Déploiement de la flotte en Antilles-Guyane

Question orale sans débat n° 0108S de M. Jean-Étienne Antoinette (Guyane – SOC-A) publiée dans le JO Sénat du 09/08/2012 – page 1786

M. Jean-Étienne Antoinette interroge M. le ministre de la défense sur le déploiement de la flotte en Antilles-Guyane.

L’abondance de poissons de juin à juillet est une période particulièrement propice à la pêche. Cette année, elle s’est doublée d’un pillage des ressources halieutiques par les pêcheurs venus du Surinam et du Brésil d’une violence rarement connue : plusieurs tapouilles ont été abordées dans leur activité de pêche, leur équipage molesté et leur matériel volé par les pirates.

En 2010, les marins pêcheurs et les armateurs avaient demandé au Gouvernement de mettre en place un contrôle renforcé des zones de pêche : sans succès. Aujourd’hui, la base navale de Dégrad-des-Cannes dispose de deux patrouilleurs P400, deux vedettes côtières de surveillance maritime de la gendarmerie maritime et les gardes-côtes d’une vedette pour leur mission de surveillance maritime (SURMAR). C’est manifestement insuffisant pour assurer une présence effective dans les zones sensibles et sur l’ensemble de la zone maritime où la France exerce ses droits souverains.

Si les actes de pirateries et la pêche illégale constituent des fléaux actuels que ce Gouvernement ne peut laisser continuer, l’exploration pétrolière et bientôt l’exploitation des richesses du plateau continental vont demander encore plus de moyens maritimes pour assurer la sécurité de l’exploitation de toutes les richesses au large de la Guyane : tant les ressources hydrocarbures que la formidable richesse halieutique.

Le désarmement programmé de la flotte stationnée en outre-mer oblige à penser à un renouvellement de ce matériel militaire. Or, le livre blanc de la défense de 2008 ne traite pas de la force navale à déployer en outre-mer alors que ces territoires permettent la constitution de la zone économique exclusive la plus étendue, après celle des États-Unis, avec 11 millions de km². Or, le souci de rationalisation budgétaire ne peut conduire l’État à réduire la capacité d’accomplir ses missions au-delà du « juste suffisant ».

La réfection du livre blanc qui est annoncée pour la fin de l’année 2012 doit prendre en compte cette situation ultra-marine. Il faut y associer le ministère de l’outre-mer dans la réflexion sur une rationalisation des moyens. Il serait, par exemple, possible de fusionner les programmes BATISMAR, BSAH et BIS pour équiper nos forces navales d’un seul bâtiment suffisamment polyvalent pour accomplir les missions dévolues actuellement aux P400, aux frégates Floréal, aux bâtiments de soutien de région (BSR), aux remorqueurs de haute mer (RHM), aux remorqueurs ravitailleurs (RR) et renouveler le dispositif de bâtiment de soutien, d’assistance et de dépollution (BSAD) – mais aussi des centres de commandement avec l’instauration d’un préfet maritime pour la zone Antilles-Guyane…

Les pêcheurs et armateurs de Guyane, mais aussi tous les acteurs de la mer en outre-mer attendent une protection effective de leur zone maritime.

Il lui demande donc quelle est sa stratégie en matière de déploiement naval dans ces territoires éloignés de métropole.

Réponse du Ministère de la justice publiée dans le JO Sénat du 17/10/2012 – page 3855

M. Jean-Étienne Antoinette. Les mois de juillet et août 2012 ont vu de multiples agressions et d’actes de piraterie perpétrés sur nos marins par des pêcheurs venus du Surinam, du Venezuela ou du Brésil, créant ainsi un émoi considérable parmi nos concitoyens.

Comme pour les ressources minières dans les terres, le pillage des ressources halieutiques des eaux territoriales et intérieures est un phénomène – hélas ! – connu en Guyane.

De même que la tragédie de Dorlin, les actes de piraterie contre les pêcheurs guyanais par des marins venus des pays voisins constituent le franchissement d’une étape inadmissible dans la gradation des violences pour l’accès aux richesses de la Guyane.

La marine nationale et la gendarmerie maritime ont su réagir en intensifiant la lutte contre la pêche illégale, arraisonnant plus de 35 navires étrangers, rejetant 20 tonnes de poissons à l’eau et détruisant 43 kilomètres de filets dans la zone économique exclusive française au large de la Guyane, le tout en moins de deux mois.

Cependant, cette action récente n’est pas représentative du potentiel d’intervention dont la Guyane pourrait bénéficier : les P400 de la marine nationale ne participent que très peu à la lutte contre la pêche illégale, car le coût de leur engagement en mer réduit à moins de 80 jours par an leur temps en opération. En outre, ils sont chargés davantage de la sécurité des tirs du lanceur spatial que du contrôle des pêches.

Ensuite, l’action de la gendarmerie a évolué depuis trois mois. Pour pallier le manque de matériel et être plus présentes en mer, les vedettes de la gendarmerie maritime ne déroutent plus les navires étrangers. Elles les raccompagnent seulement à la frontière après avoir détruit leurs filets et leurs cargaisons.

Les navires de plus gros tonnage, réalisant une pêche industrielle, résistent et ne sont toujours pas inquiétés. Les règles d’engagement sont telles que les gendarmes refusent de se porter au contact. Même lors d’importantes opérations conjointes avec la marine nationale, les hommes du GIGN peuvent se trouver en situation extrêmement délicate.

À moins de « muscler » notre capacité de réponse et de la porter jusque dans le camp des délinquants, le pillage des ressources halieutiques de Guyane, à l’instar des ressources minières, ne prendra jamais fin.

Parallèlement, on assiste à l’extension impressionnante de la zone maritime Antilles. Elle reste sous l’autorité des forces armées des Antilles, mais dans leur format actuel, qui est maintenu. La zone maritime Guyane, quant à elle, se recentre sur sa zone économique exclusive.

À l’heure de la rédaction du Livre blanc sur la défense, il apparaît ainsi que l’efficacité de la présence des forces maritimes dans les outre-mer doit être une priorité.

Se pose alors la question des moyens pour assurer les missions de défense sur le territoire maritime de la France dans cette région.

Les navires dont nous avons salué l’engagement des équipages ont trente ans d’âge. Dans la zone, deux P400 ont été désarmés, et, s’il en reste encore en Guyane, la force des Antilles s’est vu amputer d’un bâtiment de transport léger, ou Batral, lui aussi âgé de plus de trente ans.

Aujourd’hui, on parle d’un navire chaland, permettant de récupérer les filets laissés en mer, et dont le financement, interministériel serait assuré par les ministères de la défense et des outre-mer, ainsi que par le secrétariat général de la mer. Qu’en est-il réellement ? Quand ce navire sera-t-il disponible ?

Les missions de l’armée en Guyane, du contrôle de la zone du centre spatial jusqu’aux luttes contre les pêches illégales et l’orpaillage clandestin, requièrent des systèmes d’information sophistiqués. Est-il possible qu’un drone de reconnaissance soit affecté aux forces armées en Guyane ?

La question des moyens, vous le voyez, est au cœur de la problématique.

Hier et aujourd’hui se confondent, puisque nous faisons face à un seul et même problème : la souveraineté nationale et la défense du territoire.

Comment comptez-vous conserver les ambitions de la France en Guyane, protéger ses intérêts et assurer l’avenir de sa population ?

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, votre question s’adresse à M. le ministre de la défense qui, retenu, m’a demandé de vous présenter ses excuses personnelles et de vous communiquer les éléments de réponse qu’il a fait préparer. Si vous avez des observations à faire sur la base de ces derniers, je me ferai un devoir de les transmettre à mon collègue.

Monsieur le sénateur, nous sommes tous les deux bien placés pour savoir l’importance des 11 millions de kilomètres carrés que représente l’espace maritime des outre-mer. Ils permettent à la France de se situer au deuxième rang des puissances maritimes mondiales. Ils offrent surtout de formidables potentialités en matière de pêche, d’hydrocarbure offshore ou d’énergie marine renouvelable.

Il est important que l’État exerce sa souveraineté sur ce patrimoine considérable, et qu’il soit en mesure d’assurer de bonnes conditions pour l’exercice des activités économiques dans cet espace.

Vous avez eu raison d’évoquer les moyens qui sont mis à disposition pour ce faire. Vous l’avez dit, ils ont été réduits ces dernières années, notamment dans le cadre du Livre blanc de 2008.

Fréquemment interpellé par les élus sur ce sujet – vous compris, monsieur le sénateur – l’État s’est néanmoins rendu compte qu’il était important de reconsidérer ces décisions.

C’est ainsi que, à l’été 2011, une réunion interministérielle a abouti à l’affectation de nouveaux moyens.

Vous le savez probablement, vous qui suivez ces questions de près, il a été décidé d’affecter trois bâtiments de type « supply » aux Antilles, à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française, ainsi que deux patrouilleurs légers à faible tirant d’eau à la Guyane.

Ces divers moyens seront disponibles dans les toutes prochaines années, entre 2013 et 2014 pour les bâtiments de type supply, et entre 2014 et 2015 pour les deux patrouilleurs.

S’agissant de la Guyane, le dispositif actuel sera maintenu, puisque les deux patrouilleurs commandés remplaceront les P400 existants à l’horizon 2016-2017. Notez également que la coordination des moyens maritimes est élargie à la zone Antilles-Guyane, même si, vous comme moi, nous aurions préféré que la base soit en Guyane, étant donné l’importance de son territoire terrestre et marin. (M. Jean-Étienne Antoinette sourit.)

Vous avez eu raison de mentionner les moyens dont dispose la marine pour faire face à la pêche illégale en Guyane. Sachez qu’elle va renforcer les équipages des patrouilleurs, de façon à permettre une plus grande permanence dans la police des pêches. L’acquisition d’une barge remonte-filets par les administrations concernées a été décidée en réunion interministérielle, afin de s’attaquer à la logistique et aux outils mêmes de cette activité de pillage de nos richesses.

Vous l’avez dit avec beaucoup de mesure, monsieur le sénateur, mais nous savons à quel point la pêche illégale met en péril la sécurité et l’activité des agents économiques.

Voilà pour l’état des lieux. Le ministre de la défense me charge de vous informer que le délégué général à l’outre-mer participe aux réunions de travail de la commission du Livre blanc. Vous pouvez donc, éventuellement, faire remonter vos observations et vos propositions par son intermédiaire.

M. le ministre me charge également de vous indiquer que sa réflexion s’appuiera sur trois principes : l’adaptation, la polyvalence et l’autonomie.

L’adaptation, d’abord, parce que chaque département ou territoire en outre-mer a ses caractéristiques propres. Vous me pardonnerez d’insister sur un fait qui, en soi, nous ravit, monsieur le sénateur : le territoire terrestre de la Guyane représente plus de 91 000 kilomètres carrés et son territoire marin près de 300 000 kilomètres carrés, depuis que le plateau continental a été étendu sur décision de l’Organisation des Nations unies. L’adaptation aux territoires est donc nécessaire, car ils ne présentent pas tous les mêmes caractéristiques géographiques, bathymétriques, météorologiques ni ne partagent les mêmes activités économiques.

La polyvalence, ensuite, parce que l’on ne peut pas se contenter d’une seule famille de plateformes, compte tenu de la diversité des missions à exécuter.

L’autonomie, enfin, considérée sous ses divers aspects – maintenabilité, endurance – s’explique par la distance à couvrir.

C’est sur la base de ces trois principes que le ministre de la défense s’engage à tirer les conséquences du futur livre blanc. Il tenait à vous en faire part et à vous rappeler que, naturellement, toutes vos propositions seront les bienvenues, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.

M. Jean-Étienne Antoinette. J’ai pris bonne note de ces éléments de réponse préparés par M. le ministre de la défense.

Nous le savons, à l’insécurité sur l’océan s’ajoute une autre insécurité, sur le territoire, à l’intérieur du pays, notamment dans les zones d’orpaillage, mais aussi, de plus en plus, en zone urbaine.

Madame la ministre, là où les gouvernements successifs ont échoué, le nôtre n’a pas le droit de décevoir !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous y veillerons !

Source: JO Sénat du 17/10/2012 – page 3855

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