Intervention de M. Sanguinetti


M. Alexandre Sanguinetti,
président de la commission de la défense nationale et des forces armées

Mesdames, messieurs, j’interviens en qualité de président de la Commission beaucoup plus par devoir que par nécessité. Je pense, en effet, que la discussion des articles permettra de bien comprendre ce projet de loi et que M. Joël Le Theule, rapporteur, vient d’exprimer parfaitement et complètement le sentiment de la commission.

Cependant, je présenterai quelques observations.

Ce statut était évidemment nécessaire. Savoir s’il est suffisant, la suite de la discussion nous l’apprendra ; savoir s’il satisfera tout le monde, j’y reviendrai. Mais ce statut, tel qu’il est, apporte des novations, affirme des garanties et confirme des sujétions. Il ne pouvait en être autrement : dans la mesure où les garanties sont étendues par rapport au statut de la fonction publique, le maintien des sujétions n’est que justice.

Dans une société qui, comme la nôtre, recherche de plus en plus les loisirs, le maintien de la disponibilité permanente des armées est une sujétion extrême. Dans une société qui accorde une place de plus en plus grande à l’activité des groupes socioprofessionnels qui finissent par étouffer et faire disparaître le citoyen, l’interdiction du droit syndical et du droit de grève continue également une lourde sujétion. D’autant plus que si cette interdiction se comprend parfaitement – sur ce point, comme vient de le dire notre rapporteur, nous suivons absolument le ministre et la tradition – le rapprochement du statut des militaires de celui de la fonction publique en montre néanmoins les anomalies.

En effet, l’interdiction du droit de grève pour les armées est liée d’abord à la notion de disponibilité permanente. Elle se rattache aussi au danger que pourraient faire courir à l’Etat l’extension aux armées du droit de grève et de l’exercice du droit syndical tels qu’ils se pratiquent dans notre pays. Il n’en demeure pas moins vrai que le danger existe depuis longtemps dans la fonction publique et non plus dans les armées.
Tout cela procède, bien entendu, des souvenirs du 2 décembre 1851 dont nous ne nous sommes pas encore remis. Mais à cette époque, il était évidemment difficile d’enrayer l’action d’une armée par la grève générale de l’électricité – et pour cause ! – ou la grève générale des transports ferroviaires, encore peu développés. Or, désormais, c’est ce genre d’activités qui met l’Etat en péri! et il faudra bien un jour que l’Etat se décide à reconsidérer le droit de grève dans la fonction publique. ( Applaudissements sur les bancs de l’union des démocrates pour la République et du groupe des républicains indépendants ).

Tel qu’il se présente, le statut ne satisfait ni les conservateurs, ni les réformateurs, ni les corporatistes, ni les révolutionnaires, ce qui tendrait à prouver qu’il est, somme toute, satisfaisant. Car ne profitant à personne, il est susceptible de profiter à tout le corps militaire.

En réalité, aucun statut ne pourra être satisfaisant eu égard à la psychologie militaire. Si un statut énonce des règles de droit, il ne peut pas changer l’état d’une société. Or là est le problème. La société militaire est naturellement le reflet de la société civile dans laquelle elle vit. En même temps, et dans toutes les conditions, l’état militaire est antinomique à l’état civil parce que la finalité d’une armée est et reste le combat et sa préparation.

Dans les siècles où la société civile admettait comme moyen de la puissance et de la vie le combat, la société militaire y trouverait naturellement sa place. Dans la mesure où la société civile des sociétés libérales occidentales ne l’admet plus – à tort ou à raison, le problème n’est pas là – et finit par considérer les armées comme un rappel permanent d’une éventualité qu’elle veut éloigner, et qui est le retour des risques majeurs, il est évident que la condition militaire en subit le contrecoup.

Qui peut alors changer cet état de choses, ou tout au moins l’atténuer ? Eh bien ! l’Etat, c’est-à-dire le Parlement et le Gouvernement. Seuls, ils ont le pouvoir de maintenir la condition militaire à sa place qui, à mes yeux, comme celle de la magistrature, doit être la première et au-dessus de la fonction publique parce que ce n’est pas une fonction : c’est un état, ( Applaudissements sur les bancs de l’union des démocrates pour la République, du groupe des républicains indépendants et du groupe Progrès et démocratie moderne ),

II appartient donc au Gouvernement et au Parlement de prouver par les différents textes, d’une part, par la place naturelle que nous réserverons dans la nation à cette fonction et par les crédits que nous saurons lui dispenser, d’autre part, l’importance que nous lui accordons.

Le statut est une remise en ordre, une codification, une confirmation, mais le statut ne peut pas apporter ce que seuls l’Etat et la société qu’il dirige peuvent apporter, c’est-à-dire la considération nécessaire à l’état militaire sans laquelle il ne peut pas y avoir de bonnes armées. ( Applaudissements sur les bancs de l’union des démocrates pour la République, du groupe des républicains indépendants et du groupe Progrès et démocratie moderne ).

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