Le juge administratif statuant en référé vient de rendre une décision, le 19 avril 2012, qui vient rappeler opportunément à l’autorité militaire que la suspension n’est pas une sanction, mais une simple mesure conservatoire, accessoire de la procédure disciplinaire sur lequel le juge exerce son contrôle.
Les faits de la cause
Un officier organise un repas de service dans les locaux militaires de son unité, sans avoir demandé l’autorisation réglementaire au colonel, avec lequel il n’est pas dans les meilleurs termes.
Au cours de la soirée, une de ses filles qui l’accompagnait est victime d’une agression sexuelle, qui entraine un dépôt de plainte et fait ainsi connaître l’organisation du repas à la hiérarchie.
L’officier est très rapidement suspendu en application de l’article L4137-5, qui autorise la mesure en cas de « faute grave ». Le traitement du militaire suspendu est alors logiquement amputé des primes liées à une activité opérationnelle : indemnités de service en campagne, indemnité de sujétion de police, indemnité pour services aériens, etc. La diminution effective de solde peut atteindre plus de 40% de la rémunération nette mensuelle. (( Le ministre de la défense ou son délégataire précise si le militaire : conserve, pendant le temps où il est suspendu, le bénéfice de : – la solde de base nette, – l’indemnité de résidence, – le supplément familial de solde, ou détermine la quotité de la retenue qu’il subit et qui ne peut être supérieure à : – la moitié de la solde de base nette, augmentée de – la totalité de l’indemnité de résidence, – la totalité du supplément familial de solde. La décision prise sur le plan pécuniaire prend effet le lendemain de la date de notification. L’intéressé continue à percevoir les indemnités à caractère familial, ainsi que la totalité des prestations familiales. ))
C’est dans ces conditions que l’officier suspendu a décidé de saisir le juge des référés, après avoir demandé dans une requête distincte l’annulation au fond de la mesure.
La décision ( Ordonnance du 19 avril 2012 )
La recevabilité
Avec beaucoup d’aplomb, le ministre a soutenu l’irrecevabilité de la requête au motif que la suspension ne faisant pas partie des sanctions prévues par le code de la défense, le recours aurait dû être adressé à la CRM (commission des recours des militaires). Cette thèse ne résiste pas à la lecture du code de la défense, dont l’article L4137-5 figure au chapitre « Discipline ».
Le non-lieu à statuer
Le service contentieux du ministère représenté par deux juristes bas bleus a plaidé que la procédure était sans objet, puisqu’elle aurait pris fin en raison de la sanction qui venait d’être prononcée et qui mettait fin d’elle-même à la suspension. La manœuvre était un peu grosse, car cette sanction de 40 jours d’arrêts n’avait pas été notifiée et paraissait être intervenue opportunément pour tenter de stopper la procédure. Le juge clairvoyant a écarté l’argument.
L’urgence.
Le juge a admis que la diminution de 37% du traitement net pour un ménage de cinq personnes et les difficultés financières susceptibles d’en résulter constituaient bien la condition d’urgence requise par le code de justice administrative.
Le doute sérieux sur la légalité de la décision de suspension
La faute principale qu’on puisse reprocher à l’officier, c’est de ne pas avoir demandé l’autorisation réglementaire d’organiser la soirée festive. S’agit-il d’une faute « grave » ? On peut sérieusement en douter, d’autant que l’organisation de tels repas « de cohésion » sans autorisation formelle était fréquente.
Compte tenu des mauvaises relations existant entre l’officier et son supérieur, le juge a pu penser que ce dernier avait profité des circonstances pour avoir la main lourde.
En conclusion, la mesure de suspension a donc été… suspendue, en attendant qu’il soit statué au fond, sur sa légalité. Le juge a accordé logiquement 1500 euros au requérant au titre des frais exposés (art. L761-1 du CJA).
On peut remarquer qu’au même moment, la hiérarchie d’un major de gendarmerie a utilisé la suspension pour le forcer à démissionner du poste de vice-président d’une association de gendarmes auquel il venait d’être élu. (armée-media)
Il apparaît donc que le commandement utilise la mesure de suspension, non pas comme une mesure conservatoire permettant de diligenter une enquête, mais bien comme une sanction en raison de ses conséquences financières. C’est ce qu’on appelle un détournement de pouvoir.
Nous ne pouvons donc que nous réjouir de cette décision particulièrement opportune qui vient rappeler le droit à un ministère dans lequel il a toujours autant de mal à entrer.
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