Maurice Dufresse, ancien sous-directeur de la DGSE, a-t-il révélé l’identité d’agents du service?

Un livre de souvenirs

Vingt-cinq ans dans les services secrets est le titre de l’ouvrage paru en mars 2010 aux éditions Flamarion que Maurice Dufresse ancien haut cadre du renseignement français, pur produit de la DGSE, a coécrit avec le journaliste expérimenté Laurent Léger. Ce livre de souvenirs raconte le plus objectivement possible «  la façon dont fonctionne la machinerie dela DGSE », important service de renseignement français.

Au gré des récits factuels il décrit avec enthousiasme la profonde affection, jamais démentie, qu’il porte pour ce service et ce métier, les joies, les peines d’un homme de l’ombre sur fond de dossiers sensibles (de l’affaire du Rainbow Warrior à celle des moines de Tibhirine) et de luttes de clans et de pressions de chefs tatillons.

Une œuvre pédagogique de certitudes et de doutes dont tout nouvel entrant et tout officier traitant (OT) en formation devrait s’approprier le contenu.

Mais en 2010, l‘ex-ministre de la défense Hervé Morin n’a pas apprécié d’y découvrir les patronymes de cadres de la DGSE.  Il a porté plainte. Une surveillance en hélicoptère, une perquisition à domicile, un transport de justice, une garde à vue prolongée ont été diligentés avant mise en examen. A Levallois dans les locaux de la DCRI, les aveux supplémentaires n’ont sans doute pas eu lieu. L’homme sait se taire bien évidemment. C’est même son métier, lui qui fut un anonyme tout au long de sa carrière.

Pour le ministre, ce « Siramy, serviteur de la nation », devait dès lors, être sanctionné dans son droit d’expression. Le grand professionnel du renseignement devait être atteint dans sa capacité « d’aller et venir » et assigné à résidence avec interdiction de communiquer avec la presse et avec ses confrères qui parfois sont des amis. Il est vrai que la tournée médiatique de lancement de l’ouvrage a fait grand bruit, depuis l’émission de Karl Zéro jusqu’aux « grosses têtes » de Philippe Bouvard en passant par la présence de l’auteur au salon du livre de Paris.

L’audience du 8 juin 2012

Monsieur Dufresse, alias Pierre Siramy, comparaissait libre vendredi 8 juin 2012 devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour répondre du délit de « révélation de l’identité de militaires ou de personnels civils appartenant àla DGSE dont les missions exigent, pour des raisons de sécurité, le respect de l’anonymat ». Un délit puni d’une amende de 15 000 euros, en vertu de l’article 39 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Le prévenu est un colosse débonnaire et souriant. Il semble tout droit sorti du film les « tontons flingueurs ». Ses propos sont structurés, sa parole minimaliste, et les réponses au juge sont courtoises et concises. Ce grand professionnel lié par l’honneur et le secret n’a bien évidemment pas révélé contrairement aux accusations mal fondées « l’identité de militaires ou de personnels civils appartenant àla DGSEdont les missions exigent, pour des raisons de sécurité, le respect de l’anonymat ».

En l’absence remarquée de tout représentant du ministère de la défense, le parquet indique que le « ministère public a agi de bonne foi » et réfute une manipulation de sa part.  Toutefois, il concède sans ambiguïté que la carrière des deux hauts responsables cités dans l’ouvrage avait été évoquée dans différents médias bien avant cette publication. C’est donc « une accusation un peu vacillante » que la procureure reconnaît avoir en charge, tout en se montrant réservée sur le bien fondé de l’action du ministère, sous l’œil attentif de trois inspecteurs de la DCRI postés sur un banc au fond du prétoire.

Une plainte scélérate !

L’avocat de Pierre Siramy, Maître Renaud Le Gunehec indique que « ce livre de témoignage ne méritait pas une telle violence procédurale ». En effet, « pour voir son anonymat respecté pour des raisons de sécurité, encore faut-il commencer par être anonyme ». L’avocat de Flammarion Maître Christophe Bigot constate que « quand on tape le nom de l’ancien chef de service dans GOOGLE, on constate comme premier résultat de recherche l’appartenance à la DGSE et le descriptifs des fonctions ». L’avocat du journaliste d’investigation Laurent Léger, Maître Olivier Saumon, note que le journal officiel (JO) lui même a donné les deux noms et les fonctions des deux cadres.

Alors que penser de cette plainte ? Elle est « scélérate » et à « visée interne » pour les avocats de la défense. Il est évident que Laurent Léger est un journaliste qui connaît son métier et a procédé à toutes les vérifications avant la publication.

Du masque à …la plume.

Mais chacun pourra se faire son avis sans avoir été présent à l’audience, en allant constater que Intelligence Online, la lettre de l’Expansion avaient fait état, sans être poursuivies, des fonctions et des identités des deux hauts cadres dela DGSEbien avant la publication de l’ouvrage. Pour approfondir encore la réflexion, le lecteur pourra se référer à une précédente publication de Flammarion « mémoire d’un agent secret » de Dominique Fonvielle, colonel honoraire, coécrit avec Jérôme Marchand en 2002, ouvrage dressant « un tableau critique et intime dela DGSE », qui n’entraîna pas les « foudres très brutales » du ministère de la défense contrairement au dossier dont il est question aujourd’hui.

Et un conseil de la défense de conclure : « Le ministre de la Défense se prend pour le juge. La volonté du ministre dela Défensec’est de punir ».

Quant à Pierre Siramy, il vient de publier un nouvel ouvrage intitulé « Les ombres de Tibhirine » aux éditions Presses de la Cité.

Victor Hugo avait « des rêves de guerre en son âme inquiète ». Pour le maître espion, il s’agit sans doute de rêves de… vers… et d’une manière habile de passer du masque (d’espion) à la plume.

Le délibéré est attendu le 7 septembre.

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