Qui veut nettoyer les écuries de l’EPIDe ? (par AUGIAS)

A la Défense, comme ailleurs, il y a des fromages. On a cru comprendre que pour des raisons budgétaires, de moralisation de la vie publique et de simple efficacité, on voulait mettre fin à des situations peu compatibles avec l’objectif d’exemplarité de l’Etat mis en avant par le Président de la République.

Un magnifique chantier s’ouvre aux courageux : l’EPIDe, un bel outil d’insertion des jeunes en difficulté, mais aussi un beau fromage pour le reclassement de généraux en mal de reconversion dans le secteur privé.

L’EPIDe, établissement public d’insertion de la Défense a été créé par ordonnance en 2005 (ratifiée en 2008) sous la présidence de M. Jacques CHIRAC. Michèle ALLIOT MARIE était alors ministre de la Défense.

C’est un établissement public placé sous tutelle des ministères de la Défense, de l’Emploi et de la Ville. Les articles L3414-1 à L3414-8 du code de la Défense et R3414-1 à R3414-27 précisent le cadre de son organisation et de son action.

Donner une deuxième chance à des jeunes sans emploi et sans formation professionnelle, et dont la scolarité s’est terminée sur un échec est une ambition noble et digne de la République.

Toutefois les moyens dédiés au développement de cet établissement n’ont jamais été à la hauteur des ambitions politiques affichées et des besoins réels d’une partie de notre jeunesse.

Cette frilosité s’explique en partie en raison de la gestion de l’EPIDe par ses dirigeants. On en est au troisième directeur général en 7 ans d’existence. Plusieurs rapports parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale, des rapports du Conseil économique et social ont fait le point sur le fonctionnement et les résultats de l’EPIDe. Systématiquement l’accent a été mis sur les graves problèmes de gestion qui entravent le bon fonctionnement de l’établissement.

La nouvelle majorité qui a fait de l’emploi des jeunes son cheval de bataille et de l’exemplarité des employeurs publics une préoccupation majeure, a, ainsi, l’occasion de montrer que « le changement, c’est maintenant ». Mais a-t-elle la volonté et le courage de mettre fin à de mauvaises habitudes prises en matière de respect des droits et des hommes ?

Un établissement public d’utilité sociale.

Bien que peu connu du grand public, l’EPIDe est une véritable réponse à un besoin de société. Il a été crée à l’été 2005 dans le cadre du plan de cohésion sociale pour apporter une solution aux jeunes sortis du système éducatif sans emploi, sans diplôme et sans qualification. Cet établissement de formation emploie 1000 personnes et compte 20 centres répartis en France métropolitaine. Sa spécificité est d’inclure une composante éducation et resocialisation en plus de la formation professionnelle. Les jeunes sont accueillis en internat de semaine et sont encadrés entre autre par d’anciens militaires. Ils bénéficient gratuitement d’une prise en charge par plusieurs professionnels pour les aider à devenir autonomes et à démarrer dans la vie active. Il s’agit là d’une formation unique en France, car elle s’adresse à des jeunes en grande difficulté, voire en voie de marginalisation. Aucun autre établissement ne propose ce type d’accompagnement. C’est une alternative innovante pour des jeunes souvent plongés au quotidien dans la violence et l’addiction.

Le budget de l’EPIDe s’élève à 85 millions d’€. Près de 3000 jeunes par an bénéficient d’une deuxième chance offerte par la République pour trouver un emploi et ne pas basculer dans la délinquance. 80% de ces jeunes sont insérés à l’issue de leur formation.

Une jeune histoire, déjà mouvementée.

Trois directeurs généraux se sont succédé en 7 ans.

Le premier directeur général, le contrôleur général des armées Olivier Rochereau, a été vite remercié en juin 2008. Il a été certes un pionnier, mais il a aussi laissé s’installer de graves dérives comme l’avait révélé le Canard enchaîné dans un article paru en 2006 « Dans un rapport rendu à Alliot-Marie le 12 décembre sur les premiers mois chaotiques de cette « Opération deuxième chance », une commissaire de l’armée de terre (sorte de contrôleur de gestion), la colonelle Belart-Guyon, prédit d’ailleurs un premier semestre 2006 «problématique ». Dans sa ligne de mire, la fine équipe officiant sous les ordres d’Olivier Rochereau, contrôleur général des armées, qui a été nommé directeur de l’Epid après avoir passé deux ans à la tête de l’Agence du chèque-vacances, un organisme parapublic. Où il a d’ailleurs recruté neuf de ses anciens collaborateurs pour des postes importants à l’Epid. Alors que chacun est prié de compter gommes et crayons, en attendant des jours meilleurs et des crédits, ces parachutés ont obtenu six voitures de fonction avec cartes d’essence et de péage. Et leurs salaires ont suivi le mouvement: la directrice de la communication émarge à 7 550 euros par mois, et le directeur du développement à 7 850 euros. ».

Le second directeur général, Thierry Berlizot, a été débarqué en septembre 2011 et prévenu le dernier jour de son contrat malgré ses bons résultats et tous les efforts réalisés pour remonter la barre. Un article d’Acteurs publics paru en octobre 2011, « Le patron de « Défense deuxième chance » sèchement remercié », révèle que ce dernier a payé « ses relations compliquées avec le cabinet du ministre du travail, Xavier Bertrand » et qu’il s’est « attiré les foudres de l’ex-gendre de Michel Noir », Pierre Botton, en « rechignant à trop impliquer l’EPIDE dans son projet contre la récidive » et à lui fournir des moyens. Déçu et pressé, Pierre Botton avait alors écrit à Xavier Bertrand « à toutes fins utiles ».

Enfin, le troisième directeur général, Charles de Batz de Trenquelléon, inspecteur général des affaires sociales, a été nommé en octobre 2011. Ce descendant de Charles de Batz, mousquetaire mieux connu sous le nom de D’Artagnan, est un ancien de l’Ecole navale, breveté de l’Ecole de guerre… ainsi mieux préparé à la lutte des classes. Il a été embauché en urgence, faute de pouvoir laisser les commandes plus longtemps au directeur général adjoint, le général de division en 2ème section Jacques Pâris de Bollardière, neveu de son oncle plus connu, et au même prénom. Son départ à la limite d’âge en juillet dernier a tellement été regretté que la collecte, opérée dans toute la maison pour le cadeau traditionnel, n’a pas dépassé quelques dizaines d’euros.

Des cadres supérieurs du siège surpayés.

La question des salaires est un sujet sensible pour l’EPIDe. Dès 2005, une grille avait été réalisée pour fixer les salaires dans les centres. Au siège, les salaires ont été négociés ou plutôt établis à la tête du client en fonction notamment des liens de parenté ou de proximité avec le premier directeur général et son DRH d’alors. Idem pour les promotions et les augmentations de salaire. Cette situation provoqua non seulement de graves tensions entre les agents mais surtout des iniquités qui conduisirent à plusieurs crises internes, entre les agents du siège et entre le siège et les centres. Il a fallu attendre 2011 pour que le conseil d’administration se prononce pour une grille des salaires au siège. Sauf que, phénomène rare, cette grille ne fixe pas de limites de rémunération pour les directeurs du siège, la grande majorité d’entre eux étant des généraux en 2e section. C’est ainsi que le directeur général et plusieurs autres collaborateurs dépassent les 8300 euros bruts et que 8 autres salaires tournent autour de 6000 euros bruts, non compris les véhicules de fonction. Le fromage, c’est pour les hauts gradés du siège, dont la situation précise au regard des règles sur le cumul d’une retraite et d’une rémunération publique n’est d’ailleurs pas connue. Quant aux autres, dans les centres, c’est-à-dire sur le terrain au contact des jeunes, dans le cœur de métier de l’EPIDe, c’est moins brillant. Il ne reste que la croûte… avec des salaires trois à quatre fois inférieurs.

Une obstruction au dialogue syndical.

Mais que font les syndicats serait on tenter de dire (1) ? Il suffit de citer le rapport 2009 du Conseil économique et social rédigé par Mme GENG pour comprendre l’ambiance :

« LES DÉBUTS D’UNE IMPLANTATION SYNDICALE
L’existence d’une implantation syndicale au sein de l’EPIDe a été consacrée par deux arrêtés du 16 juillet 2007 portant l’un sur la création du Comité technique paritaire (CTP) central, l’autre sur les modalités des élections du personnel pour la détermination des organisations syndicales représentatives dans l’établissement et la désignation de leurs représentants au CTP. Un arrêté du 28 février 2008 a plus récemment créé un Comité d’hygiène et de sécurité (CHS).
Quatre organisations syndicales sont présentes à l’EPIDe à ce jour et ont désigné un délégué syndical.
Des élections ont eu lieu à l’automne 2007 et une première réunion du CTP a été organisée. Ces premières possibilités de dialogue social restent cependant très formelles. L’origine militaire de nombre de responsables ainsi que l’implantation récente des syndicats en sont certainement un des éléments d’explication. Les dysfonctionnements et les blocages qui paraissent en résulter, dommageables pour l’institution et le dispositif même, devraient pouvoir se dissiper par un apprentissage de la culture syndicale et des règles du dialogue social. Le caractère embryonnaire du système d’action sociale au profit des personnels et des Volontaires, malgré la disponibilité de fonds dédiés, est une illustration des mesures qui pâtissent du manque de dialogue social. »

Depuis 2009, rien n’a changé. Il semble même que, depuis l’arrivée du nouveau DRH en 2011, le général Paul Etienne Leroux, que la situation ait empiré. Ainsi, dernièrement, un cadre délégué CFE-CGC a été licencié sans aucun respect de la procédure, au point que le tribunal administratif a ordonné sa réintégration sous astreinte. Rien de bien surprenant, si on se réfère au profil des dirigeants, plus formés à l’exercice souverain de l’autorité des officiers qu’au dialogue et au respect des textes législatifs et réglementaires. De même, le secrétaire général de la CGT- EPIDe a été remercié et informé de la mesure par voie d’huissier.

Des dérives qui décrédibilisent l’institution.

Il y a bien un process de recrutement, tout au moins en affichage, avec un logiciel d’évaluation de la personnalité et des motivations. Toutefois, tous les postes ne sont pas ouverts à tous : il y a ceux qui paraissent à la bourse à l’emploi mais qui sont déjà pourvus (petits arrangements entre amis) et ceux qui n’y apparaissent pas. Il s’agit souvent des postes à responsabilité autrement dit les mieux rémunérés. Quant à la parité, elle défie toute les lois statistiques pour les postes d’encadrement supérieur qui sont quasi exclusivement occupés par des hommes, anciens hauts gradés de l’armée. La mixité existe, mais plutôt, chez les exécutants. Faut-il rappeler que les ministères de l’emploi et de la ville sont les seuls contributeurs au budget et qu’ils n’ont pas un seul représentant dans cet établissement !

En fait, s’agissant des postes à responsabilité, on est passé de la cooptation au copinage.

Ainsi, lorsqu’on examine dans le détail le profil de l’encadrement supérieur de l’EPIDe, on s’aperçoit qu’il y a des constantes : anciens officiers, souvent passés par le Prytanée militaire de La Flèche, souvent issus de l’armée de terre, manifestant une foi catholique à la limite du prosélytisme, ce qui écorne quelque peu le principe de laïcité.

Preuve de cette cooptation/copinage, le recrutement du DRH actuel, le général Leroux a été bouclé en quelques jours pendant l’intérim assuré par le directeur adjoint, le général de Bollardière, près de 6 mois avant que le poste ne soit disponible. Le général de division en 2ème section Paul Etienne Leroux, informaticien, chargé du suivi et du fonctionnement du système d’information en tant qu’adjoint au directeur des ressources humaines de l’armée de terre de 2009 à 2011, ne pouvait justifier de connaissances indispensables en droit de la fonction publique et en droit du travail. Par contre, il a pu justifier de l’appui du Président du Conseil d’Administration de l’EPIDe, le général d’armée en 2ème section Thierry de Bouteiller, qui a directement recommandé l’intéressé au directeur général adjoint. Dans les écoles de commerce, on dirait que c’est du « B to B » (business to business ou de Bouteiller à Bollardière ?).

Ainsi, la formule de politesse fétiche utilisée par le DRH actuel dans ses courriers, est : « Vous priant de croire », sans rien derrière. Certains, au début, ont pensé à un raccourci, taisant une formule de politesse implicite. Mais, faute d’en être assurés, d’autres mécréants se demandent si le « Vous priant de croire», ne serait pas tout simplement un encouragement à la foi ? Il est vrai qu’avec un fils, prêtre et une fille qui a prononcé ses vœux perpétuels comme l’indique le site de la paroisse de Saint Symphorien (78), le général DRH ne peut qu’y croire !

Même foi manifestée par cet ancien officier, cadre d’un centre en province, qui a affiché pendant de longs mois une représentation de la Vierge Marie collée sur son bureau. Sa pratique de l’ascèse alimentaire confine à l’anorexie et l’a conduit à perdre plusieurs fois connaissance. Dans un autre centre, c’est le directeur qui faisait la morale aux jeunes et leurs familles avec la Bible sur son bureau et qui a été reclassé au siège en guise de sanction…
Un autre cadre éminent, général 2ème section, est délégué général d’une autre paroisse des Yvelines.

D’autres dysfonctionnements sont plus triviaux. Tel cadre utilise le véhicule de fonction à des fins personnelles, ou pour assumer ses obligations résultant de ses mandats électoraux locaux.
Tel autre directeur de centre est sous la coupe d’un agent féminin qui a pris le pouvoir. Gare à ceux qui ne plaisent à Madame. Cela n’a pas manqué de susciter des remous dans l’encadrement, au point que la direction générale a préféré payer des séances de coaching au directeur plutôt que de mettre fin à la situation. Un autre directeur a fait faire des travaux dans son centre de formation pour s’y installer et y vivre sur le compte des deniers publics.
Certains autres, forts de l’appui de la direction s’acharnent volontiers sur leurs collaborateurs en les dénigrant, les menaçant dans leur avenir professionnel ou encore en leur retirant leurs responsabilités. Certains, anciens officiers appartenant au sérail, sont maintenus au-delà de la limite d’âge par des contrats d’auto-entrepreneurs.

La succession du général de Bollardière, aux manettes pendant près de 6 ans et chargé personnellement de la gestion des centres, s’annonce donc ardue pour le général Rémy Frétille, qui vient de le remplacer. Ce dernier peut croire au miracle de l’EPIDe : un établissement qui arrive à produire de bons résultats en matière d’insertion des jeunes en dépit de sa gestion chaotique. Ces résultats sont à porter au crédit des agents qui œuvrent tous les jours dans des conditions difficiles pour aider des jeunes à s’en sortir.

Alerté sur les dérives par de nombreux courriers d’agents depuis plusieurs années, les ministres de la défense successifs sont restés passifs. Dernièrement, Jean Yves Le Drian, le ministre de la Défense aurait confié ce dossier à un spécialiste des situations délicates : son directeur-adjoint de cabinet civil et militaire, le Contrôleur général des armées en deuxième section, Jean-Michel PALAGOS (2). (https://www.adefdromil.org/21886).

On ne change pas une équipe qui gagne. Alors, encore un petit effort dans l’inaction, et l’EPIDe pourrait bien se transformer en un vrai fromage …de Hollande ?

(1) Contactés par l’Adefdromil, les syndicats de l’EPIDe n’ont pas souhaité s’exprimer.

(2) Contacté le 19 septembre par l’Adefdromil, M. Palagos n’a pas souhaité répondre sur ce point.

 

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