Les troupes françaises n’ont vraiment pas le moral

Les troupes françaises n’ont vraiment pas le moral

La Croix, mardi 19 juin 2001
par Antoine FOUCHET,
rédacteur au journal La Croix

DéFENSE Selon un audit, les soldats de l’armée de terre se sentent mal considérés
et s’inquiètent de leur avenir. L’état-major a décidé de se lancer dans une grande
opération de communication

La grande muette découvre soudain l’exercice de la parole! à un an de la fin du processus de professionnalisation, l’armée de terre, qui représente plus de la moitié des effectifs militaires, a décidé de «dialoguer» avec les Français en s’exposant jusqu’au 24 juin au Champ-de-Mars à Paris. Objectif: se montrer sous son meilleur jour. Mais cela ne doit pas faire illusion: l’armée de terre a en réalité, à l’instar d’ailleurs de la marine et de l’armée de l’air, des états d’âme.

C’est du moins ce que révèle un récent audit réalisé par l’Inspection générale (constituée de cinq généraux) de l’armée de terre, et transmis aux plus hautes instances de l’état. Des conclusions dont le président de la République avait été informé, avant de plaider solennellement, le 8 juin, devant l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), pour «un effort significatif dès le budget 2002» en faveur des forces armées.

L’audit en question a été effectué, durant l’hiver dernier, à partir des témoignages de 1800 soldats de tous grades recueillis grâce à 182 visites d’unités et 300 tables rondes. Il constate que les militaires se sentent ignorés, mal aimés. à plus d’un titre. D’abord, et avant tout, l’enquête révèle un «manque de reconnaissance». Les soldats interrogés estiment qu’ils ont fait preuve de beaucoup de bonne volonté pour que la professionnalisation des armées soit menée à son terme et que cela n’est pas suffisamment souligné par les responsables politiques auprès de l’opinion.

Engagée en 1996 par le chef de l’état et devant être achevée fin 2002, la constitution d’une armée de métier – qui a entraîné une profonde restructuration avec dissolution de régiments, réaffectations individuelles ou mises à la retraite anticipée – est pourtant, d’ores et déjà, considérée comme une réussite en haut lieu. Sous les képis, on s’étonne d’autant plus de la rareté des félicitations que, parallèlement à ce processus d’adaptation, il a fallu assurer plusieurs opérations extérieures (Kosovo notamment) ou humanitaires (interventions sur les intempéries et pollutions).

A ce sentiment de n’être pas honorés comme il se doit, s’ajoute une «incertitude quant à l’avenir professionnel». Composée de 100000 soldats, l’armée de terre professionnelle devra en effet renouveler régulièrement ses soldats afin de maintenir une moyenne d’âge jeune, comme cela était le cas auparavant grâce aux appelés. Les engagés seront ainsi, en majorité, amenés à rejoindre la vie civile, après environ huit ans d’activité sous les drapeaux. Des formations qualifiantes ont été prévues pour eux (comme d’ailleurs pour les engagés de la marine et de l’armée de l’air). Mais la formule n’est pas encore véritablement éprouvée. D’où de fortes appréhensions.

L’armée devrait se voir offrir  » davantage de temps pour vivre « 

L’audit réserve également quelques surprises en constatant notamment que les soldats supportent de moins en moins «un décalage» entre les contraintes horaires militaires de travail et le régime des 35 heures mis en oeuvre dans la société civile. Ces contraintes découlent du principe aussi vieux que l’armée elle-même, et selon lequel tout casernement doit bénéficier, 24 heures sur 24, y compris le week-end, d’une veille. En réalité, à l’heure du tout informatique, ce principe paraît d’ores et déjà condamné. Le général Yves Crène, chef d’état-major, devrait d’ailleurs procéder, d’ici à août prochain, à une «rationalisation des tâches administratives», jugées trop lourdes. Et ce afin d’offrir aux personnels davantage de temps pour vivre.

En revanche, ce qui n’a pas étonné l’Inspection générale, c’est «la préoccupation» des soldats -à tous les échelons- face à un matériel vieillissant, parfois même inutilisable, faute de pièces de rechange par exemple. Ces défauts dans la cuirasse, liés aux réductions budgétaires en vigueur depuis 1996, ont d’ailleurs failli jouer un mauvais tour au contingent français au Kosovo en 1999. Il y avait eu alors pénurie de pneus de secours pour les camions de transports de troupes… Aujourd’hui, quelques-uns des chars Leclerc seraient même, selon des rumeurs insistantes, carrément immobilisés, dans l’attente d’une remise à niveau qui tarde à venir!

Premier informé de l’audit, le ministre de la défense Alain Richard a eu droit récemment à une illustration sur le terrain, dans le plus grand secret. C’était le 25 mai dernier, sur le vaste camp de Mourmelon (Marne), où plusieurs régiments étaient concentrés pour un entraînement d’envergure. En marge d’une série d’exercices, le ministre a eu droit à une séance de doléances, aussi soignée que la séance d’entraînement.

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