Editorial du samedi 9 novembre 2002

Le personnel militaire méconnaît à la fois ses droits et
les formes par lesquelles il pourrait légalement les faire valoir. C’est de ce
constat, simple et évident, que naquit l’ADEFDROMIL en avril 2001 sous
l’impulsion énergique du capitaine Michel BAVOIL, alors en activité de
service.

Promouvoir ces droits et ces formes, comme autant
d’obstacles aux abus de pouvoir, commis volontairement ou non, par habitude ou impéritie,
restera la vocation première de l’association de défense des droits des
militaires.

Nous accumulons ainsi, rapidement et bien malgré nous, un
panel complet de situations iniques, dont les récurrences dénoncent
l’ignorance absolue de ceux qui les font naître comme de la plupart de ceux qui
les subissent.

Il n’est d’ailleurs pas rare de constater, chez les
responsables pris les deux mains dans le sac, des réactions outragées devant
les décisions de justice. Quand ils ne tentent pas de contourner ces dernières
par des surenchères stupéfiantes.

Ben, dame, on a toujours fait comme ça !

Toute cause gagnée draine son lot de dossiers
supplémentaires dans une spirale légitime dont on ne voit pas très bien ce
qui pourrait l’interrompre (en dehors de la submersion de nos bénévoles
actifs).

Mais toute cause gagnée attire aussi l’attention des
autorités centrales.

De ce fait, et au-delà de cette promotion du droit,
l’ambition seconde de l’ADEFDROMIL sera de faire en sorte que chaque cas,
surtout quand il a été condamné par la justice administrative, et bientôt
pénale, soit considéré comme un acquis didactique à destination des cadres
de contact.

De manière non surprenante, les faits révélés par les
actions de l’ADEFDROMIL n’ont aucun caractère original. Chacun en a eu
connaissance, peu ou prou au cours de sa carrière, ou bien les a supportés
passivement, ou encore pourrait admettre avoir été tenté d’en faire usage.

Bien avant d’être forcément l’acte d’une mentalité
perverse, l’abus de pouvoir n’est répandu que parce qu’il constitue une
solution de facilité dans des situations complexes.

Ainsi un médecin, cédant à la pression ambiante et
rédigeant un certificat quelconque dont les éléments sont inexacts ou
partiellement inexacts, peut croire de bonne foi « aider » son prochain
(le militaire en cause et l’institution) en débloquant une situation
conflictuelle. Il n’en commet pas moins une lourde faute dont les premiers
censeurs risquent fort d’être les commanditaires eux-mêmes, en cas de plainte
de la « victime ».

Pour inverser définitivement la tendance, il suffit de
grever cette « solution » de difficultés telles qu’il en paraisse plus
simple de se plier aux lois et règlements dans toute action dommageable envers
un subordonné. Voire même, idéalement, plus simple de substituer le dialogue
et la médiation à la sanction systématique, déguisée ou non (notation,
mutation, marginalisation, etc.).

En corollaire, et à plus long terme, il faudra très
vraisemblablement et sous peine d’être définitivement submergé par les
contentieux, réserver l’accession des postes de responsabilités croissantes
aux personnalités capables de s’imposer sans abuser d’artifices.

« Plus un militaire punit pour se faire obéir,
moins il est apte à commander » ç’est une belle phrase, bien connue, mais la
situation nécessite désormais d’en tenir compte.

Si l’ADEFDROMIL privilégie, par nature, l’action
individuelle, sa connaissance des problèmes inhérents à la condition
militaire, tout comme l’éclectisme de ses adhérents et responsables, peuvent
la destiner à participer utilement aux réflexions et refondations nécessaires
en matière de condition du militaire professionnel (sous réserve d’un certain
degré de représentativité, éventuellement de nature plébiscitaire).
Notamment pour ce qui concerne la gestion d’une concertation libre et
indépendante au sein de ce métier.

Les bases légitimes, sinon encore légales, de cette
nécessité réformatrice ont clairement été jetées par la recommandation n°
1572-2002, adoptée par la commission permanente de l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe le 3 septembre 2002 et relative au droit d’association du
personnel professionnel des forces armées.

Ladite recommandation évoque la Résolution 903-1988 de l’Assemblée
parlementaire et relative au même objet, ainsi que sa Directive No 539-1998 sur
le suivi des engagements concernant les droits sociaux et invitant les Etats
membres à appliquer la Charte sociale européenne.

Ces directives, résolutions et recommandations, ont amené
monsieur Jean Pierre MASSERET, ancien secrétaire d’état aux anciens
combattants, à appeler l’attention de la ministre de la défense dans une
question écrite (n° 03027 du 10/10/2002).

En échos harmonieux, les récentes déclarations du premier
ministre, monsieur Jean-Pierre RAFFARIN, devant les auditeurs de la 55ième
session de l’IHEDN le 14 octobre dernier et s’exprimant sur la loi de
programmation militaire « 2002-2008 » sont encore plus éloquentes
: «… c’est, de manière plus ambitieuse, la place des militaires au
sein de notre société à laquelle il convient de réfléchir. Comme l’a
souligné le Président de la République, le statut général des militaires,
voté par le législateur il y a trente ans, mérite d’être adapté à l’évolution,
et des esprits, et de la société.».

De même, lors des auditions de la commission de la défense
nationale et des forces armées, relatives à la loi de programmation militaire
2002-2008, le docteur Bernard LEFEVRE, président du SAMA (syndicat
professionnel des anciens médecins des armées), rappelait s’être interrogé
publiquement sur l’expression en milieu militaire, et concluait : «L’actualité
rattrape souvent celui qui n’a pas voulu prendre ses dispositions … C’est
pourquoi il ne faut pas redouter la mise en place d’une structure syndicale
professionnelle classique.».

En réponse, le président Guy TESSIER prophétisait, ce 2
octobre dernier, que : «… on a parfois simplement tort d’avoir eu
raison trop tôt …» et que : «… ses derniers propos
méritaient sans doute un large débat …».

Enfin, dans son entretien de départ avec le mensuel
« armées d’aujourd’hui » (n° 274) le général KELCHE, tout en
« dogmatisant » « les valeurs collectives …, incompatibles
avec la défense des intérêts individuels ou corporatiste », « ne
pense pas que le statut soit inadapté », pour admettre un peu plus loin
qu’il « faille le toiletter », et que « certaines
dispositions ne semblent plus adaptées à notre société » (ce qui
pourrait apparaître, un tantinet, contradictoire).

C’est donc peu dire que l’obsolescence du statut général
des militaires, ce faux ami « de trente ans », fait l’objet d’un
consensus élargi, et au plus haut niveau. On ne voit plus très bien qui, et
pour quel bénéfice particulier, pourrait bien vouloir encore imposer les
restrictions consacrées par les articles 6 et suivants de la loi 72-662, en
matière de droits civiques et de liberté individuelle.

Les recommandations communautaires déjà citées présentent
d’autant plus d’intérêt que la loi de programmation militaire ne fait
nullement mystère de sa forte dimension « européenne ». Bien au
contraire, il s’agit là d’une volonté clairement affichée, pilier de l’effort
financier à consentir, et même qualifiée de « nouvelle impulsion » ou
de « signal fort » à destination de la promotion d’une Europe de la
défense qui se cherche depuis un demi siècle, et se découvre lentement mais
sûrement.

Des accords de 1954 sur la communauté européenne de
défense, jusqu’à la très récente création du comité militaire de l’union
européenne (CMUE ), et celle de l’état major militaire (EMUE), la défense
commune européenne est passée du stade d’utopie surréaliste à celui
d’organisation déclarée opérationnelle (Laeken, 12/2001).

La brigade franco allemande (1991), la définition des
missions dites « de Petersberg » (1992), la politique de sécurité
commune de Maastricht, l’UEO, le groupe de forces interarmées multinational
(GFIM-1994), le traité d’Amsterdam (1997) confiant la gestion des crises à
l’UEO, le sommet franco-britannique de St Malo (1998), la politique européenne
de sécurité et de défense (PESD), le conseil européen de Cologne (1999) et
son comité politique et de sécurité (COPS), sont autant d’étapes marquantes
d’un processus dont l’importance, affaiblie un temps par les espoirs de
« dividendes de la paix », doit actuellement être amplifiée du fait de
l’émergence d’un terrorisme aussi inimaginable qu’éminemment contagieux.

Sur le papier, et très vraisemblablement dans les faits, 60
000 français, belges, allemands, italiens, britanniques,… en armes,
commandés par un état major européen, peuvent être projetés en moins de
deux mois pour une gestion de crise d’une durée prévisible inférieure ou
égale à une année.

Cependant, on fera difficilement l’économie d’une réflexion
sur le fait qu’au delà de leur différence culturelle et linguistique, ces 60
000 soldats affichent encore une inégalité en matière de reconnaissance de
droits civiques et d’exercice de certaines libertés fondamentales.

Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que d’envisager les
voir partir, au bout du monde, pour défendre, rétablir, protéger et
promouvoir ces mêmes droits et libertés, au nom d’une Europe qui peine à en
faire admettre l’application sans exclusive aux militaires de chacun de ses
membres.

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