La « grande muette » se syndicalise

Le Courrier Picard – Lundi 28 mai 2001 :

Présidée par le capitaine Michel Bavoil, l’Association de défense des droits des militaires qui a pour but de lutter contre l’injustice, l’arbitraire et les brimades au sein de l’armée vient d’être officiellement enregistrée à Senlis. Une première en France qui bordure l’illégalité.
‘est une véritable opération de commando ! Le 13 avril, Michel Bavoil, capitaine de l’infanterie de marine domicilié à Pont Sainte Maxence, fait enregistrer son association à la sous-préfecture de Senlis. Le 7 mai, il fait valoir ses droits à la retraite. Le 17, le site Internet est ouvert. Le 19, l’Association de défense des droits des militaires (ADEFDROMIL) est publiée au Journal officiel. Dans l’intervalle, Jacques Chirac, chef des armées, et Lionel Jospin, patron d’Alain Richard, ministre de la Défense, ont été prévenus personnellement par courrier.

Les objectifs sont atteints. L’article 10 de la loi de 1972 sur le statut des militaires interdit à ces derniers de créer ou d’adhérer à une organisation syndicale ? Le premier syndicat militaire est créé légalement. Par un militaire, alors en activité. Le président de la République et le Premier ministre en connaissent l’existence. Avec son site Internet, le syndicat a pignon sur rue.

« L’association, qui compte d’ores et déjà une cinquantaine d’adhérents, souligne son président, poursuit les buts d’un syndicat sans en avoir les inconvénients. Nous sommes respectueux de nos obligations et de nos devoirs Il n’est pas question de s’immiscer dans le domaine opérationnel ou de revendiquer le droit de grève. Notre but est la défense des droits statutaires, tels qu’ils sont définis par la loi, en matière de solde, d’avancement, de décorations, de pensions, etc. »

Trop de militaires sont soumis à l’injustice

A en croire M. Bavoil, le coup de force était indispensable. On ne pouvait pas attendre davantage. Le malaise est profond. La fronde peut éclater d’un moment à l’autre. Les armées ne sont pas exemptes de tout reproche. Trop de militaires sont soumis à l’injustice, à l’arbitraire et aux brimades. Par dessus le marché, ils ne disposent d’aucun moyen de s’informer et se défendre.

La hiérarchie ? on ne peut pas compter sur elle ! Le Conseil supérieur de la fonction militaire, il canalise le mécontentement sans s’attaquer à ses causes ! Les associations de retraités militaires ? elles ne sont pas écoutées ! Les rapports parlementaires ? ils ne servent à rien ! Les syndicats « par interposition », comme le Mouvement des femmes de gendarmes ? ils ne sont pas suffisants !

« Les militaires d’active doivent prendre leur affaire en main, c’est leur droit le plus strict, martèle M. Bavoil, alors même que deux militaires viennent de se faire rappeler à l’ordre à la suite de leur adhésion à l’Association pour la défense des droits des administrés ».

De fait, la Constitution affirme, dans son préambule de 1946, repris en 58 : « tout homme peut défendre ses droits par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ». La résolution 903 du Conseil de l’Europe de 88, « invite les pays membres, qui ne l’ont pas encore fait, à accorder aux professionnels des forces armées de tous grades, le droit de créer des associations pour protéger leurs intérêts professionnels, d’y adhérer et d’y jouer un rôle actif ».

L’initiative légale-illégale de l’officier de Pont-Sainte-Maxence devrait avoir un grand retentissement. Elle a déjà trouvé des appuis à la CFDT et au Syndicat de la magistrature. Pourquoi pas bientôt au gouvernement ? En 1976, dans un petit livre préfacé par François Mitterand, des personnalités comme Robert Badinter, Jack Lang ou Laurent Fabius appelaient de leurs voeux « une démocratisation de l’armée » !

Un homme de caractère

Engagé dans les paras en 1967, devenu officier de l’infanterie de marine à force de mérite, le capitaine Michel Bavoil est un homme de caractère.

Si, à ceux du Tchad, du Gabon ou de Sarajevo, il a ajouté pendant sa carrière d’autres théâtres d’opération moins conventionnels, tels que le Tribunal des forces armées ou le Conseil d’Etat, c’est que cet homme de conviction a horreur de l’injustice et du mensonge.

Devant la première juridiction, il a témoigné sur les magouilles du commandement à Djibouti. Au moyen de fausses factures de pièces détachées de chariot élévateur, celui-ci avait acquis un bâteau d’agrément. Quant à la croisade menée devant le Conseil d’Etat contre le « conditionnalat » (il permet à des officiers de haut rang de partir à la retraite anticipée avec des avantages confortables mais illégaux), il en a payé le prix. Capitaine tu es, capitaine tu resteras …

A la charnière de la vie active et de la retraite, après un passage éclair dans la politique locale à la faveur de l’élection municipale de Pont-Sainte-Maxence, l’élu démissionnaire entame, avec le même enthousiasme et la même rigueur, une carrière inédite, celle de syndicaliste militaire. L’aventure, qui porte l’espoir de nombreux militaires d’active, n’est pas sans risque. Michel Bavoil les assume avec lucidité.

C’est que, comme tout homme qui ne cesse d’entreprendre, il ne désespère pas de faire avancer les choses. En se servant de sa plume, le cas échéant ! N’a-t-il pas l’intention de faire paraître un livre aux Editions Laffont à la prochaine rentrée littéraire d’automne ? Le titre n’en est pas encore choisi. Mais il y sera bien évidemment question de l’arméée d’aujourd’hui vue de l’intérieur.

Correspondre avec l’association

Dès son apparition sur internet, le site de l’Association de défense des droits des militaires a connu un retentissement immédiat auprès des militaires de tous grades. Michel Bavoil assure qu’entre le 17 mai, date de son ouverture, et le 21 mai, le site a reçu 739 visites.

Le site se veut tout à la fois la vitrine, la boîte postale, le bureau de l’asssociation. On peut y consulter notamment : le mot du président ; les statuts de l’association ; les lettres adressées au Président de la République et au Premier ministre ; la tribune libre pour la correspondance ; les dossiers en cours (retraite et refonte du statut général des militaires) ; la revue de presse ; les archives ; les démarches à accomplir pour adhérer ou pour écrire à l’association.

Les réactions sont très encourageantes. Beaucoup saluent la création de l’association. « Voilà des lustres que j’attendais cette initiative », écrit l’un d’eux. « Bravo pour votre courage, écrit un autre, vous répondez à un véritable besoin, car la hiérarchie ne joue plus son rôle ». Un autre parle même : « d’initiative audacieuse mais pertinente », en s’inquiétant toutefois de l’audience d’une telle association en raison de la méfiance innée des militaires d’active à l’égard des syndicats.
Beaucoup de messages, accompagnés parfois d’une demande d’adhésion, témoignent aussi des difficultés que leurs auteurs rencontrent pour faire valoir leurs droits en diverses circonstances. D’autres dénoncent le mépris des officiers pour les sous-officiers ou le déficit de dialogue dans la gendarmerie …

À lire également