La situation du directeur adjoint du cabinet de Jean Yves Le Drian, ministre de la Défense, est-elle…normale? (Par Jacques BESSY, Président de l’Adefdromil) (Actualisé au 29 août 2012)

Nul doute que la communauté militaire s’est réjouie en entendant le Président Hollande, nouveau chef des armées, affirmer qu’il faut être exemplaire.

L’attention de l’Adefdromil, qui veille avec ses modestes moyens au respect de la règle de droit au sein du ministère de la Défense a été attirée sur le cas du directeur-adjoint de M. Jean Yves Le Drian, ministre de la Défense, rappelé de sa retraite pour tenir le poste.

M. Jean Michel Palagos est né le 17 avril 1951 à Birmandreis (Algérie). Il est devenu officier de l’armée de terre en 1978 (Infanterie). Titulaire d’une maîtrise en droit (1977) et diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (1990), il est entré au Contrôle général des armées en 1992 et a été nommé au grade de Contrôleur Général en 2000.

Il a été conseiller au cabinet d’Alain Richard de 1997 à 1999 et directeur-adjoint du cabinet du Secrétaire d’Etat aux anciens combattants avant de prendre la direction des ressources humaines du ministère de la Défense en 2000. Il a préparé le toilettage du statut général des militaires voté en 2005 et à cette occasion a publié aux Editions Lavauzelle, un ouvrage intitulé « Le nouveau statut général des militaires ». Il a été placé en deuxième section par anticipation et sur sa demande, par décret du 31 janvier 2008 à compter du 15 mai 2008.

Il a été nommé directeur-adjoint du cabinet civil et militaire de M. JY Le Drian par arrêté du  17 mai 2012, et reconduit dans le deuxième gouvernement Ayrault par arrêté du 22 juin 2012.

Une position statutaire problématique.

En tant que Contrôleur Général des Armées, M. Palagos, est titulaire d’un grade qui est assimilé à celui d’un officier général, ainsi que l’avait démontré en 2006 une note de huit pages produite par un CGA, alors président de la commission des recours des militaires (CRM).

Ainsi, lorsqu’un officier général ou assimilé placé en deuxième section, est rappelé à l’activité, le code de la Défense est clair.

L’article L4141-1 dispose en effet que : « Les officiers généraux sont répartis en deux sections :

1° La première section comprend les officiers généraux en activité, en position de détachement, en non-activité et hors cadres ;

2° La deuxième section comprend les officiers généraux qui, n’appartenant pas à la première section, sont maintenus à la disposition du ministre de la défense. Les officiers généraux de la gendarmerie nationale sont maintenus à la disposition du ministre de la défense et du ministre de l’intérieur, pour les missions qui relèvent de leur autorité. Lorsqu’ils sont employés pour les nécessités de l’encadrement, les officiers généraux visés au présent 2° sont replacés en première section pour une durée déterminée dans les conditions et selon les modalités fixées par décret en Conseil d’Etat.

Les officiers généraux peuvent être radiés des cadres. »

Fin 2007, l’Association de Défense des Droits des Militaires (Adefdromil) avait d’ailleurs appelé l’attention du ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique sur le dispositif de rappel à l’activité des officiers généraux en deuxième section. Elle avait reçu le 14 janvier 2008 une réponse parfaitement claire de M. Eric Woerth, ministre : « l’officier général en 2ème section ne peut être replacé en 1ère section que par un arrêté du Ministre de la Défense, ce qui exclut le recours à la pratique de la note de service ou toute autre procédure simplifiée ».

Or, malgré de nombreuses recherches, il apparaît que M. Palagos n’a pas été replacé en première section.

Contactée par Louise Fessard, journaliste à Mediapart, la direction de la communication de la Défense (DICOD) a confirmé, le 23 août, que M. Palagos est toujours placé en deuxième section, prétextant que le poste occupé ne serait pas un poste « d’encadrement », mais un poste à caractère « politique ». Il s’agit évidemment d’une argutie juridique, eu égard aux postes habituellement tenus par les contrôleurs généraux au sein de l’administration centrale du ministère, y compris celui de directeur-adjoint du cabinet, occupé à maintes reprises dans la dernière décennie par des Contrôleurs Généraux en première section.

Une première conséquence de cette situation abracadabrantesque pour un militaire chargé de signer au nom du ministre les décisions prises après recours, c’est que la délégation de signature de M. Jean Yves Le Drian pourrait être sans valeur juridique compte tenu de la position statutaire du délégataire, contraire à l’article L4141-1 du code de la Défense.

A cet égard, l’Adefdromil conseille aux militaires ayant introduit ou introduisant un recours pour excès de pouvoir contre une décision signée de M. Palagos, d’argumenter sur la nullité de la délégation de signature du ministre en raison de la situation statutaire du délégataire, susceptible de violer les dispositions de l’article L4141-1 du code de la Défense.

L’Adefdromil s’est ensuite intéressée aux raisons susceptibles d’expliquer une telle situation.

Une fonction et des intérêts dans une société de conseils : CODEAC, créant une incompatibilité du replacement en première section.

En fait, sa nomination au cabinet de M. Le Drian a dû plonger M. Palagos dans un dilemme cornélien :

Valait-il mieux violé l’article L4141-1 ou s’asseoir sur les dispositions de l’article L4122-2 du code de la Défense ?

Ce dernier article garantit à l’Etat l’exclusivité de l’activité du militaire. D’une part, il interdit l’exercice de fonctions dirigeantes de personnes morales de droit privé et d’autre part il tente de prévenir les conflits d’intérêts pouvant naître en raison des intérêts, susceptibles de compromettre l’indépendance du militaire, dans des sociétés placées sous son contrôle ou avec lesquelles il a négocié des contrats.

Que dit précisément cet article :

« Les militaires en activité ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit.

Sont interdites, y compris si elles sont à but non lucratif, les activités privées suivantes :

La participation aux organes de direction de sociétés ou d’associations ne satisfaisant pas aux conditions fixées au b du 1° du 7 de l’article 261 du code général des impôts  (b. l’exception vise les œuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée)  

2° Le fait de donner des consultations, de procéder à des expertises et de plaider en justice dans les litiges intéressant toute personne publique, le cas échéant devant une juridiction étrangère ou internationale, sauf si cette prestation s’exerce au profit d’une personne publique.

Les militaires ne peuvent avoir par eux-mêmes ou par personne interposée, sous quelque forme que ce soit, lorsqu’ils sont en activité et pendant le délai fixé à l’article 432-13 du code pénal ( 3 ans ) à compter de la cessation de leurs fonctions, dans les entreprises soumises à leur surveillance ou à leur contrôle ou avec lesquelles ils ont négocié des contrats de toute nature, des intérêts de nature à compromettre leur indépendance.

Ils peuvent toutefois être autorisés à exercer, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, à titre accessoire, une activité, lucrative ou non, auprès d’une personne ou d’un organisme public ou privé, dès lors que cette activité est compatible avec les fonctions qui leur sont confiées et n’affecte pas leur exercice.

Les militaires peuvent librement détenir des parts sociales et percevoir les bénéfices qui s’y attachent. Ils gèrent librement leur patrimoine personnel ou familial.

La production des œuvres de l’esprit au sens des articles L.112-1, L.112-2 et L.112-3 du code de la propriété intellectuelle s’exerce librement, dans le respect des dispositions relatives au droit d’auteur des agents publics et sous réserve du respect des dispositions du troisième alinéa de l’article L.4121-2 du présent code.

Sans préjudice de l’application de l’article 432-12 du code pénal, la violation du présent article donne lieu au versement des sommes indûment perçues, par voie de retenue sur la solde. »

Lorsqu’il a quitté le service actif en 2008, M. Palagos s’est investi dans le fonctionnement d’une société de conseils, créée en 2007, dont il partageait jusqu’au 5 juillet 2012 la gérance avec son épouse.

Le nom de ce fleuron des PME : CODEAC, dont le siège social est fixé au domicile de M. Palagos.

Que vend cette SARL ? Selon le registre du commerce, elle « accompagne des entreprises dans les domaines de la conduite ou de l’accompagnement du changement, les médiations sociales ou de fonctionnement, les évaluations des cadres à potentiel et futurs dirigeants, ceci pour les entreprises du secteur concurrentiel, du secteur public, les services de l’Etat et des collectivités ».

En quatre ans, le bilan financier de CODEAC est exceptionnel. Il suffit de se référer au  rapport de gestion de l’assemblée générale du 31 mars 2012 : « Au cours de l’exercice clos le 30 septembre 2011, le chiffre d’affaires s’est élevé à 278 952 euros contre 186 826 euros pour l’exercice précédent, soit une variation de  + 49%. Le montant des traitements et salaires s’élève à 79 500 euros contre 70 500 pour l’exercice précédent, soit une variation de + 12%.Le résultat d’exploitation ressort pour l’exercice à 116 655 euros contre 38 278 euros pour l’exercice précédent. ». L’avenir semble également prometteur puisque ce même rapport, déposé le 2 mai 2012 au greffe, précise : « Evolution prévisible et perspective d’avenir : nous pensons pouvoir maintenir et développer notre chiffres d’affaires ».

Quant au nombre de salariés de la société, il sembble limité aux deux cogérants selon l’annuaire des fournisseurs du ministère dans lequel figure cette société.

Dans le même temps, CODEAC, dont le capital est divisé en 200 parts (150 pour Monsieur et 50 pour Madame) ayant accumulé des disponibilités à hauteur de 191 423 euros, l’assemblée générale composée des deux actionnaires, a décidé de distribuer un dividende de 437,92 euros par part, soit 87 584 euros auquel il convient d’ajouter 30 216 euros au titre des contributions sociales. Beaucoup de PME rêveraient d’avoir un tel bilan et une telle profitabilité.

Si M. Palagos avait été replacé en première section, il violait de facto l’article L4122-2. Simultanément, n’étant pas replacé en première section, il viole l’article L4141-1 du code de la Défense.

Le 5 juillet 2012, un acte a été déposé au greffe du tribunal de commerce compétent. Il s’agit du procès verbal d’une assemblée générale extraordinaire, qui se serait tenue le 16 mai 2012, soit la veille de sa première nomination. Mais, l’acte n’est opposable aux tiers qu’à compter de sa publication. Lors de cette AGE, M. Palagos a démissionné de sa fonction de cogérant. Il demeure toutefois actionnaire majoritaire à 75% de CODEAC, désormais gérée par son épouse.

A ce jour, M. Jean Michel Palagos est donc directeur adjoint du cabinet du ministre de la défense, délégataire de la signature de M. Jean Yves Le Drian à l’effet de signer notamment les décisions prises après recours. Il demeure en deuxième section du Contrôle général et actionnaire à 75% de la SARL CODEAC, gérée par son épouse et toujours répertoriée, le 20 août 2012, parmi les fournisseurs du ministère (http://www.achats.defense.gouv.fr). En outre, la toile fait apparaître que M. Palagos est membre du comité d’honneur de l’association des entreprises partenaires de la défense.

La situation de M. Palagos, dont l’honnêteté n’est nullement mise en doute, appelle tout de même de nombreuses questions, au nom de la transparence qu’un haut responsable d’un ministère doit à ses concitoyens et au nom des principes de moralisation de la vie publique avancés par M. François Hollande, Président de la République.

Ainsi, entre le 17 mai et le 5 juillet 2012, date de la publication de l’officialisation de sa démission de cogérant de CODEAC, M. Palagos se trouvait indiscutablement en infraction avec les dispositions du code de la défense. Toutes les décisions prises sur recours nous paraissent viciées. Pour autant, sa situation est-elle devenue « normale » après sa démission de la cogérance de sa société ?

Le fait qu’il détienne 75% des actions d’une SARL à la profitabilité exceptionnelle, gérée par son épouse, et toujours répertoriée comme fournisseur du ministère nous paraît bien être constitutif « d’intérêts, susceptibles de compromettre son indépendance ».

Pourrait-il exposer quels ont été les marchés signés avec le ministère de la Défense entre 2008 et 2012 ?  Y a-t-il des marchés en cours et quel est leur contenu ?

Quels sont ses liens avec M. le Contrôleur Général Jacques Feytis, nouveau directeur des ressources humaines du ministère depuis le 11 juillet 2012, qui exerçait précédemment la fonction de directeur adjoint de l’AFPA (agence pour la formation professionnelle des adultes), qui figurait sur la toile parmi les références de CODEAC, voici encore quelques semaines ? Quels ont été les marchés passés avec l’AFPA : prestations, honoraires, etc ?

Il ne suffit pas que CODEAC n’ait signé aucun marché avec le ministère depuis le 17 mai 2012, comme l’affirme la DICOD, pour que la situation de M. Palagos ne prête à aucun questionnement.

Une rémunération d’activité suffisamment élevée pour exclure tout cumul.

La solde de réserve de contrôleur général est  en fait une pension de retraite en application des articles L51 et R58 du CPCMR (code des pensions civiles et militaires de retraite).

Dans l’hypothèse où le titulaire d’une pension perçoit avant la limite d’âge du code de la sécurité sociale (67 ans), une rémunération d’une administration de l’Etat,  les articles L 84 et suivants ont limité le cumul à un tiers du montant brut de la pension de l’année considérée (article L85). L’excédent est déduit de la pension de retraite après déduction d’un abattement. Or, selon la DICOD : « Sa rémunération annuelle étant supérieure au plafond prévu par les textes, lequel est égal pour l’année 2012 à la somme de 6 810,07 € augmentée du tiers de sa solde de réserve, l’excédent est déduit de sa solde de réserve. Cet excédent étant supérieur au montant de sa solde de réserve, le paiement de sa pension est suspendu en totalité. Il ne cumule donc pas sa rémunération d’activité avec sa solde de réserve ». Cette précision confirme que les cadres de haut niveau des cabinets ministériels sont bien payés : 10 000 euros environ par mois selon toute probabilité.

        ***

Lorsqu’on est chargé par le ministre de signer en son nom les décisions après avis de la Commission de Recours des Militaires, il faut soi-même être irréprochable sur le respect des textes statutaires, que l’on connaît parfaitement pour avoir été directeur des ressources humaines du ministère et avoir signé un ouvrage sur le statut des militaires.

Quelle confiance peuvent avoir les militaires formant un recours dans la décision du ministre signée par un Contrôleur général non replacé en première section, gérant jusqu’au 5 juillet dernier d’une société de conseil, fournisseur du ministère de la Défense et qui en reste actionnaire à 75 % ?

Les textes ont été faits pour justement prévenir les situations ambiguës et la première chose que tolère M. Le Drian, ministre de la Défense, c’est qu’on s’assoit dessus.

Cela participe t-il de ce qu’il appelle « un ministère bien tenu avec des personnels républicains » ? Peut-il prétendre que cette situation est conforme aux normes, c’est-à-dire normale ?

Comme dirait Martine Aubry : « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup » !

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http://www.da-esterel.fr/article-la-republique-exemplaire-un-cas-d-ecole-au-ministere-de-la-defense-109500354.html

La République exemplaire ? Un cas d’école au ministère de la défense ( PAR LOUISE FESSARD)

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