Gendarmerie : les limites du système

Par Jacques BESSY

Auteur de « L’amélioration de la condition militaire » Revue de la Défense Nationale (1993) – Le droit de recours des militaires – Editions La Musse (3ème édition 2001).

On aurait pu penser que, fiers de leur nouveau directeur général issu de « l’arme » et satisfaits des perspectives de carrière ouvertes par le fameux P.A.G.R.E, plan d’adaptation des grades aux responsabilités, les gendarmes auraient modéré l’expression de leur mécontentement ou de leurs espérances. Il n’en est rien. Ils continuent de lorgner désespérément dans l’assiette de leurs voisins de référence, les policiers, dont la condition et les grilles indiciaires sont indiscutablement plus attractives. Il suffit de parcourir les forums de discussion de la toile pour prendre la température du malaise persistant et latent.

D’un côté, la grande majorité des sous-officiers revendique un alignement de leur condition sur celle faite aux policiers. De l’autre la hiérarchie appuyée par le gouvernement veut préserver le statut militaire à tout prix sans concéder aucune évolution. Tous les ingrédients d’un nouveau et beau blocage sont donc réunis. Il est donc légitime de se demander si les limites du système ne sont pas atteintes.

Le PAGRE, cristallisation des contradictions du système.

De fait, le PAGRE est le produit des contradictions du système actuel. Il pointe du doigt ses limites et conduit à une impasse.

Mais, de quoi s’agit-il ? Le « pagre » n’est évidemment pas un « plan d’adaptation des grades aux responsabilités », puisque sa mise en oeuvre contribue au contraire à diminuer les responsabilités de chacun à grade égal, comme l’a décrit parfaitement le Capitaine Matelly dans le numéro 364 de L’Essor de la Gendarmerie. En fait, ce sont les responsabilités qui vont être adaptées à l’inflation des grades et galons. Il s’agit donc d’un Plan pluriAnnuel de REpyramidage Réactualisé. A ce titre, le nom de P.A.R.E.R – honni soit qui mal y pense – serait plus exact. Ses détracteurs pourraient également l’appeler « Mexgend » pour mexicanisation de la Gendarmerie.

Effets pervers ou bénéfiques ?

Les effets pervers si bien soulignés par le Capitaine Matelly se font déjà sentir : dévalorisation des grades, perte de responsabilités, surcroît de la charge de travail des exécutants sur l’effectif desquels est gagée l’inflation des grades et galons. On peut dire ainsi que le progrès social (plus d’avancement pour plus de monde) repose sur le pari d’un gain de productivité à effectif moindre de l’outil de production (les gendarmes de base) ou sur celui d’une baisse de la demande sécuritaire (moins de délinquance). Le pari est évidemment risqué et faute de le gagner, on est en droit de s’inquiéter des conséquences de ces mesures.

Ainsi, on peut s’interroger sur la réalité de leur effet bénéfique sur l’institution prise dans sa globalité. Car, il n’est pas sûr que l’accès facilité à l’avancement d’un plus grand nombre de militaires tous grades confondus, donc à des indices budgétaires supérieurs, produise le résultat escompté.

En effet, contrairement à l’avancement d’échelon qui revêt, en général, un caractère automatique, l’avancement de grade ou l’accession à un corps supérieur procède d’un choix et se traduit par des mesures strictement individuelles. La sélection opérée va donc forcément générer des tensions au même titre que celles créées par la prime au mérite, puisque tout le monde ne pourra y prétendre. On peut ainsi penser que l’ensemble des personnels aura beaucoup de mal à considérer que l’accès plus large aux promotions de grade constitue une avancée sociale maintenant une véritable parité avec la Police Nationale. Bref, comme cela apparaît sur plusieurs forums, il vaut mieux une amélioration de la grille indiciaire dans un grade ou un corps plutôt que des perspectives d’avancement améliorées qui souvent entraînent une mobilité imposée.

Dans le même temps, le rôle de sélectivité de l’avancement destiné à pourvoir les vacances d’emplois d’encadrement et de responsabilité va disparaître. La chaîne hiérarchique va ainsi être dévalorisée dans les esprits, et les personnels en auront une image dégradée. En d’autres termes, les gendarmes seront moins confiants dans leur hiérarchie et moins fiers d’appartenir à un corps qui distribue les galons à titre social. On le voit déjà avec la multiplication des généraux qui suscite beaucoup de commentaires parfois ironiques auxquels n’a pas échappé la création récente d’un emploi de général chargé de la reconversion des généraux, ce qui démontre en soi que certains sont manifestement moins utiles que d’autres !

Au total, on peut légitimement craindre que le « pagre, parer ou mexgend » -au choix – n’apaise nullement les revendications latentes des personnels et que ses effets induits contribuent à maintenir un niveau critique d’insatisfaction.

Le PAGRE, expression de l’absence de marge de manoeuvre de la direction générale.

Malheureusement, il était quasiment impossible de faire autrement sans mettre en péril le système actuel, c’est-à-dire le statut militaire de la gendarmerie que la hiérarchie veut préserver à tout prix, mais qui apparaît de plus en plus comme un frein archaïque à toute évolution réaliste. On touche véritablement aux limites du système.

Tout d’abord, il était impératif, pour le haut commandement de la gendarmerie de contrebalancer rapidement, voire d’anticiper les avancées statutaires des policiers. Ne rien faire aurait pu conduire à une nouvelle grogne probablement mortelle pour le statut militaire de la gendarmerie. Il fallait donc apporter sans délai un ballon d’oxygène au chevet de la convalescente.

Mais les contraintes imposées par le statut militaire réduisent considérablement les possibilités d’évolution. Ainsi, il ne peut être question de créer une échelle indiciaire spécifique aux sous-officiers de gendarmerie, source potentielle de demandes reconventionnelles des autres armées ou services. De même, une réforme radicale de la hiérarchie et de l’appellation des grades (les fameux prévôts..) se serait heurtée à la même rigidité des grandes directions du ministère : direction de la fonction militaire, direction de l’administration générale, etc. . et sans doute du ministère de la fonction publique et de Bercy. Il n’en serait pas autrement de l’idée évoquée in fine de l’article du Capitaine Matelly de développer le corps des majors pour en faire le troisième corps manquant à la Gendarmerie, comparée à la Police. Autre contrainte limitant la liberté d’action : il ne fallait pas non plus, par des demandes excessives ou trop voyantes, donner des arguments à ceux qui estiment que les gendarmes sont déjà des privilégiés au sein du ministère de la défense et qui militent en faveur de leur rattachement statutaire au ministère de l’intérieur. Ainsi, sur le site de La Saint Cyrienne, le thème de l’adoption d’un statut civil pour la gendarmerie est celui qui a recueilli le plus de visites et suscité le plus de débats, dont la conclusion est.. de doter l’institution d’un statut civil. La Gendarmerie est donc bien « écartelée entre une Police Nationale dont les statuts des personnels sont en progrès rapide et constant et les armées évoluant plus lentement… ».

Finalement, la seule mesure indolore et réalisable à masse budgétaire constante consistait donc à repyramider les différents corps composant la Gendarmerie, c’est à dire à donner des galons, faute de pouvoir et vouloir donner des indices. C’est ce qui avait déjà été fait en 1995. S’agissant d’une mesure de gestion, elle présente l’avantage de pouvoir être utilisée en fonction des besoins du moment, un peu comme un robinet dont le débit est régulé à la demande. Elle reste donc soumise aux fluctuations des budgets de l’Etat et de la Défense.

C’est bien le caractère « militaire » du statut qui pose problème.

N’en déplaise aux conservateurs et autres thuriféraires de la « gendarmerie, partie intégrante des armées », on voit bien que c’est la « militarité » du statut qui est en cause puisque c’est elle qui bloque les adaptations indispensables au maintien d’une parité équitable avec la Police Nationale, en ne permettant notamment ni la mise en place d’une grille indiciaire spécifique au corps des sous-officiers, ni celle d’une représentativité professionnelle digne de ce nom.

La suite découle logiquement de cette situation, dénommée justement par l’Essor « la quadrature du cercle ». A l’occasion d’une nouvelle crise, la Gendarmerie devra probablement abandonner son statut militaire, sans pour autant que cette évolution entraîne automatiquement une fusion avec la Police Nationale. Dès lors, plutôt que de discourir à l’infini sur le bien fondé ou non de cette évolution, il serait plus judicieux et efficient de s’y préparer sans états d’âme comme on se prépare au passage à l’âge adulte.

Ainsi, et contrairement à ce qu’a pu dire le Président de la République en recevant le Conseil Supérieur de la Fonction Militaire au palais de l’Elysée en décembre 2004, « l’avenir de la Gendarmerie n’est pas entre ses mains », puisque son destin est essentiellement tributaire de facteurs qu’elle ne peut maîtriser.

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