Un outil efficace de discrimination et de régression du droit : la Commission des Recours des Militaires. L’éclairage de l’Adefdromil sur dix ans de fonctionnement de ce…machin. (Par Jacques BESSY, Président, et Michel BAVOIL, Vice-président et fondateur de l’Association de Défense des Droits des Militaires.) Deuxième partie.

Une activité intense et peu transparente, menée tambour battant.

Un rapport annuel peu accessible.

Il n’est pas facile de se procurer le rapport annuel de la CRM, qui n’est pas rendu public, ni communiqué aux assemblées parlementaires. Après avoir été disponible sur le réseau « Intradef », il ne l’est plus sans doute pour éviter qu’il ne parvienne dans des mains critiques, comme celles de l’Adefdromil. Pourtant, il y a beaucoup à apprendre sur le moral des militaires, sur l’état du dialogue social, sous réserve d’avoir déchiffré la présentation arrangeante de l’activité de la CRM.

Une parodie de délibération en commission.

Il est notable, par exemple, que le rapport ne livre pas le nombre de sessions de la commission et le nombre de dossiers traités. Ce n’est pas étonnant, car l’information permettrait de se faire une idée de la vivacité d’esprit de ses membres, qui rendent un avis plus vite que leur ombre. Pour preuve, les ordres du jour surchargés qui conduisent à consacrer moins de deux minutes par dossier environ. Ainsi, ce ne sont pas moins de 235 dossiers qui ont été examinés le 20 janvier 2011 à partir de 9 heures, soit entre une et deux  minutes par dossier en comptant une durée de la réunion comprise entre quatre et huit heures…

En volume, le nombre de recours est en constante augmentation : 4681 recours enregistré en 2010 contre 2359 en 2003. Sur huit ans le nombre de recours s’élève à 3029 en moyenne par an. Cette tendance s’est confirmée sur les cinq premiers mois de 2011 : 4492 recours par extrapolation. On attend donc avec intérêt le résultat de l’activité 2011 de la CRM.

Une parodie de justice interne rendue au moindre coût.

Autre information édifiante : le coût du fonctionnement de la CRM qui s’élevait en 2009 à 1 560 000 euros, soit un coût moyen de 770 euros par dossier, calculé sur les seuls recours examinés en commission : 2023 sur 3222 reçus.

Comment dans de telles conditions instruire, étudier et statuer avec tout le recul indispensable ? Le ministère peut-il sérieusement prétendre – pour reprendre l’expression de M. Gohin, citée supra- qu’il « joue le jeu » ? Finalement, les militaires en ont pour leur argent, c’est-à-dire pour pas cher.

Un taux d’agrément réel faible.

Le rapport 2010 annonce victorieusement que le taux d’agrément brut total des recours instruits (3634/4681) serait de 34, 97% (contre 45,63% en 2009).

Ce faisant la statistique prend en compte les agréments dits internes, chiffrés à 496, soit 13,64%. Le seul mérite de la CRM dans ces agréments est de transmettre le recours au service gestionnaire de l’armée d’appartenance du requérant. Lorsqu’on connaît l’entêtement des services gestionnaires à maintenir leur décision contre vents et marées, il faut en conclure que les arguments présentés sont particulièrement convaincants pour que le service gestionnaire préfère revenir sur sa décision ou celle d’un échelon subalterne sans attendre l’agrément probable du recours par le ministre. A titre d’exemple, l’Adefdromil a eu à connaître du cas d’un sous-officier supérieur déplacé d’office sans raison valable et sans communication préalable de son dossier, qui, après avoir introduit un recours, a été replacé dans son affectation de départ pour mettre fin à la procédure. Faut-il louer la CRM de ce résultat ou rappeler simplement que le droit de former un recours contre une décision faisant grief est un principe général du droit ?

Les agréments partiels constituent une autre subtilité de statisticien, permettant de mettre en valeur l’empathie prétendue de la CRM pour la garantie des droits des militaires. En fait, il suffit que la décision ministérielle concède au requérant un élément de sa demande pour que le recours soit considéré comme agréé… partiellement. En matière de notation, il est aisé de modifier une partie infime de la notation contestée tout en conservant son sens général défavorable pour que l’agrément partiel vienne enrichir les statistiques positives de la CRM. Ces agréments partiels, qui sont en fait des rejets partiels se sont élevés à 458 en 2010, soit 12,60%. Finalement, le nombre total d’agréments effectifs après passage en CRM se chiffre à : 317, soit 8,7% des 3634 recours instruits, chiffre différent (9,32%) de celui présenté par le rapport page 23, qui prend en compte 3399 recours traités à la date de publication.

On peut également s’interroger sur le jeu subtil de la CRM, dont les avis favorables d’agréments (840) ne sont pas suivis par le ministre (317). Y avait-il une connivence entre la CRM, présidée par un Contrôleur Général et le directeur adjoint du cabinet civil et militaire, délégataire de la signature du Ministre et lui aussi Contrôleur Général en 2010 ? En proposant d’agréer généreusement les recours, tout en sachant que plus de la moitié de ses avis favorables ne seraient pas suivis, la CRM justifie habilement sa prétendue indépendance et peut toujours se retrancher derrière les décisions ministérielles : à bonne CRM, mauvais (ou méchant) ministre !

Le succès du filtre.

On ne peut pas avoir raison sur tout. M. Gohin prédisait en 2001 que le taux de satisfaction serait faible –ce qui est exact-et que cette insatisfaction se traduirait par un taux important de décisions de rejet qui seraient soumises au contrôle du juge administratif.

Il n’en est rien. Selon le CGA Grollemund, les 27 004 recours reçus entre septembre 2001 et fin 2010 se seraient traduits par 2001 contentieux devant les juridictions administratives, soit un pourcentage de 7,41%, qui constitue indiscutablement un succès pour la CRM, mais au prix de la régression subtile des droits des militaires, des manœuvres dilatoires, du caractère dérogatoire de la procédure.

Pour préparer son rapport d’études sur l’extension possible du RAPO remis au Premier Ministre en 2008, M. Olivier Schrameck, conseiller d’Etat, a-t-il seulement interrogé quelques requérants militaires, surtout parmi les 90% ayant été déboutés totalement ou partiellement de leur demande pour évaluer la procédure du point de vue du justiciable, et non du point de vue du technocrate et du confort des juges administratifs ? Tout démontre en tout cas que le RAPO ne favorise pas le dialogue, tout du moins dans les conditions dans lesquelles il intervient au sein du ministère de la Défense.

Ainsi, la CRM reproduit en version droit administratif le caractère dérogatoire et expéditif de la justice militaire du temps de guerre. Bref, il n’est pas excessif de dire que les recours devant la CRM sont à la justice administrative ce que la musique militaire est à la musique !

Tout ceci est indigne d’un Etat de droit et d’une démocratie. Il faut donc repenser le système en profondeur.

Rebâtir ou ravaler la façade ?

La suppression du RAPO et de la CRM, qui constituerait un simple retour au droit du commun semble malheureusement un objectif peu réaliste. En revanche, les aberrations actuelles imposent une réforme en profondeur de la CRM, dont le maintien sous sa forme et avec ses règles actuelles, participe à la fois d’une régression du droit et d’une discrimination des militaires dans la société française.

Une réformette facile à réaliser, mais peu satisfaisante.

Compétence

Les règles de compétence devraient être revues et précisées, afin de réserver à la CRM les contentieux mineurs. En cas de litige touchant à son avenir même dans l’institution militaire, le justiciable doit avoir accès à un juge dans les conditions du droit commun et non après passage devant un filtre discrétionnaire de l’administration. En particulier devraient être exclus de la compétence de la CRM : les contestations en matière d’avancement, les décisions d’ajournement ou de non-admission dans le corps des sous-officiers de carrière, tous les contentieux, dans lesquels le requérant soulève une exception d’illégalité d’un texte réglementaire.

En revanche, la compétence de la CRM pourrait être étendue aux sanctions mineures du premier groupe  (avertissement, réprimande, tours de consigne).

En cas de contestation de la compétence de la CRM, celle-ci devrait rendre une décision sur sa propre compétence dans un délai de quinze jours à réception du recours.

Composition

La composition de la CRM devrait s’orienter vers un paritarisme : un président, deux officiers, deux sous-officiers ou officiers mariniers, deux militaires du rang et le représentant d’une association désigné par le requérant. Les militaires siégeant à la CRM devraient appartenir à l’armée ou au service du requérant, ce qui garantirait une approche plus consensuelle de l’avis rendu par la commission. La tâche d’organisation serait un peu plus compliquée, mais c’est à ce prix que le ministère de la Défense pourrait présenter la CRM comme un outil efficace de gestion précontentieuse, respectueux des droits des militaires.

Délais

La pratique démontre que le délai de quatre mois est utilisé par les services gestionnaires et la CRM comme un moyen dilatoire, car des décisions interviennent régulièrement dans le sixième mois suivant la saisine de la CRM. Il convient donc  impérativement de revenir à un délai de droit commun de deux mois. En fait, le ministre aurait ainsi quatre mois effectifs pour statuer puisqu’il peut prendre une décision explicite avant la fin du quatrième mois de la saisine de la CRM.

Procédure

Une procédure réellement contradictoire devrait être mise en place et le requérant et/ou son conseil entendus s’il en est fait la demande.

Une ambition, digne du pays des droits de l’homme : créer une autorité indépendante

Ces propositions d’améliorations qui devraient être débattues par une commission ad hoc composée de membres du CSFM, de représentants d’associations professionnelles, d’avocats et de professeurs de droit ne permettront pas toutefois de changer la nature de la CRM, organe purement consultatif dans les mains du ministre et du ministère.

Si on veut modifier en profondeur la procédure du recours administratif préalable obligatoire, il faut créer une autorité indépendante : un médiateur militaire, baptisé « ombudsman » dans les pays du nord de l’Europe. Nous ne pouvons lire qu’avec beaucoup de scepticisme, voire d’ironie, la magnifique présentation faite par le Contrôleur Général Grollemund, à la deuxième conférence internationale des Ombudsmans militaires en avril 2010. Il suffit d’en citer l’ultime phrase pour mesurer le décalage entre le discours et la réalité décrite ci-dessus : « Aujourd’hui, la CRM est devenu (sic) un instrument de médiation, de régulation, et de démocratie. Il serait maintenant impossible de s’en passer, tant pour les militaires requérants que pour les juridictions administratives. ».

Antérieurement à la création du RAPO, le militaire pouvait contester directement une décision lui faisant grief devant une autorité indépendante : le juge administratif. Désormais, depuis 2001, le requérant, est soumis au bon vouloir du ministre par le biais de la CRM et de ses privilèges procéduraux exorbitants, avant que de pouvoir présenter son litige au juge. Il s’agit incontestablement d’une régression du droit. Pour faire cesser ce véritable « coup d’état » ; il faut redonner le pouvoir de décision à une autorité indépendante, dont les décisions seraient exécutoires.

Cette disposition n’empêcherait par le ministre et ses services de faire appel, voire de demander le sursis à exécution.

Pour que le médiateur militaire soit réellement indépendant, la durée de son mandat unique devrait être limitée à trois ans et la fonction ne devrait être confiée qu’à une personnalité (militaire ou fonctionnaire) définitivement à la retraite et en aucun cas à une personne ayant encore des objectifs personnels de carrière.

C’est à ce prix que le RAPO peut trouver une certaine légitimité.

L’Adefdromil va donc suivre avec beaucoup d’intérêt l’expérimentation décidée pour la fonction publique. Elle se tient à la disposition des syndicats de fonctionnaires pour rendre compte de la régression des droits des militaires à laquelle le RAPO militaire et la CRM ont conduit.

Lire la première partie

Un outil efficace de discrimination et de régression du droit : la Commission des Recours des Militaires. L’éclairage de l’Adefdromil sur dix ans de fonctionnement de ce…machin. (Par Jacques BESSY, Président, et Michel BAVOIL, Vice-président et fondateur de l’Association de Défense des Droits des Militaires.) Première partie.

Cette publication a un commentaire

  1. aerien-desabuse

    Bonsoir,

    La CRM est autant crédible, que la commission électorale russe qui a validé l’élection de Vladimir Poutine. La comparaison peut paraitre énorme mais dans les faits c’est pourtant très proche de la vérité. Comment voulez-vous que les DRH d’armées qui sont des états dans l’état voient leurs décisions remises en cause par de simples soldats.

    En tant qu’ancien lorsque nous avons des jeunes qui arrivent à l’unité, la première chose qu’on leur enseigne, c’est que la pieuvre DRH est toute puissante, et qu’il ne faut jamais remettre en cause ces décisions mêmes si elles sont illogiques ou aberrantes.

    J’attends également avec impatience la mise en place du fameux décret pour le jour de carence mis en vigueur pour les militaires et qui va à l’encontre du statut du militaire. Simple rappel : le militaire en maladie est en position d’activité, et en position d’activité le militaire touche sa solde normale.

    Messieurs de la CRM préparez-vous un afflux de dossiers arrivent.

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