LA CONDITION DES MILITAIRES DE L’ARMEE DE TERRE EN OPEX

Les unités de l’armée de terre sont plus fortement sollicitées pour les opérations extérieures que les autres armées.

Actuellement, environ 85% des forces déployées par l’armée française appartiennent à l’armée de terre.

Le taux de rotation est assez élevé, en particulier pour l’infanterie, où certaines compagnies effectuent parfois deux séjours de 4 mois en l’espace d’un an.

Ce taux élevé d’emploi montre les limites du système actuel et le danger des décisions politiques de réduire le format des armées, alors que, dans le même temps, le pouvoir politique veut déployer des troupes au Darfour et renforcer la présence militaire française en Afghanistan, pour marquer à la fois la participation à la construction européenne, et un soutien actif accru à l’Otan.

Nos forces sont donc clairement sous dimensionnées par rapport à ce que nous demande le pouvoir politique, qui doit donc faire preuve de cohérence, et donner aux armées les moyens suffisants pour réaliser leur mission. Soyons conscients que nous ne sommes pas capables actuellement de mener dans la durée une opération importante en combat de haute intensité, et que nous ne sommes pas davantage préparés à un engagement majeur avec des pertes importantes dans nos rangs.

Les conditions de vie en Opex sont globalement satisfaisantes lorsque le dispositif est déployé depuis des années. Par contre, la période initiale allant jusqu’à 2 ans est généralement critique : logistique insuffisante, manque de financement pour les équipements assurant un minimum de confort dans la vie courante (logement, blocs sanitaires, climatisation, accès Internet).

Ces difficultés pour améliorer la condition du personnel sont également liées au manque de moyens de transport stratégique (avions, cargos de grande capacité).

 Les soucis majeurs concernant le contexte des opérations sont :

– Les matériels majeurs vieillissants, voire obsolètes

– La maintenance insuffisante

– Un entraînement insuffisant par manque de ressources (disponibilité des matériels majeurs, munitions)

  Matériels

La disponibilité moyenne des matériels majeurs est correcte en opérations, car tout l’effort de la chaîne maintenance est orienté prioritairement vers les Opex, en particulier les pièces détachées. Par conséquent, les ressources disponibles en métropole sont très réduites, entraînant une disponibilité moyenne des matériels majeurs réduite à 40 % environ.

Pour le parc des chars Leclerc, cette disponibilité technique est d’environ 25 % avec un matériel récent ! (110 chars disponibles sur 400). L’armée de terre a pris récemment des mesures drastiques pour limiter l’entraînement des unités blindées équipées de chars Leclerc, qui ne peuvent plus actuellement préparer leurs missions futures dans des conditions satisfaisantes.

Les parcs de blindés à roues et de transport de troupes chenillés connaissent également des problèmes majeurs de maintien en condition  tels la rénovation lente et coûteuse des engins et le manque de pièces.

De plus, les engins blindés indispensables à l’entraînement au tir des troupes se préparant pour l’Afghanistan seraient indisponibles.

Les hélicoptères de transport Puma et les hélicoptères armés Gazelle datent du début des années 1970, et les hélicoptères futurs (Tigre et NH 90) ne sont pas d’actualité, faute de financement. L’expérience des théâtres d’opérations comme la Côte d’Ivoire et l’Afghanistan montre l’importance de ces matériels, indispensables pour l’appui, le soutien et la survie des troupes engagées.

 Maintenance

Logiquement, la priorité de la maintenance est donnée aux troupes engagées en opération. Cependant, les moyens sont tellement restreints (manque de pièces détachées en métropole, manque de personnel, civilianisation à outrance des ateliers de maintenance entraînant une perte d’efficacité opérationnelle) que les conséquences sur la préparation opérationnelle des unités sont dramatiques.

En effet, les régiments n’ont plus les moyens de s’entraîner en métropole avec une quantité suffisante de matériels majeurs, et doivent donc regrouper le peu de matériels disponibles pour pouvoir entraîner à tour de rôle chacune de leurs unités subordonnées.

Ces difficultés ont conduit l’armée de terre à regrouper les matériels majeurs dans des parcs centralisés, en en mettant une partie importante en stock, pour tenter de réaliser des économies en retirant du service courant une partie des matériels des unités opérationnelles. De fait, dès l’été 2008,celles-ci vont se trouver largement démunies, et ne pourront plus s’entraîner de manière satisfaisante.

Les difficultés rencontrées pour l’entretien des matériels et la fourniture de pièces détachées sont essentiellement liées à des ressources budgétaires insuffisantes, réduites un peu plus chaque année, le budget de la Défense servant systématiquement de variable d’ajustement dans les arbitrages budgétaires.

 Entraînement

Les unités, en particulier l’infanterie et certaines spécialités techniques, sont très sollicitées par les Opex, alors que le temps consacré à la remise en condition et à l’entraînement en métropole est parfois trop court.

La seule solution rationnelle serait d’augmenter les effectifs  afin d’éviter la « surchauffe » dans certaines unités ; à défaut, seule une décision politique pourrait revoir à la baisse notre engagement opérationnel.

Toutefois, il faut noter le déficit d’officiers dont souffrent les Etats-majors opérationnels, de l’ordre de 10%.

De plus, la faible disponibilité des matériels majeurs ne permet pas de s’entraîner suffisamment, ni de manière cohérente. Les munitions d’entraînement sont en quantité insuffisante, en métropole comme sur les théâtres d’opération.

 Divers

Les engagements récents, comme l’Afghanistan,  montrent la nécessité de s’adapter rapidement à de nouvelles menaces : ennemi furtif, agressif, parfois insaisissable et noyé parmi la population ainsi que l’ utilisation de procédés terroristes.

Nos soldats étant particulièrement exposés, il devient nécessaire de repenser leurs équipements afin de mieux les protéger : treillis adaptés, équipements de protection individuels, adaptation de l’armement léger au combat courte portée, renforcement du blindage des véhicules, armement en tourelle téléopérée de l’intérieur des blindés légers.

Malgré l’indisponibilité manifeste de ces équipements, nos soldats sont envoyés au front dans des conditions peu satisfaisantes. La comparaison dans ce domaine avec les principales armées occidentales -bien mieux équipées- montre bien le dénuement de notre armée de terre.

Ces « petits équipements », en terme de marché, sont indispensables pour nos soldats au combat, mais ne constituent pas la priorité des services spécialisés dans les acquisitions de matériels ou de passation de marchés d’équipements, alors qu’ils constituent l’urgence pour la vie de nos soldats !

A ce sentiment général de manque de cohérence entre les ambitions affichées en haut lieu et la réalité du terrain s’ajoute les difficultés rencontrées dans toutes les catégories dans le domaine de la gestion du personnel (réforme des statuts, orientation de carrière…).

 Les unités opérationnelles s’entraînent et remplissent donc leurs missions dans des conditions de plus en plus difficiles, qui laissent entrevoir, si des mesures fortes ne sont pas prises, une paupérisation de l’armée de terre française.

 

                                                                                         Renaud Marie de Brassac

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