Imputabilité au service des troubles psychiques manifestés par un militaire. (Par Jacques BESSY, président de l’Adefdromil)

On a beaucoup parlé, ces dernières années, du syndrome de stress post-traumatique ou névrose de guerre, dont peuvent souffrir les militaires, qui ont été acteurs, victimes ou témoins d’un évènement traumatisant lors d’une mission. Il s’agit là, au sens du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre (CPMIVG), d’une blessure puisqu’elle peut être rattachée à un fait précis de service.

Compte tenu de la difficulté à diagnostiquer ce type de blessure, un décret du 10 janvier 1992 encadre et  précise les modalités des expertises susceptibles de servir de preuves.

L’affaire jugée le 22 septembre 2014 par les 6ème et 1ère sous-sections du Conseil d’Etat est quelque peu différente. Elle fixe les principes de détermination de l’imputabilité au service de troubles psychiques non reliés à un fait précis de service (Arrêt n°366628).

Après une carrière dans l’armée de terre, le lieutenant-colonel B a manifesté soudainement en octobre 2007 les signes d’une « décompensation psychologique brutale avec effondrement anxiodépressif ».

Cette pathologie ne pouvait être a rattachée à un fait précis de service et le requérant ne bénéficiait pas de la présomption d’imputabilité au service des maladies prévue par l’article L3 du CPMIVG. En particulier, son dernier séjour en Afghanistan d’août 2004 à février 2005 remontait à plus de deux ans au moment de l’apparition des symptômes.

La demande de pension militaire d’invalidité du lieutenant-colonel B a été rejetée successivement par le ministre, après que la commission de réforme des pensions militaires d’invalidité de Marseille a reconnu un taux d’invalidité de 50% non imputable, puis par le tribunal départemental des pensions militaires du Var, enfin par la cour régionales des pensions d’Aix en Provence, qui avait confirmé la décision du tribunal.

Il appartenait donc au Conseil d’Etat, en tant que juge de cassation de se prononcer.

Tout d’abord, il a écarté l’argument de la cour régionale qui avait retenu que : « les faits à l’origine des troubles psychiques avaient également été subis par d’autres militaires que le demandeur de la pension ». Le Conseil d’Etat juge que cette circonstance « ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l’imputabilité au service de tels troubles ». On peut penser qu’il sous-entend ainsi que chaque personne présente une résilience différente à de mêmes évènements et à de mêmes contraintes professionnelles.

Ensuite, la haute juridiction a estimé que :

« s’agissant des névroses traumatiques de guerre, le décret du 10 janvier 1992 déterminant les règles et barèmes pour la classification et l’évaluation des troubles psychiques de guerre prévoit que, compte tenu de la difficulté de prouver leur imputabilité au service, notamment du fait des longs délais d’apparition de ces troubles, l’expertise médicale peut accéder au rang de preuve décisive à la condition toutefois d’être fondée sur une argumentation rigoureuse établissant une causalité directe et déterminante entre les troubles psychiques constatés et le service » ;

Le Conseil d’Etat applique alors au cas d’espèce le principe qu’il a édicté.

Il relève que :

« qu’il résulte de l’instruction, notamment du certificat médical du 25 mars 2008 déjà mentionné et de celui établi par le même médecin le 7 octobre 2010, que M.B…, lieutenant-colonel de l’armée de terre, a été confronté dans l’exercice de ses missions d’encadrement et, en dernier lieu, en Afghanistan du 5 août 2004 au 11 février 2005, à des situations répétées d’extrême tension à l’origine d’un syndrome clinique de stress post-traumatique ;

 que ce constat est corroboré par les témoignages concordants des autorités sous les ordres desquelles il a servi ; qu’ainsi, il résulte de l’instruction que les troubles psychiques constatés chez l’intéressé trouvent leur cause directe et déterminante dans les conditions particulières du service de M. B…;

qu’il suit de là que, dans les circonstances particulières de l’espèce, la preuve de l’imputabilité au service de sa pathologie doit être regardée comme établie, contrairement à ce qu’a retenu le ministre de la défense dans sa décision du 1er décembre 2009 ; que, d’autre part, en l’absence de fait traumatique précis, l’affection de M. B…doit être regardée comme résultant d’une maladie et non d’une blessure ; qu’il résulte de tout ce qui précède que M. B…est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions du Var a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 1er décembre 2009 par laquelle le ministre de la défense lui a refusé le bénéfice d’une pension militaire d’invalidité »…

Le Lieutenant-colonel B obtient donc l’annulation de l’arrêt de la cour régional des pensions et de la décision du ministre de la défense lui ayant refusé l’attribution d’une pension.

Il convient de noter que le Conseil d’Etat insiste sur les « circonstances particulières de l’espèce ».

Le raisonnement ayant conduit à cet arrêt est, en de nombreux points, comparable à celui suivi pour reconnaître l’imputabilité au service du décès d’un militaire retraité de la Marine nationale, souffrant d’un carcinome broncho-pulmonaire provoqué par une exposition prolongée à l’amiante lors de ses divers embarquements (CE n°344749 du 29/04/2013).

30/09/2014

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