La sous-condition des militaires (Par Jacques BESSY, président de l’Adefdromil) [Actualisé]

Pour une démocratie, ce qui peut être dangereux, c’est le décalage entre la condition des militaires et la situation des autres citoyens, les « pékins ».

En France, au beau pays des droits de l’homme et du citoyen, et accessoirement démocratie quelque peu bananière, il n’en est rien, qu’on se rassure.

Le pays va mal. La pauvreté et la précarisation se sont accrues de manière significative en quelques années. Le pouvoir d’achat est en baisse et les prix sont en hausse, et le chômage ne diminue pas à près de 10% de la population active. L’opinion est de plus en plus manipulée par des effets d’annonce. Rien ne se passe ensuite. On compte sur l’oubli : « Français, vous avez la mémoire courte ! ». L’Etat prétend défendre de grands principes hors des frontières et ne parvient pas à les appliquer sur son propre territoire, dans sa propre juridiction.

Les armées sont, à cet égard, le reflet de la Nation, comme les militaires, sont le reflet des citoyens français, dont ils sont issus.

S’agissant de la précarisation, rappelons que 70% de ceux qui servent sous statut militaire sont des contractuels. Ceux qui aspirent à rester et à poursuivre une carrière se taisent. Ceux qui pensent à partir, se taisent aussi en espérant réussir leur reconversion.

A Bordeaux, où on indemnise la perte d’emploi involontaire, le CTAC est en sous-effectifs. Il faut plusieurs mois pour qu’un dossier soit mis en règlement et à la moindre erreur de l’ayant-droit le délai s’allonge. Il y a bien un numéro de téléphone et une adresse mail, mais personne ne répond.  Lorsque l’Adefdromil avait alerté sur ce sujet voici trois ans, la fonction devait être transférée à Pôle Emploi. Rien n’a été fait et on est toujours dans le marécage.

S’agissant de l’équipement même des armées, de la logistique, il suffit de lire ça et là et d’écouter pour comprendre le marasme dans lequel se trouve l’armée française, victime certes de l’appauvrissement de la Nation, mais aussi peut-être de mauvais choix antérieurs.

Le paiement des frais de déplacement et le remboursement des frais de déménagement mettent parfois de nombreux mois pour être soldés et parvenir enfin sur le compte des militaires.

En Afghanistan, la France mène une guerre qui n’est pas la sienne, mais celle d’une nation alliée, qui est allée en Irak pour détruire et se venger de l’affront reçu le 11 septembre 2001 et qui a remis le couvert en Afghanistan avec, initialement, quelques meilleures raisons. Le retour de la France dans la structure intégrée de l’OTAN est évidemment une erreur politique, puisque nous avons perdu notre autonomie passée. Pour quelle raison de fond, avons-nous dû augmenter les effectifs du contingent français en Afghanistan ? Nul ne le sait, sauf au sommet de l’Etat.

On prête à un Maréchal allemand, au soir d’une bataille de la seconde guerre mondiale cette phrase terrible : « Seuls les morts sont contents !». Sont-ils contents nos 75 disparus, tués souvent par des tirs insurgés ou des engins explosifs improvisés, mais aussi par suicides, accidents et tirs amis ? Inutile de se poser la question pour leurs proches !

Ceux qui sont moins contents, sont ceux qui sont encore vivants et qui nous reviennent estropiés, traumatisés, névrosés. La transparence sur les circonstances de ces blessures n’est jamais garantie. Il faut protéger les chefs. L’armée, le ministère de la Défense s’occupent-ils bien d’eux ? On peut en douter. Il y a bien sûr la Cellule d’Aide aux Blessés de l’Armée de Terre, la CABAT. Il serait injuste de dire qu’elle ne fait rien, qu’elle ne sert à rien. Il reste que l’Adefdromil constate que des blessés ne sont pas aidés pour faire valoir leurs droits à pension d’invalidité ou pour se reconvertir. Parfois, le risque psychologique n’a même pas été pris en compte sur le terrain par le Service de Santé des Armées, lui aussi malade.

Dans ce contexte, la réglementation sur le PACS qui fixe des durées de stage variables selon le droit concerné est particulièrement discriminatoire envers les militaires. Aucune prétendue spécificité ne justifie ces différences de traitement. Ainsi, la partenaire pacsée d’un militaire tué en opération extérieure se voit refuser le fonds de prévoyance militaire et la délégation de solde d’office au motif que la durée de son PACS est inférieure à trois ans, comme si elle avait spéculé sur la mort de son compagnon. La bureaucratie des Contrôleurs Généraux tient le système bien en mains : secrétaire général pour l’administration, directeur adjoint du cabinet civil et militaire, directeur des ressources humaines du ministère, président de la commission de recours des militaires, etc…Les ministres et les chefs d’état-major passent. Eux, ils restent.

Derrière cette régression des droits constante depuis plus d’une décennie, il y a justement la Commission de Recours des Militaires, véritable machine à broyer toute velléité de justice. La commission ne donne qu’un avis et elle est composée exclusivement d’officiers généraux, dont certains ont pu avoir à connaître les requérants ou l’affaire en cause dans leurs fonctions antérieures. Elle consacre environ deux minutes à chaque dossier et les décisions prises par le délégataire du ministre purgent les décisions antérieures des irrégularités procédurales, annihilant ainsi toute chance de faire annuler la décision litigieuse devant le juge administratif. La commission utilise toutes les finesses du système. Ainsi, des décisions explicites de rejet interviennent dans le délai de deux mois suivant les quatre mois en théorie impartis pour traiter le dossier. Celui qui a déjà introduit un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif doit alors recommencer. L’argument de l’exception d’illégalité d’un texte réglementaire devrait rendre la CRM incompétente. Ce n’est pas le cas. Comment la commission pourrait-elle recommander au ministre de réclamer l’abrogation d’un décret? Comble du mépris envers les militaires, la commission peut émettre un avis favorable à « l’agrément partiel» des recours. C’est très bon pour les statistiques de la CRM, qui camoufle ainsi sa véritable nature.

En matière de notation, il suffit de modifier quelques mots, même si le fond de la notation ne change pas, pour que le recours soit partiellement agréé. Le militaire reste avec « son coup de patte », mais son recours a été agréé partiellement : du grand art dans l’hypocrisie administrative !

En matière de PACS, la nouvelle astuce consiste depuis le décret de janvier 2011 instituant (illégalement selon l’Adefdromil) une durée de deux ans pour la perception de l’indemnité pour charges militaires à agréer partiellement le recours des militaires, dont le PACS a une durée supérieure à deux ans. On accorde au requérant ses droits tels qu’ils sont fixés par le nouveau décret à partir de deux ans d’ancienneté et on lui refuse évidemment le versement de l’ICM pour la période antérieure à deux ans. La décision est alors prise comme étant celle d’un agrément partiel !

Autre phénomène nouveau : le désœuvrement, le manque d’activités d’entraînement de ceux qui ne sont pas en OPEX. De jeunes sergents sortis de Saint Maixent constatent qu’ils sont sous employés et souhaitent quitter l’institution prématurément : triste syndrome d’une armée qui ne se porte pas bien.

Combien de temps, peut-on continuer sur la même lancée, en refusant de voir la réalité en face ?

09/09/2011

Cet article a 4 commentaires

  1. Loui Guénolé Saint-Hilaire

    Voici un point de situation tristement réaliste et très exhaustif, sans misérabilisme ni démagogie.
    Merci au colonel Bessy pour ce constat synthétique.

    En trente ans, cinq réorganisations majeures coup sur coup et tambour battant, sans pauses nécessaires ni véritables audits d’étapes.

    Il faut une fois encore rendre des postes, soit. Mais pas de postes de contrôleurs généraux, ni de généraux tout court. Nul n’étant si bien servi que par soi-même.

    Les armées et la gendarmerie sont de plus en plus dangereusement hydrocéphales.
    Rien de nouveau depuis la guerre de Corée, un état-major pléthorique pour gérer un maigre bataillon inséré dans une grande unité étasunienne et soutenu par cette dernière.

    L’opérationnel, combat et logistique, a pléthore d’organismes de commandement, pour un nombre ridicule de forces productives, unités de combat et de soutien.

    Les petites séries d’équipements produites par les industriels hexagonaux coûtent affreusement cher, sont délivrées trop tard au compte gouttes et ne donnent pas satsfaction.

    L’administration générale voit ses effectifs non remplacés au fil des départs, tandis que les outils informatiques de gestion promis ne sont pas encore en place.

    Quels sont les candidats aux présidentielles de 2012 qui aurant le courage de prendre cette affaire à bres le corps ?
    Qu’ils se déclarent, le soldat citoyen saura pour qui voter.

  2. vince79200

    Bonjour,
    Je suis tout à fait d’accord avec l’article ci-dessus. Pour ma part je suis actuellement avec la marine afin de faire reconnaitre mon pacs et qu’il soit payer comme prévu. Toute les requetes militaires ont été faite mais il me reste très peut de temps pour envoyer l’affaire au tribunal administratif. N’ayant jamais fait de procédure de ce type je ne sais pas comment faire et j’aimerais savoir par hasard si quelqu’un pourrait m’aider.
    Cordialement

  3. Anonyme

    « Autre phénomène nouveau : le désœuvrement, le manque d’activités d’entraînement de ceux qui ne sont pas en OPEX. De jeunes sergents sortis de Saint Maixent constatent qu’ils sont sous employés et souhaitent quitter l’institution prématurément : triste syndrome d’une armée qui ne se porte pas bien. » => Triste réalité… Major de promo à St Maixent, je quitte l’armée dans quelques mois à cause de cela.

  4. Anonyme

    Merci pour cet article.
    Actuellement femme d’élève en école d’application, je suis également révoltée par un autre phénomène.
    Depuis que mon mari est en école, il DOIT cotiser des sommes aberrantes, participer à des sorties, organiser des soirées démesurées… avec sa solde et sur le temps libre réservé normalement aux familles.
    Nous avons du mal à finir nos fins de mois. J’accepte de soutenir mon mari dans le cadre de son métier car ils en a besoin.
    Par contre, je ne suis pas d’accord sur le fait que parce qu’ils sont élèves et que l’odre de cotiser vient d’en haut, qu’ils sont obligés de dire « reçu ».
    Tous ces extras devraient rester libres. Je ne comprend pas pourquoi les élèves ne disent rien et non pas le choix si ce n’est que ça compte pour leur note de geule. Il y a à mon avis des abus d’autorité.
    Pensez-vous qu’il est possible qu’on établisse un rapport pour constater que sur une solde une bonne partie repart pour l’investissement matériel et surtout pour tous les faux frais (galas, sorties cohésion) ? Depuis quand une soi-disante activité de service est devenue payante ? (sachant que les cadres se font payer ces soirées et sorties par leurs élèves… à ce qu’il paraît, c’est la tradition)
    Merci de m’apporter votre point de vue.
    Une épouse très remontée…

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