Des secrets d’Etat et des tas de secrets…

L’affaire Clearstream présente ceci de particulier que le fond n’intéresse plus grand monde au moment où la forme commence à passionner les foules. Mais plus précisément les vices de cette forme, et alors même que leur vacuité est établie.
Car enfin chacun s’accorde à dire que les fameux listings informatiques bidouillés ne présentaient aucun caractère d’authenticité et de crédibilité, au point que même un as des renseignements, fut-il officier général, s’en était immédiatement aperçu.
L’homme des ombres l’aurait claironné à qui voulait bien l’entendre. Mais voilà, il n’est pire sourd que celui qui, justement, ne veut pas entendre.
Y compris ce cher Philippe Marland, directeur de cabinet et expert en perspicacité à ses heures perdues. N’oublions pas que c’est le quidam qui avait décelé la menace du syndicat révolutionnaire sous les aspects benoîtement associatifs de l’ADEFDROMIL, et à peu de chose près au moment même où il aurait mieux fait de s’intéresser aux doutes de son discret subordonné étoilé.

Ainsi, la dissimulation de l’ex et actuel Ministre de l’Intérieur, sous quelques uns de ses autres vrais noms, Paul de Nagy et Stéphane Bocsa, était on ne peut plus énorme. L’intéressé les eut-ils réellement employés pour occulter des comptes bancaires frauduleux qu’il aurait démontré là une naïveté bien puérile, ou un furieux sens de la provocation. Qualités assez éloignées de celles que nous pourrions attendre d’un futur candidat à la présidence de la République.
Aussi, quand on parle de manipulation, est-on obligé de convenir soit d’un amateurisme outrancier, soit d’une plaisanterie douteuse. Et ce ne serait pas les flatter que de prétendre que nos services secrets ont pu tremper dans ce bain là. Même la main un peu forcée.
Certes, il y a des précédents où une simple discrétion à défaut d’un secret manifestement impossible aurait évité de grosses catastrophes, mais bon, ici point n’est question de travail bâclé, mais bien de sabotage à dessein.
On aurait voulu arroser l’arroseur qu’on ne s’y serait pas pris, autrement. Le corbeau est plutôt du genre rapace et prédateur.

En attendant d’en savoir plus, si tant est qu’il y ait un plus, le dossier dit des « frégates de Taiwan » sombre chaque jour un peu plus profond dans l’amnésie générale. Celui des chars Leclerc ne trouve pas plus d’écho dans les mémoires et personne ne s’aviserait d’aller fouiller un peu du côté des autres « contrats du siècle » impliquant une vente d’armement d’Etat à Etat.

Aux dires des protagonistes de l’affaire « Elf », les commissions que génère ce commerce dépasseraient de loin ce qui se fait en matière de trafic de pétrole. L’éphémère PDG du groupe pétrolier s’étonnait même des misères qu’on lui faisait pour si peu et y impliquait déjà des « hommes de l’ombre ». D’ailleurs la juge Eva Joly raconte dans le livre qu’elle consacra à cette affaire qu’à l’occasion d’un coquetel officiel, elle fut abordée par un officier général. Celui-ci l’aurait tout bonnement menacée au cas où elle viendrait à s’intéresser à ce domaine « réservé ».
Précisément il lui accordait généreusement deux jours de survie…
L’histoire ne dit pas de quel général il s’agissait, mais au point où nous en sommes, toutes les supputations sont permises.
C’est peut-être ce genre de commissions occultes entre gens de l’ombre qui ont amené Giat Industrie à la faillite, et ce genre de mise en garde qui aura manqué à un autre juge, au même moment et sous d’autres cieux …allez savoir.

La justice aura quand même perquisitionné le bureau de notre ministre et saisi dit-on des agendas (ceux de Philippe Marland ?). Elle s’est même rendue là où nous étions persuadés que c’était impossible, à la DGSE.
On prétend qu’elle va entendre le Premier Ministre, et, pourquoi pas, sans doute le Président de la République le jour où il aura un successeur.
Pourtant, toute cette gesticulation autour d’un effet secondaire et mal ficelé intervient au moment où on nous explique par ailleurs que la justice n’a plus les moyens d’investigation suffisants pour aller au bout des choses. Comme par exemple cette sordide histoire de crâne emplastifié qui continuera à couler des jours paisibles et aquatiques sous des tonnes de rochers niçois.
Certes, un autre ministre, dont l’oeil et les propos pétillent d’humanité, a promis de « pendre à un croc de boucher » le glauque qui a imaginé cette mise en cause. Faut-il à tout prix découvrir ce dernier pour dire au premier: « t’as qu’la gueule ! »?

Une chose est certaine, notre ministre est hors de cause. Ne vient-elle pas de découvrir le nom de son conjoint sur le fameux listing qui, décidemment, semble très exhaustif en deuxième ou troisième lecture ?
Au risque d’agacer, convenons qu’il y a tant de gens importants sur ce papier qu’il devient franchement vexant de ne pas y figurer.
Une plainte de MAM, ajoutée aux autres va stimuler davantage une justice en mal de reconnaissance populaire. Les magistrats enquêteurs ont du pain sur la planche d’autant que la principale victime demande à être entendue, au cas où les juges commettraient l’outrage ou la distraction de ne pas mesurer l’impact productif médiatique de son audition.
Enfin, et il fallait s’y attendre, l’entreprise Clearstream porte elle-même l’affaire en justice pour atteinte à son image. Et les hommes de loi européens qui vont se pencher sur ces excès ne nous seront sans doute pas favorables. ça va douiller !

Au train où vont les choses, il ne restera plus guère que les citoyens français, ridiculisés devant le monde entier par des guignols indécents, à ne pouvoir demander aucune réparation pour les dégâts causés, ni, bien entendu, la restitution des sommes immenses détournées par les aigrefins.
Et c’est même assurément ces mêmes contribuables qui, bon an mal an, seront appelés à régler la facture finale. A quand l’impôt « Clearstream » ?
Il serait étonnant que cela dure indéfiniment.

Claude DEBEIR

À lire également