Discours prononcé devant le Club Démocraties

Le Samedi 3 avril 2004, le club DEMOCRATIES a organisé un colloque au Musée social sur le thème : La fin de la Grande Muette ? Au cours de ce colloque, Michel Bavoil, président de l’ADEFDROMIL, a prononcé le discours suivant :

« Mesdames, Messieurs, Messieurs les officiers généraux,

Tout d’abord, je voudrais remercier le général Pâris, président de Démocraties d’avoir invité notre association, l’Adefdromil , à s’exprimer dans ce colloque, dont le thème est tout à la fois actuel et prospectif puisque nous savons que le projet de loi visant à apporter quelques adaptations au statut général des militaires exclut d’accorder formellement dans le statut le droit d’association -à titre professionnel- aux militaires.

Déjà en 1991, lors d’un débat organisé par une association de sous officiers retraités et Euromil sur « L’Europe et ses militaires », le général de division de la gendarmerie Devemy concluait son intervention par les propos suivants : « les associations professionnelles de militaires sont à mon sens autant indispensables qu’inéluctables. Les policiers, les magistrats sont regroupés en associations ayant la capacité de négocier et d’ester. Sont ils pour autant des voyous ? »

Vous aurez noté que cet officier général employait alors le terme d’associations pour désigner ce que nous savons être des syndicats de policiers et de magistrats.

L’Adefdromil, quant à elle, est bien juridiquement une association, dont l’objet social peut conduire à la qualifier de syndicat en sachant que ce mot est à la fois trop fort et de plus en plus faible. Trop fort, parce que le syndicalisme dans sa conception commune fait encore peur à la collectivité militaire notamment par sa référence à la lutte des classes qui est bien évidemment étrangère à notre démarche. A cet égard, nous avons parmi nos adhérents ou sympathisants actifs un contrôleur général et des officiers supérieurs, mais aussi des sous officiers de tout grade et des engagés. Et en même temps, le terme est de plus en plus faible, car chacun sait que le taux de syndicalisation en France est en constante diminution, ce qui marque probablement une perte d’influence des syndicats dans la vie des entreprises ou des administrations.

En tout état de cause, qu’on l’appelle syndicat ou association, l’Adefdromil revendique la qualité de premier groupement professionnel de militaires, auquel l’adhésion des militaires en activité de service est interdite par l’article 10 du SGM. Pourquoi dès lors, un tel groupement ne fait-il pas l’objet d’une procédure de dissolution ? Pourquoi ses dirigeants ne sont ils pas poursuivis, comme étant susceptibles de porter atteinte au moral des armées ? Pour tenter de répondre à de telles questions, je voudrais revenir aux origines de l’Adefdromil qui permettent de comprendre nos motivations et nos buts qui vous le verrez ne visent pas à porter atteinte au moral des armées, à développer une propagande antimilitariste ou à nuire à l’exercice de l’autorité hiérarchique.

L’idée de créer l’Adefdromil résulte de la convergence d’un constat et d’une évolution.

Le constat s’articule autour de quatre propositions :

1°- La hiérarchie (où commence-t-elle, où finit-elle ?) se voit confier par le SGM un rôle de défense de la condition militaire, ce que nous appelons « le paternalisme institutionnalisé ». Dans les faits, à la fois juge et partie, elle n’est pas ou plus en mesure de tenir ce rôle de manière satisfaisante.

2°- Les instances de concertation actuelles ont une représentativité faible, voire dérisoire. Mme Debernardy, secrétaire général du CSFM, dans une interview donnée à l’Essor de la Gendarmerie du mois de mars 04 parle de « représentativité statistique » pour justifier le tirage au sort qui désigne les membres du CSFM. Bien entendu, elle ne peut, eu égard à ses fonctions que défendre le système en place. Mais soyons sérieux un instant, tout en vous rappelant que notre hôte se nomme « Démocraties ». Si cette représentativité « statistique » vaut celle issue d’une élection, comme le prétend la secrétaire générale, il serait grand temps qu’on adopte ce système dans ce pays et dans d’autres, ce qui aurait au moins le mérite de faire chuter le taux des abstentionnistes. Pourquoi, en effet, réserver aux seuls militaires le bénéfice d’une solution aussi pragmatique?
Bref, dénués d’une représentativité réelle, n’ayant ni le temps, ni les moyens, ceux qui sont tirés au sort ne peuvent jouer le rôle attendu d’un organe représentatif de salariés. Ainsi, il est bien connu que les titulaires d’un siège ne peuvent suivre personnellement la totalité des sessions qui les concernent.

3°- La légalité de l’interdiction de l’adhésion des militaires d’active à des groupements professionnels est pour le moins douteuse, probablement anticonstitutionnelle et en contradiction avec la convention européenne des droits de l’homme pour ne citer que ce texte international. Malheureusement, aucun contrôle de constitutionnalité de la loi a posteriori n’est prévue par notre constitution. N’étant pas moi-même un spécialiste, vous me pardonnerez de vous renvoyer aux arguments développés par d’éminents juristes sur ce sujet. Il convient de citer à cet égard l’excellent article d’un professeur de droit de l’IEP de Toulouse, Mme Marie Dominique Charlier Dagras, paru dans le n°4 de la Revue de droit public de l’année 2003 sous le titre « Vers le droit syndical des personnels militaires ».

4°- Il faut enfin tenir compte de l’insatisfaction grandissante et permanente des membres de la collectivité militaire toutes armées confondues que nous percevons à travers les dossiers et les courriers qui nous sont adressés. Au niveau individuel, l’augmentation considérable du nombre de recours en est un bon indicateur, en dépit de la création de la commission des recours des militaires, instance dont le but inaccessible en l’état était pourtant de limiter le nombre des actions contentieuses administratives.

Simultanément à ce constat, le métier militaire a subi une triple évolution :

1°- Tout d’abord, qu’on le veuille ou non, il est de moins en moins « spécifique ». Les militaires ne sont pas les seuls à exercer la violence de l’Etat. Ils ne sont pas les seuls à subir celle des adversaires de la France ou de la société. Bref, les militaires ne sont pas les seuls à payer le prix du sang et quand ils le payent (ce que nous déplorons bien évidemment), leurs pertes sont comparables à celles subies par les forces de police (police nationale et gendarmerie). Rappelons aussi que les militaires ne sont pas les seuls à être privés du droit de grève. La spécificité s’est également fortement atténuée avec la disparition du service national, qui symbolisait le lien armée nation et constituait le dernier impôt en nature perçu par l’Etat. A cet égard, le Contrôleur Général Duval nous a fait l’amitié de publier sur notre site un article sur le thème de la spécificité, particulièrement bien documenté. Je me permets de vous en suggérer sa lecture.

2°- Ensuite et conséquence de la disparition du service national, le métier militaire est désormais totalement professionnalisé. Cette nouvelle situation aurait dû imposer de nouvelles règles de fonctionnement interne allant bien au delà du simple toilettage des textes évidemment obsolètes.

3°- L’armée française intervient de plus en plus dans un cadre européen, voire international. Dès lors, il est logique que les différents contingents comparent leurs statuts respectifs et notamment ce qui concerne la représentativité et la concertation. Et sur ces points, l’armée française est en décalage total tant avec le reste de la société qu’avec nombre d’armées européennes, en particulier du nord de l’Europe.

Quels sont dès lors nos objectifs ?

Tout d’abord, les membres de notre association sont sans distinction des militaires d’active, de réserve ou retraités. Je dis sans distinction parce que notre objet social ne vise pas la défense des intérêts des retraités, mais bien celle de tous les militaires quelles que soient leurs positions statutaires.

Indépendamment du problème de la légalité de l’interdiction du droit d’association, sur laquelle je reviendrai, nous entendons agir dans le cadre des lois et de manière apolitique . Ce qui ne signifie pas bien sûr, que nous refusions par principe l’appui des forces politiques du pays pour atteindre nos objectifs.

Outre le rôle de conseil à l’égard de membres des forces armées en difficulté que nous jouons dès à présent, ( et dans certains cas de médiateur ) nous souhaitons contribuer à la modernisation sociale du mode de fonctionnement interne militaire, en période de paix. Le fonctionnement du temps de crises, quel qu’en soit la dimension nationale, européenne ou internationale est d’ailleurs explicitement prévu dans les directives européennes qui réservent aux nations membres la possibilité de suspendre ou restreindre un certain nombre de droits et libertés quand la sécurité est en jeu. Dans ces périodes troublées, il n’est pas anormal que le combattant soit un peu moins citoyen puisqu’il n’est pas non plus anormal que, le cas échéant, le citoyen devienne un peu plus combattant.

En revanche, dans les périodes de paix , il nous paraît indispensable que le droit d’association pour la défense de leurs intérêts professionnels soit reconnu aux militaires de façon formelle et non en catimini ou de manière indirecte.
Nous pensons également que les représentants des différents corps ou catégories doivent être désignés par leurs pairs, c’est-à-dire élus et non plus tirés au sort. Ces représentants doivent exercer leur mission à titre permanent et non plus de manière occasionnelle, comme des sortes d’intermittents du social militaire .

Finalement, nous revendiquons un rôle de partenaire du Ministère de la Défense et surtout du Ministre lui même pour qu’il soit mieux informé dans tous les domaines touchant à la condition militaire. Ce partenariat sans complaisance, mais respectueux de l’outil de défense, des femmes et des hommes qui le servent, est un élément essentiel du progrès social, un gage irremplaçable de confiance réciproque, et donc un facteur fondamental du moral collectif, dont nous savons le rôle primordial dans la réussite de toute entreprise humaine, fut-elle guerrière.
Ces buts nobles et louables expliquent peut être pourquoi aucune procédure de dissolution n’a été engagée contre notre association, contentieux que nous étions et sommes encore prêts à affronter avec confiance et sérénité. En revanche, nous ne pouvons qu’être étonnés voire outrés par la directive de tel membre du cabinet de Mme la Ministre de la Défense qui oblige les militaires rendant compte de leur appartenance à l’Adefdromil à démissionner. Outre que cette directive lue dans la plupart des unités élémentaires a contribué à nous faire connaître et donc a eu l’effet inverse de celui qu’elle recherchait, on peut s’interroger sur ce qu’il se passera si un membre, militaire d’active, du bureau de notre association refuse de démissionner ? Engagera-t-on des poursuites disciplinaires pouvant aller théoriquement jusqu’à la radiation des cadres ?
Il est certain que dans un tel cas, nous placerions le débat non pas sur son aspect strictement disciplinaire, mais bien sur celui des libertés fondamentales, des droits de l’homme et du citoyen, dont le militaire français ne peut être privé. A cet égard, la jurisprudence de la Cour Européenne nous semble très favorable.

A l’heure où la Pologne va devenir membre de l’Union européenne, on ne manquerait pas de faire le rapprochement avec la répression qui s’était abattue sur les membres du syndicat Solidarnost dans les années 80. On connaît la suite.
Quelle personnalité politique se risquerait à engager son avenir sur une position aussi douteuse sur le court terme? Certes, les militaires ne sont tout au plus que 400 000 électeurs, mais ce serait sans compter sur les deux millions huit cent mille retraités chez lesquels, nous l’avons constaté récemment, nous comptons de nombreux sympathisants.

Sans doute comparaison n’est elle pas raison. Mais, pourrait on pour une fois dans ce pays aborder le problème du droit d’association des militaires sans passion et sans attendre l’expression dommageable des rapports de force qui verront fatalement le jour si on continue de refuser toute évolution ? Tout le problème est là et nous ne sommes pas spécialement optimistes.

Dans « Vers l’Armée de métier », titre prophétique s’il en est, le Général de Gaulle n’écrivait il pas : « vivant de stabilité, de conformisme, de tradition, l’armée redoute, d’instinct, ce qui tend à modifier sa structure… Généralement, (les grandes réformes) ne se réalisent point par l’initiative et le jeu de l’organisme lui-même . »

Alors, nul doute qu’il sera difficile de convaincre la haute hiérarchie et que nous n’atteindrons nos objectifs qu’en continuant inlassablement notre action et en cherchant le soutien de toutes les forces de progrès, qu’elles soient nationales ou européennes, à travers notamment EUROMIL , à laquelle nous venons d’adhérer.

Je vous remercie de votre attention. »

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