Tempête dans un verre de citoyenneté

            Le journal «Libération» du 14 décembre nous apprend que la Ministre de la défense s’attaque aux syndicalistes de l’armée.

            Le titre est sans doute exagéré car il n’y a pas de syndicats dans l’armée, mais l’article révèle que le directeur de cabinet de la ministre vient de donner ordre aux états-majors d’inviter les militaires adhérents de l’Adefdromil – association de défense des droits des militaires – de démissionner de cette association sous peine de sanctions disciplinaires.

            A notre connaissance, cette association est parfaitement régulière au regard de la loi de 1901 modifiée, elle n’a pas été contestée et correspond à une nécessité et à un état d’évolution de la société.

            Comment se fait-il qu’à la fin de l’année 2002, les militaires ne bénéficient pas encore de la pleine citoyenneté ? Même s’il est facile de comprendre que pour diverses raisons le droit de se syndiquer à la façon française leur soit interdit ; c’est du reste une prise de position constante de la dite association si fortement mise en cause par la ministre de la défense.

            Depuis 1945, les militaires n’ont cessé d’être bernés : le droit de vote leur a certes été restitué en août 1945, mais, en dépit de ce premier pas,  les militaires restent des citoyens de seconde zone par maints coté que nous ne pouvons détailler ici: ils ont subi à plein les lois de dégagement de l’immédiat après-guerre et les autres mesures de même effet sous des appellations différentes.

            A au moins trois reprises, à l’occasion des voeux annuels, le chef des armées en exercice a demandé de réfléchir «à la place des militaires dans la société» ainsi qu’à leur participation «à la démocratie locale»; ce ne sont là que des voeux pieux de circonstance, de belles paroles qui n’ont jamais été  suivies d’effets.

            A l’occasion du changement de majorité parlementaire, pour montrer aux armées qu’elles ne sont pas oubliées, la loi de programmation prévoit une remise à hauteur des moyens matériels, mais cette loi de quincaillerie (même si ce terme peut paraitre exagéré) ne comporte, et pour cause,  aucune disposition touchant à l’actuel statut des militaires datant de juillet 1972.

            La ministre de la défense vient, lors de la cloture du CSFM (conseil supérieur de la fonction militaire) de renvoyer à 2003 et 2004 l’examen de ce statut; un rapport du contrôleur général des armées Bonnardot propose de réexaminer 50 articles de ce statut qui n’en comporte qu’une centaine; c’est bien qu’il y a problème quelque part ou inadaptation flagrante.

            Il est évident que la place des militaires dans la société d’aujourd’hui est de plus en plus mal définie quand on constate que nul ne peut faire le point exact du décret de 1948 portant classement hiérarchique des personnels civils et militaires de l’Etat, ou quand on se rend compte que la règlementation du Ministère de la défense n’a pas même
été mise à jour pour tenir compte des dispositions législatives relatives au harcèlement sexuel et moral…

            On peut enfin se demander comment au seul ministère de la défense le directeur de cabinet soit autorisé à ordonner la  disposition rappelée par l’article de «Libération» alors que le texte de l’article 10 du statut est sans équivoque, c’est une décision qui relève du ministre de la défense : aurait-elle peur de monter en première ligne ?

            Cette note du directeur du cabinet de la défense ne fait que reprendre une décision prise à la suite d’un avis du Conseil d’Etat datant du printemps 1949 !

            Tout se passe comme si les règles étaient immuables pour les seuls militaires et qu’ils n’étaient encore que ces citoyens de seconde zone n’ayant que le droit de voter et d’exécuter «sans hésitation ni murmure» comme le prescrivait jadis le règlement de discipline générale, heureusement modifié à plusieurs reprises.

            Tout en comprenant pleinement que les militaires soient soumis à des contraintes particulières en matière de droit de grève et, partant, de droit de syndicalisation, la défense de leurs intérêts professionnels ne saurait se résoudre à des diktats d’un autre âge dont les résultats risquent du reste d’aller à contre-sens de ceux attendus.

            Les personnels des armées, comme le soulignaitle chef des armées à l’occasion des voeux pour l’année 2003, ont sûrement «un sentiment de frustration … fondé sur la crainte que les armées ne reçoivent pas des pouvoirs publics la même attention et la même considération que les autres corps de l’Etat».

Jean Kerdréan

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