Des militaires au chômage veulent poursuivre l’Etat (Emeline CAZI)

ENQUÊTES. Après avoir écrit au ministre de la Défense, d’anciens militaires au chômage s’apprêtent à saisir la justice. Depuis plusieurs mois l’armée ne verse plus les indemnités chômage qu’elle leur doit.

Si l’Etat ne réagit pas rapidement, la lettre de l’Adefdromil, l’Association de défense des droits des militaires, qu’Hervé Morin, le ministre de la Défense vient de recevoir sur son bureau, se transformera d’ici peu en une multitude d’actions en justice. D’anciens soldats s’apprêtent en effet à saisir les tribunaux administratifs pour obliger l’armée à leur payer les indemnités chômage qu’elle leur doit (Lire ci-dessous). Ils exigeront aussi qu’on les dédommage du préjudice qu’ils subissent depuis des mois. Certains d’entre eux, n’ayant pas retrouvé d’emploi dans le civil, attendent depuis six mois, parfois sept, de toucher  leur chômage et se retrouvent dans des situations financières inextricables.

Fin 2008 déjà, le député communiste Maxime Gremetz interpellait le ministre de la Défense sur ces délais de paiement et regrettait que cette « situation perdure depuis plus d’une décennie ». En cause, les retards du CTAC de Bordeaux (centre territorial d’administration et de comptabilité). Cette structure est notamment chargée du paiement des indemnités chômage des anciens de l’armée de terre et de la gendarmerie.

Les dossiers s’accumulent

Si le problème n’est pas récent, il a pris une ampleur considérable avec la crise. En conséquence, l’armée enregistre une « hausse sensible du nombre de dossiers de demande d’indemnisation chômage » et en 2009, le centre de Bordeaux a traité 15 000 nouveaux dossiers. Résultat, les piles s’accumulent et les délais de traitement s’allongent.

Pour sa défense, l’institution – qui a reconnu un manque d’effectifs mais jure y avoir remédié l’été dernier – explique aussi que « 60 à 70% des dossiers » qui lui sont adressés « sont incomplets ». Un argument que réfutent les anciens militaires, beaucoup expliquant avoir reçu des courriers leur demandant de renvoyer des documents qu’ils ont déjà postés à trois ou quatre reprises. Me Billet, l’avocat d’un d’entre eux, se demande « si ce n’est pas fait exprès pour les décourager ». Michel Bavoil, le président de l’Adefdromil, y voit, lui, de « l’incompétence » et se permet de suggérer à l’armée d’externaliser la mission chômage en la confiant simplement…au pôle emploi.

E.C.

Source : Le parisien n°20400 du lundi 12 avril 2010 – www.leparisien.fr

Une indemnisation spécifique

Lorsqu’ils quittent l’armée « de façon non volontaire » (à la fin de leur contrat par exemple),les anciens militaires qui n’ont pas retrouvé d’emploi dans le civil ont droit à des indemnités chômage. Mais contrairement aux civils qui dépendent du Pôle emploi, « la charge et la gestion de l’indemnisation des militaires involontairement^privés d’emploi sont assurées par le ministère de la Défense » précise le dernier rapport du haut comité d’évaluation de la condition milityaire. En 2009, la Défense a consacré 98,2M€ (110,2 M€ avec les gendarmes) à indemniser ses anciens salariés. Si l’on exclut les gendarmes, cela fait un total de 8191 ex-militaires qui touchent ces allocations.

E.C.

Source : Le parisien n°20400 du lundi 12 avril 2010 – www.leparisien.fr

« Ils se sont servis de nous et nous ont oubliés »

Clément Derveaux. Ancien chasseur alpin, attend ses indemnités chômage depuis sept mois.

Quand il quitte le bataillon de chasseurs alpins de Chambéry en 2006, Clément Derveaux sait qu’il va devoir s’accommoder de petits boulots : «  Tireur de précision, ça se recase mal dans le civil. » Il trouve une place de paysagiste, puis devient chauffeur-livreur. Cela suffit pour retaper la vieille ferme acquise avec sa femme. Mais les missions d’intérim se font rares et, en septembre dernier, il se résigne à demander ses indemnités chômage. C’était il y a sept mois. Depuis il n’a rien reçu. « J’ai travaillé pendant plus de cinq ans pour l’armée et voilà comment on nous remercie. Ils se sont servis de nous et nous ont oubliés.»

Au centre payeur de Bordeaux, chargé du règlement des indemnités chômage des anciens de l’armée de terre et de la gendarmerie, personne n’a jamais répondu à ses appels téléphoniques ni à ses mails. »Un jour, on a reçu une lettre, disant qu’il manquait des pièces au dossier, mais ces papiers, on les leur avait déjà adressés.» A cinq reprises déjà, les Derveaux ont renvoyé l’intégralité du dossier. Sans réponse. De colère, la semaine dernière, Mélanie, l’épouse, s’est juré de leur faxer les 52 pages trois fois par jour…

Parents de deux jeunes enfants, ils vivent avec le salaire de Mélanie, soit moins de 1 000€ par mois. Leur compte est à découvert de 5 000€ et d’un jour à l’autre ils s’attendent à ce que l’eau et l’électricité soient coupées.

A l’automne déjà, voyant que rien n’arrivait, ils ont trié les jouets des enfants et revendu la poussette du petit dernier. »j’en avais encore besoin, mais j’en ai tiré 80€, ce qui m’a permis d’acheter à manger et de faire un plein d’essence », explique la mère. « Sans le chômage de Clément, on s’est retrouvés tout de suite au fond du trou. » Aujourd’hui, les voitures ne sont plus assurées et il arrive que le père se rende à pied à l’école de sa fille de 4 ans, à 8 km de là, pour lui apporter un sandwich. La cantine, il ne faut plus y compter. En janvier, les livrets A des enfants ont servi à payer la nourrice dont ils n’ont pu se séparer faute de pouvoir lui verser ses indemnités de licenciements…

Face à cette « situation désespérée », leur avocat, Me Billet, vient d’engager « un recours de plein contentieux ». Si l’Etat ne paie pas d’ici le 19 mai, il attaquera devant le tribunal administratif en exigeant au moins 27 500€ de dommages et intérêts. Comme Clément Derveaux, des centaines d’anciens militaires connaîtraient les mêmes difficultés pour percevoir leurs indemnités chômage. Christophe Clebar, 33 ans, dont neuf dans l’armée de terre, est retourné vivre chez sa mère et a déposé un dossier de surendettement à la Banque de France. Depuis quatre mois, Lyne Nguyen, ex-parachutiste, paye son loyer avec son héritage. Olivier, ex-officier de communication, n’a même pas encore pu déposer de dossier. Il attend depuis cinq mois que l’armée lui fournisse un ultime document pour le compléter.

Isabelle, contrainte de quitter la gendarmerie après une fracture de la cheville, a pour sa part fini par obtenir gain de cause lorsqu’elle a menacé le ministère de la Défense d’organiser une manifestation devant le Centre de Bordeaux. « Une fois, se souvient-elle, je les ai traités d’incapables, une femme m’a appelée, m’insultant à son tour et en expliquant qu’ils n’étaient pas assez nombreux pour traiter les dossiers.

EMELINE CAZI

Source : Le parisien n°20400 du lundi 12 avril 2010 – www.leparisien.fr

Lire également:

Le président de l’Adefdromil interpelle le ministre de la défense sur le retard de paiement des indemnités pour perte d’emploi des militaires.

Des militaires au chômage veulent poursuivre l’Etat (Site www.leparisien.fr)

Une indemnisation spécifique (Site www.leparisien.fr)

« Ils se sont servis de nous et nous ont oubliés » (Site www.leparisien.fr)

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