L’armée de l’air démotive ses personnels …

La toute première chose que je demanderais au ministre, si je pouvais le faire, c’est la chose suivante : A la mise en place de l’armée professionnelle, vous avez décidé de favoriser les carrières courtes, en particulier en revalorisant une prime au départ, qui encouragerait au départ des militaires à qui il resterai peu de temps de service à effectuer avant de toucher une pension à jouissance immédiate. Aujourd’hui, après avoir passé 10 ans et 3 mois dans l’armée de l’air, je rentre dans l’éducation nationale, et je dois rendre cette prime, pourquoi ? D’autre part, les militaires ne sont pas reclassés lorsqu’ils rentrent dans une administration. Cela signifie, en d’autres termes, que l’Etat considère que les années passées au service de la nation n’ont aucune valeur. Pour quelqu’un qui a tout de même risqué sa vie pour son pays, c’est difficile à avaler.

Parlons un peu des armées : difficile de décrire rapidement un tel état de délabrement. Le plus simple me semble encore de dire pourquoi j’ai quitté l’armée : Lorsque je me suis engagé, en 1990, j’attendais de l’armée un certain nombre de choses : Apprendre un métier (j’ai choisi d’être mécanicien avion). Participer à une ambiance de travail dynamique sur du matériel de haut niveau technique. Evoluer au sein d’une institution qui récompenserait un serviteur fidèle. Après une formation militaire et technique riche en enseignements, j’ai été affecté dans une unité des Forces Aériennes Stratégiques (escadron Aunis 01/93) où j’ai pu m’investir dans un travail intéressant, nécessitant une forte autonomie et un haut niveau technique, au sein d’une équipe de passionnés d’aéronautique, composée d’excellents professionnels toujours prêts à se perfectionner. Cette idylle a été de courte durée. Je me suis rapidement aperçu, les plus compétents de mes collègues partant les uns après les autres, que l’armée était loin de récompenser ses éléments actifs. Cette première constatation me fit délaisser l’objectif de passer le concours d’officier.

En effet, la carrière d’un officier ne dépend pas (ou très peu) de ses compétences et de son engagement, mais essentiellement de son mode de recrutement. Les « direct » sont promis à un bel avenir (même complètement incompétents), tandis que les ORSA sont cantonnés à des rôles subalternes peu reluisants, et ne sont susceptibles d’aucune évolution. Entre les deux, la carrière potentielle d’un EMA (sous officier passant par l’école de l’air) plafonnera, au mieux, au grade de colonel. Je décidais donc de suivre des cours du soir, pour avoir la possibilité de quitter l’armée.

Bien m’en a pris. A la suite de réductions budgétaires successives, l’escadron fut dissous, et les mécaniciens rattachés à une unité jusqu’à là spécialisée dans les grosses opérations d’entretien ou de dépannage. L’ambiance de résignation qui règne dans cette unité, due à une hiérarchie omniprésente aux compétences douteuses est aujourd’hui largement répandue dans l’armée de l’air (il n’est pas rare de recevoir des ordres et contre ordres entraînant des opérations qui durent parfois toute la nuit, ou de recevoir des ordres qui sont techniquement idiots).

Cette incompétence apparente vient tout simplement du fait que les officiers n’évoluent pas dans un système qui favorise les compétences et le dévouement. Le système de fonctionnement des unités n’est plus adapté aux conditions actuelle. Un commandant d’unité (un « direct », donc) arrive pour deux ans. Certaines unités ont plus de 500 personnes (c’est le cas de l’ESTS à Istres).

Ce même commandant quand il part doit présenter un bilan positif au sens des directives de ses supérieurs, quelles sont-elles ? 1) réduction de budget 2) maintien ou augmentation de la disponibilité opérationnelle des avions 3) Plus toutes les directives rajoutées au passage à chaque étape de la haute hiérarchie militaire. 4) Il doit en plus effectuer une ou deux transformations dans l’unité pour compléter son CV. Il a donc 2 ans pour connaître son personnel, évaluer le fonctionnement de son unité, imaginer des évolutions, les mettre en place, et évaluer leur impact.
Comme c’est impossible, il délègue les tâches de fonctionnement à ses subalternes (dont on a vu qu’ils n’obtiennent pas leur poste en fonction de leurs compétences), et se contente généralement d’effectuer 1 ou 2 aménagement de forme, de créer un groupe « qualité » ou de formation, ce qui est du meilleur effet sur un bilan bien présenté. Quand à la disponibilité des avions, il suffit de faire pression sur un chef de service menacé de mutation pour que celui-ci décide de raccourcir ou de ne pas effectuer certaines opérations de maintenance, pousse les mécaniciens à bâcler leur travail, ou déclare disponible un avion encore monté sur vérins.

Cette politique locale est en plus alourdie par chaque étage de la hiérarchie interne à l’unité, chaque officier cherchant également à innover pour que lui-même, suivant l’exemple de son chef, puisse présenter un certain nombre de réalisations personnelles qui ne visent pas une quelconque efficacité, mais simplement un caractère esthétique. Les conséquences sur le plan technique sont catastrophiques et mettent sérieusement en cause la sécurité des vols.

Sur le plan humain, cette situation, plutôt difficile à accepter pour un mécanicien s’il est consciencieux, génère deux types de réaction : soit il quitte l’armée (s’il s’est donné les moyens de le faire), soit il demande sa mutation, soit il reste (pour payer sa maison et faire manger ses enfants, c ‘est le cas pour la plupart), et devient, au minimum, aigri. Et pourtant, quel gâchis ! Si j’en juge par les gens avec lesquels j’ai travaillé, le recrutement dans l’armée fonctionne bien. Les gens sont en général motivés (au moins au début), de toute façon dévoués, ont un sens du civisme particulièrement développé.

Peu d’entreprises ont des employés qui travaillent toute une nuit sans être payé, qui passent 45 jours sous une tente en plein désert ou qui passent les fêtes de Noël « en opération ». J’ai quand même quitté l’armée sans être aigri, mais si j’écris cela aujourd’hui, au delà de ma situation personnelle en butte avec un Etat pour le moins ingrat (mon reclassement), c’est parce que je pense à tous mes anciens collègues dont certains sont particulièrement dévoués et compétents, et qui risquent un jour de ne plus croire en rien.

De plus, le mouvement des gendarmes, qui n’a à mon sens surpris que ceux qui ne connaissaient rien à la vie de tous les jours dans les armées, m’a fait comprendre qu’il ne fallait pas compter sur nos institutions pour défendre les militaires. Je tiens à préciser que mon dossier militaire est irréprochable. Ces éléments n’engagent que moi, ils représentent ce que j’ai vécu au sein de l’armée, et c’est évidemment une vision partielle d’un mécanicien de l’armée de l’air.

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