ministre et obtiennent des avancées, fait envie aux gendarmes.

La culture du résultat et la prime au mérite.

Beaucoup vivent mal les objectifs de résultats qui leur ont été fixés sans souplesse. La prime au mérite est ressentie comme un moyen de gestion destiné à diviser pour mieux asseoir son autorité.

Le logement en caserne est souvent vécu comme une contrainte.

Le gendarme doit occuper le logement attribué en caserne. Outre la qualité très inégale des logements, les gendarmes vivent de plus en plus cette obligation comme une contrainte gênant l’organisation de leur vie privée ou compliquant leur objectif légitime d’accession à la propriété. Ils souhaitent au minimum des assouplissements dans une réglementation rigide.

Une « galonite » destinée à compenser les avancées policières.

Faute de pouvoir calquer les avancées sociales sur celles généreusement données aux trois corps de la police nationale, la gendarmerie composée de deux corps –celui des officiers et celui des sous-officiers – s’est engagée dans une sorte de fuite en avant en facilitant l’avancement au plus grand nombre selon un « plan d’adaptation des grades aux responsabilités », baptisé PAGRE. Mais ce plan ne produit que des effets individuels et non un effet global sur le corps des sous-officiers. En outre, il suscite les critiques de ceux qui ne peuvent en bénéficier et la mise en doute de la compétence de certains promus.

Le beurre, l’argent du beurre…

Signe que la gendarmerie est à la croisée des chemins, quatre associations « traditionalistes » ont écrit aux candidats à l’élection présidentielle. Le contenu de leur envoi est l’addition surprenante des revendications des uns et des autres. Le « Trèfle », association des anciens élèves de l’Ecole des Officiers et les associations de sous-officiers retraités souhaitent le maintien du statut militaire et d’un général à la tête de l’institution. On revendique également le bénéfice d’une grille indiciaire spécifique aux gradés de gendarmerie – donc en rupture avec le reste de l’armée – calquée sur les grilles des policiers. Et cerise sur le gâteau, il faudrait que l’Etat, déjà fort endetté, revienne sur la suppression du réajustement automatique des retraites qui suivait le traitement des actifs avant la réforme des retraites en 2003. Mais pas un mot sur l’organisation et le temps de travail ou sur la concertation, comme si le statut militaire permettait de faire l’impasse sur le sujet.

Un peu de réalisme.

Un peu de réalisme, face à cette agitation ! L’époque est révolue où le statut militaire et l’appel au devoir permettaient de faire avaler quelques couleuvres aux gendarmes. Ils refusent d’être en décalage avec le reste de la société et avec le corps concurrent de la police. Force est d’en tenir compte.

L’Etat peut il de son côté être l’otage des humeurs des gendarmes et jouer les pompiers à chaque incendie ? Il convient de faire évoluer le statut des gendarmes pour qu’ils puissent s’exprimer, qu’ils puissent être représentés et qu’un véritable dialogue se noue entre l’Etat employeur et ses gendarmes. Peu importe leur statut, ce qui compte, c’est le résultat ! Et si ce résultat ne peut être obtenu que par un statut civil, la République doit en tirer les conséquences.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que derrière la problématique de la Gendarmerie, c’est la sécurité des Français qui vivent hors des grandes agglomérations qui est en jeu et ce sujet mérite réflexion et décision sans passion.

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