De l’inexistence de la guerre pour le droit français (Par Florent TIZOT) 1ère partie

L’auteur : Florent Tizot, doctorant en fin de seconde année, est chargé d’enseignement de droit public à la faculté de Droit et de Science politique d’Aix-en Provence, chargé d’enseignement de droit public en classe préparatoire ENS-Cachan et classes préparatoires juridiques privées. L’Adefdromil le remercie d’avoir bien voulu publier sur son site un article sur les fondements juridiques des opérations extérieures.

Résumé : Depuis plusieurs décennies, les  armées françaises ont été engagées sur de multiples théâtres d’opérations sans vote préalable du Parlement : Liban, Ex-Yougoslavie, Irak, Côte d’Ivoire, Afghanistan, Libye, Mali, Centrafrique. Nos armées ne font donc plus la guerre au sens constitutionnel. Leur présence en opérations n’en a pas moins un fondement juridique : les mandats de l’ONU. Cet article explique pourquoi la déclaration de guerre prévue à l’article 35 de la Constitution est devenu  obsolète, pour ne pas dire sans objet. Il souligne l’ambiguïté et les faiblesses des mandats de l’ONU autorisant et encadrant les opérations extérieures.

 

 

Peut-on donner une définition juridique de la « Guerre » ?

Lorsqu’en 1958 le comité constitutionnel piloté par Charles De GAULLE écrit notre Constitution, la Guerre paraît toujours revêtir sa définition classique d’affrontement d’Etat à Etat. Ainsi va naître l’article 35 définissant l’acte de la déclaration de guerre, préalable juridique indispensable à tout engagement belliqueux certes, mais aussi policé, d’Etat à Etat. Avec l’évolution des conflits effaçant l’ennemi et les frontières du champ de bataille, le droit français va connaître un temps d’arrêt : sa structure binaire France / nation(s) ennemie(s), temps de paix / temps de guerre, ne correspond plus à la réalité du terrain, tant diplomatique que militaire. Ne pouvant plus déclarer la guerre stricto sensu, les armes et la voix de la France semblaient condamnées au silence, chose inconciliable avec notre rang politique international. Or, et nous le verrons, la solution juridique semblait déjà prête depuis 1945 : l’ONU.

Cette alternative paraissant simple et efficace est en réalité un colosse aux pieds d’argile. A l’aune de la modernité, la solution choisie par la France de remplacer la bascule juridique du premier alinéa de l’article 35 de la constitution par des mandats onusiens n’est toujours pas, en l’état actuel de notre droit, la Panacée.

Dans un certain sens et comme nous le verrons, ce nouvel instrument juridique nous permet de concilier la légitimité d’une guerre qui n’en porte plus le nom, et notre rôle militaro-diplomatique sur la scène internationale (II).

En réalité, en diminuant notre spectre d’étude au niveau national, il existe un véritable imbroglio juridique. Le maintien du premier alinéa de l’article 35 de notre constitution ne fait pas disparaître le fameux « temps de guerre ». Pourtant, nous montrerons que cette « guerre » existe, sans véritablement porter son nom, ni en assumer à la fois ses actes et ses conséquences. Or, la solution du mandat onusien ne peut pas constitutionnellement et juridiquement parlant, entrer dans ce-dit « temps » que nous définirons (I).

Problème s’il en est, cet instrument de légitimité ne peut pas non plus intégrer le régime de droit commun matérialisé par le temps de paix. Ainsi, au regard du droit français, au lieu de faire disparaître la « guerre », le mandant onusien fera disparaître le « temps de paix », en remettant indirectement et implicitement en cause, toute la construction et la structure juridique encadrant l’action militaire de nos forces armées sur la plupart des missions qui leurs sont confiées.

En suivant la même logique, et nous le verrons, la France était soit en guerre, soit en paix, ce qui induisait l’application de régimes juridiques distincts et spécifiques. Désormais, la guerre lui sera « interdite », tout en intervenant militairement, mais au regard de son droit et donc du régimeapplicable, dans la paix.

 

I / Le droit français et la guerre : l’obsolescence de l’article 35 de la constitution

 

La « Guerre », étudiée à l’échelle nationale, est induite par une dichotomie juridique et constitutionnelle issue de la lecture de l’article 35 de la Constitution de 1958 : le « temps de paix » et le « temps de guerre ». Dans l’idéal, à chaque moment va correspondre et va induire son régime juridique. En « temps de paix » il sera fait application, selon les cas, du régime de droit commun des règles pénales comme civiles, ou bien du régime dérogatoire propre aux agents de l’Etat connu du juge administratif.

Le « temps de guerre » est lui défini par un acte formel, la déclaration de guerre ((Article 35 de la Constitution)), qui va l’inscrire dans le temps et dans l’espace.

Juridiquement parlant, cette « déclaration » est indispensable, puisqu’elle va poser en droit les conditions d’applicabilité du régime juridique dérogatoire des forces armées, et plus largement de « l’organisation de la Nation en temps de guerre » ((Loi du 13 juillet 1938)) . Or cet acte si important, repose aux frontières de plusieurs forces d’attraction.

D’abord, la déclaration de guerre issue de l’article 35 est un acte national à portée internationale, mais elle demeure un acte politique, puisque votée par le parlement ((Cf réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 ajoutant des prérogatives à celui-ci dans le cadre des OPEX notamment)) . Ainsi, et par projection pure ((La France n’a plus déclaré la guerre depuis 1939. Aussi l’article 35 pré-cité n’a jamais connu d’application)) , son adoption risque d’être soumise à tous les conflits d’intérêts nécessaires à l’adoption d’une loi ou d’un texte au sein d’une démocratie, mais dont le phénomène en l’occurrence peut être néfaste au vu d’une célérité nécessaire dans de telles circonstances.

Il faut ici nuancer.

En s’inscrivant dans une échelle juridique et spatiale supérieure, la modernité tend à occulter voire inhiber l’aspect national de notre « déclaration de guerre ».

Le monde tel qu’issu de la Charte de l’ONU de 1946, corrélé à la place de la France depuis sa signature du Traité sur l’OTAN, détachent de ses bases nationale et juridique cet acte pourtant majeur ((Tant en droit qu’en politique étrangère, tout du moins jusqu’à la seconde guerre mondiale)) . Depuis 1945, les guerres dites « conventionnelles » tendent à disparaître au profit de conflits asymétriques, et avec elles disparaît leur encadrement juridique. Outre quelques « vrais » conflits larvés ((République Populaire de Chine et République de Chine, Corée du nord et Corée du sud …)) , la plupart des Etats, dont la France, ne déclare plus la guerre.

Pris à l’échelle de notre pays, ce phénomène politique et diplomatique trouve son point d’orgue lors du dernier conflit conventionnel mené par la France durant la première guerre du golfe de 1991.

Militairement et juridiquement parlant, il s’agit d’une coalition d’Etats souverains mettant en oeuvre leurs forces armées régulières face à un autre Etat souverain, l’Irak, opposant sa propre armée régulière dans le but de défendre ses conquêtes et ses frontières. Certes la France agira sous mandat onusien, et nous y reviendrons, mais au regard du droit constitutionnel français, et partant, de notre droit national au sens large, l’applicabilité de l’article 35 (( S’il en existe une au regard de notre article)) paraissait inéluctable dans cet affrontement d’Etat à Etat (( Au regard, notamment, du droit international)) . Or, le Président de la République ne soumettra pas au parlement le vote de la déclaration de guerre alors qu’il inscrit le pays dans l’optique stricto sensu d’un conflit conventionnel : « Comme je l’ai déclaré, il y a quelques heures, dans mon message au Parlement, pas un mot, pas un signe n’est venu de l’Irak qui aurait permis d’espérer que la paix, au bout du compte, l’emporterait. (…) La guerre exige beaucoup d’un peuple, nous le savons d’expérience. Même si n’est pas en jeu notre existence nationale, même si les 12 000 des nôtres qui prendront part sur le terrain aux opérations militaires ont choisi le métier des armes, c’est la nation tout entière qui doit se sentir engagée, solidaire de leurs efforts et de leurs sacrifices. C’est la France tout entière qui doit les entourer de sa confiance et de son affection. » ((Message du Président de la République à la Nation le 16 janvier 1991 précédant la première guerre du golfe)) . Le champ lexical démocratique et belliqueux annonçant clairement « la guerre » au sens du droit international, contraste avec l’abandon pur et simple de l’utilisation de l’article 35 de notre Constitution ((Voir l’intervention de M.CHEVENEMENT « Le rôle du Parlement dans les affaires de Défense de 1988 à 1991 » lors du colloque organisé au Sénat le 15 mai 2008 sur « Le Parlement dans la Ve République »))  . Problème, et nous y reviendrons, cette dichotomie instaurée par cet article pose les bases fondamentales, puisque constitutionnelles, du régime juridique des forces armées en action. Ce que les juristes appellent un « vide juridique », soit une absence totale d’encadrement, de règles juridiques dans une situation donnée, semble se profiler.

Bon gré mal gré, le droit français évolue et comble ses lacunes par une constante recherche de légitimité qui, pour ses chercheurs et ses censeurs, doit passer par du droit écrit. Le phénomène que nous venons d’étudier n’échappe pas à cette règle puisque notre « déclaration de guerre » ne peut pas connaître et ne connaitra pas une disparation pure et simple en droit positif. Effectivement, si l’on étudie la question au regard des conflits que connait la France depuis 1945 ((En excluant les guerres de décolonisation qu’il faut classer à part)) , cet acte formel, et a priori indispensable, ne connait en réalité qu’une translation vers une autre sphère du Droit international : l’ONU ((Nous mettrons volontairement l’OTAN de coté ici, puisque son étude amène une autre logique de pensée. En effet, dans ce cadre là, deux solutions existent : soit l’OTAN, et donc la France en cas de participation à l’opération, agira sous mandat onusien; soit nous nous trouvons dans un autre régime juridique qui sera analysé ultérieurement )) .

 

 La partie II de cet article sera publiée le 29 mai 2014

 

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