Dix ans plus tôt, MAM invitait l’Adefdromil à danser le slow.

S´il y a des maux
Qui t´ont fait pleurer, ma MAM
Et d´autres qui t´ont révoltée,
Pour lesquels tu aurais manifesté, Madame
J´en ai qui font danser

Te souviens-tu d´un slow,
Dix ans plus tôt?
Déjà dix ans
Tu voulais m´épuiser
Quelle drôle d´idée
Vraiment pas reluisant

Paroles inspirées par Michel Sardou

 

Au commencement était un dogme : celui de l’incompatibilité du droit d’association -pour la défense d’intérêts professionnels- dans les armées françaises avec la discipline militaire.

Comble de malheur, en 2001, alors que le monde militaire français était presque parfait, on a laissé pousser de la mauvaise graine syndicale sous le nom d’un médicament destiné à soigner les maux de la Défense : Adefdromil.

Alors même que ce médicament prescrit sans ordonnance commençait à être efficient, on a cherché à le faire disparaitre en novembre 2002.

Célébration à notre manière de l’anniversaire d’une minable infamie !

Harcèlement moral sur l’île de la Réunion.

Tout commence par une sordide affaire de harcèlement moral qui se déroule sur l’île de la Réunion.

L’affaire nous est contée par Jean Guisnel du Point dans son numéro 1575 du vendredi 22 novembre 2002. En voici quelques extraits :

Le détachement avancé des transmissions (DAT) de Saint-Denis de la Réunion est actuellement très en pointe dans la lutte contre le terrorisme. Une poignée de techniciens militaires de haut niveau – linguistes, analystes, transmetteurs – venant de toutes les armées y pratique des interceptions radioélectriques sophistiquées au profit de la Direction du renseignement militaire (DRM).

Car voilà que, depuis quelques mois, rien ne va plus dans cette base avancée. L’affaire, tristement banale, met en cause trois personnes, dont une jeune femme interprète de langue farsi. Celle-ci est arrivée à la Réunion en octobre 2001 et s’est trouvée très rapidement, selon son témoignage, l’objet d’une assiduité de plus en plus pressante de la part de son chef, le lieutenant-colonel L., qui lui fait de nombreux cadeaux, dont une fois un sac de 50 kilos de fruits, mais aussi un tour de l’île en hélicoptère. Ses intentions sont assez transparentes, mais vouées à l’échec ; la jeune secrétaire se lie en revanche d’amitié avec un sous-officier du détachement, l’adjudant Jean-Luc Lebigre, qui va dès lors subir de la part du chef de centre une inconcevable accumulation d’avanies.

Des très nombreux témoignages et attestations fournis à la justice par le sous-officier il ressort que le harcèlement dont il a été l’objet de la part de son chef a été incessant dès lors que ce dernier a soupçonné une proximité qu’il n’approuvait pas entre Lebigre et la jeune femme.

Passons sur les péripéties de l’une des premières affaires de harcèlement publiquement connue dans l’armée française. Finalement, le 4 juillet 2003, le lieutenant-colonel L…est mis en examen pour harcèlement moral et placé sous contrôle judiciaire.

L’association qui dérange

C’est l’Association de défense des droits des militaires (Adefdromil), fondée par le capitaine Michel Bavoil, qui a révélé l’affaire Lebigre. Forte aujourd’hui de 450 adhésions de sous- officiers et d’officiers, elle se développe à grande vitesse en faisant valoir les droits de ses adhérents sur le terrain judiciaire, sans compromission. C’est peu dire que cette initiative agace l’autorité militaire : elle exècre Bavoil, spécialiste de droit administratif formé par les armées, et qui prend l’institution à contre-pied. La Défense s’obstine à ne pas comprendre qu’elle ne peut plus compter exclusivement sur la relation hiérarchique comme mode de résolution des conflits internes, et que l’Adefdromil s’installe jour après jour comme une alternative crédible ; des dizaines de dossiers (harcèlement moral et sexuel, problèmes de pensions, atteintes aux droits des personnes, etc.) sont en cours, mais les états-majors persistent à considérer que ce phénomène n’existe pas. Les juges, eux, lui accordent une attention croissante, comme le démontre à l’évidence l’affaire Lebigre. »

Interdiction d’adhérer à l’Adefdromil.

La réaction du clan des étoilés ne se fait pas attendre. Ils profitent d’une absence de la ministre Michèle Alliot-Marie pour faire signer au directeur de cabinet civil et militaire, le Préfet Marland, une note scélérate qui ostracise l’Adefdromil.

MINISTERE DE LA DEFENSE

Cabinet du Ministre                                                                                                          Paris, le 28 Nov 2002

                                                                                                                                  – 016119DEF/CAB/SDBC/CPAG

NOTE A l’attention des « destinataires in fine »

OBJET : Adhésion à une association régie par la loi du 1er juillet 1901

REFERENCE : Article 10 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires.

L’article 10 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, précise que « l’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l’adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles  de la discipline militaire »

L’Association de défense des droits des militaires (ADEFDROMIL) a pour objet : « l’étude et la défense des droits, des intérêts matériels, professionnels et moraux, collectifs ou individuels des militaires relevant de la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 ». Son objet confère à cette association un caractère syndical.

En conséquence, les destinataires de la présente note prendront toutes les mesures qu’ils jugeront utiles afin d’informer les militaires en activité de service relevant de leur autorité qu’ils ne peuvent adhérer à cette association, sous peine de sanctions disciplinaires. De plus, il conviendra d’inviter ceux dont l’appartenance à l’ADEFDROMIL serait connue, à en démissionner, faute de quoi il vous appartiendra d’engager une procédure disciplinaire à leur encontre.

Le directeur du cabinet civil et militaire
Philippe MARLAND

Alliot-Marie et Marland invités à danser le slow au TGI de Paris !

Très subtilement, la note signée par celui qui est, à l’époque, le numéro 2 du ministère de la Défense ne constitue pas une attaque frontale contre l’Adefdromil, mais vise à la priver de ses adhérents en interdisant aux militaires d’en devenir membres.

Au regard du droit administratif, c’est une mesure dite d’ordre intérieur, non susceptible d’être déférée au contrôle de légalité.

En revanche, pour le juge « judiciaire », la mesure prise par le préfet Marland était susceptible de constituer une « voie de fait » rendant sa pleine et entière compétence au juge judiciaire, protecteur naturel des libertés publiques.

C’est pour cette raison et dans ces conditions que l’Adefdromil a assigné en référé Madame Alliot-Marie, es-qualité de ministre de la Défense et Monsieur Philippe Marland, son directeur de cabinet civil et militaire devant le tribunal de grande instance de Paris, le 5 mars 2003.

Le Tribunal de Grande Instance de PARIS se déclare incompétent.

Par ordonnance rendue le 12 mars 2003, le président du tribunal de grande instance a débouté l’Adefdromil de ses demandes en déclinant sa compétence et renvoyant la requérante à mieux se pourvoir.

Celle-ci, s’en tenant à la qualification de mesure d’ordre intérieur de la note du Préfet Marland, n’a pas souhaité engager de contentieux devant la juridiction administrative. Il est à noter que le porte parole des armées de l’époque, M. Jean  François BUREAU a déclaré à l’occasion de cette affaire : «  Nous n’avons pas poursuivi l’association, car il ne nous appartient pas de la juger, tout comme son site. L’Adefdromil a le droit d’exister. En revanche, il est interdit au personnel militaire en exercice d’en être membre. ».

Pas de sanctions pour ceux qui adhèrent à l’ADEFDROMIL.

En dépit de l’interdiction édictée par le directeur de cabinet du ministre de la défense, l’Adefdromil a poursuivi son action au profit des militaires qui avaient besoin d’aide et de conseils. La note du Préfet Marland, jointe à tous les bulletins de solde à une époque où ce service fonctionnait encore correctement (avant Louvois), a fait une belle pub gratuite à l’Adefdromil. Et les militaires n’ont pas hésité à en devenir membres. A partir de 2005, on a même vu arriver, à notre grande surprise, les Légionnaires. L’Adefdromil s’est ainsi adressée à de nombreuses reprises à la ministre de la Défense. Celle-ci, à plusieurs occasions, a pris en compte les interventions de l’Adefdromil sans jamais poursuivre sur le plan disciplinaire les adhérents de l’association. La ministre a même répondu à diverses reprises aux courriers de l’association. En 2005, la note, qui visait le statut de 1972, est devenue caduque d’elle-même. Les successeurs de Madame Alliot Marie n’ont pas non plus jugé utile de la faire revivre en visant le nouveau statut.

Reconnaissance parlementaire.

Bien plus, le rapport parlementaire n°4069 sur le dialogue social, publié fin 2011, et en théorie hostile au syndicalisme militaire, a signé la reconnaissance de l’Adefdromil : « Malgré cette interdiction, force est de constater que des associations professionnelles existent, même si leurs dirigeants ne sont plus membres de l’armée. S’il est difficile de mesurer leur représentativité, leur audience est certaine et les revendications qu’elles portent souvent légitimes. La mission d’information a reçu la plupart d’entre elles et ne saurait partager le sentiment exprimé par plusieurs militaires qui ne voient en leurs membres que des « déçus » ou « frustrés » du système. Dès lors, pourquoi interdire aux seuls militaires d’active d’adhérer à des associations chargées de défendre leurs intérêts ? »

Un bilan éloquent.

Aujourd’hui, dix ans après le slow joue contre joue avec MAM et Marland au TGI de Paris, quel bilan peut-on tirer ?

Certes, l’association est toujours tenue à l’écart des réceptions et autres mondanités. La frilosité est la règle. Nous avions bien rencontré en mars 2012, M. Le Drian. Mais une fois installé à l’hôtel de Brienne, il nous a oubliés : pas de contacts, pas d’invitation symbolique pour le 14 juillet, etc…Il s’est étonné ensuite, parait-il, que nous osions raconter l’histoire de son directeur adjoint de cabinet civil et militaire, actionnaire à 75% d’une société de conseils, listée parmi les fournisseurs du ministère, et depuis mise en sommeil.

Mais L’Adefdromil est lue, écoutée, sans doute aussi un peu surveillée et un peu redoutée…

Elle compte plusieurs centaines de membres à jour de leur cotisation, qui viennent y chercher des conseils, de l’aide, de l’écoute. Elle répond bénévolement à de nombreuses questions posées par des militaires, leurs familles, leurs proches. Elle a un rôle social d’intérêt public, que les politiques se refusent à reconnaître par pusillanimité et conformisme de la pensée. Ceux qui font les lois ont hélas oublié que le fait précède le plus souvent le droit !

Sans l’Adefdromil, la mort du légionnaire Tvarusko à Djibouti en 2008 dans des conditions sordides, serait restée probablement confidentielle ?  Qui aurait raconté l’histoire de cet autre légionnaire, dont la vie personnelle a basculé en étant mutilé par son sergent avec un tir à blanc dans les parties génitales ? Qui aurait fait connaître les circonstances de la mort d’un adjudant du Génie et les blessures physiques et psychiques de plusieurs autres militaires envoyés en reconnaissance –en vue d’un entrainement à proximité du camp de Darulaman en Afghanistan- en novembre 2008, sur un terrain sur lequel toute activité était interdite ? Qui aurait porté sur la place publique les nombreuses affaires de harcèlement concernant les militaires féminins ? Qui aurait alerté depuis novembre 2011 sur les graves dysfonctionnements du système de paiement des soldes ? Etc …

L’Adefdromil est évidemment opposée à toute limitation directe ou indirecte des pouvoirs d’investigation de la Justice, ne serait-ce que par l’usage abusif du secret-défense, aussi bien à l’entrainement qu’en opérations. Toute restriction marquerait une grave régression de l’Etat de droit et de la morale. Car, la responsabilité, y compris pénale le cas échéant, est indissociable de l’honneur de commander.

En 2008 et 2009, le Conseil d’Etat nous a débouté de plusieurs requêtes en annulation au motif que l’Adefdromil est un  « groupement professionnel à caractère syndical » interdit par l’article L4121-4 du code la défense et qu’à ce titre, elle serait dépourvue d’intérêt à agir.

L’affaire a été portée  en 2009 devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) de Strasbourg.

Nous attendons désormais, la suite avec sérénité et confiance dans les juges européens.

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