Le suicide chez les policiers et les militaires

Quand les policiers craquent… (Extrait du journal Le parisien du 13 février 2008)

Suicide. Depuis début janvier, neuf policiers se sont donnés la mort, le plus souvent avec leur arme de service. Des drames qui révèlent que cette profession est très exposée au stress et à la violence. Ils sont de plus en plus pris en, charge par leur hiérarchie.

« Nous sommes confrontés au côté le plus sombre de la vie. On ne peut jamais l’accepter complètement, mais il faut s’y faire, sinon… ». Ce policier qui n’achève pas sa phrase est comme beaucoup de ses collègues : il aborde la question du suicide des policiers avec la plus grande prudence. Depuis le début de l’année, neuf fonctionnaires de police se sont donné la mort. Le chiffre n’est pas alarmant au strict point de vue statistique. Mais il est quand même un indicateur important de l’état d’esprit d’une profession très exposée qui compte chaque année une cinquantaine de suicides. « C’est un métier atypique qui focalise la pression, admet Olivier Boisteaux, le responsable du Syndicat indépendant des commissaires de police. Mais le passage à l’acte qui est facilité par la possession d’une arme est difficile à cerner. » Même son de cloche chez Nicolas Comte du SGP-FO : « Ces actes ne sont pas neutres mais il est compliqué d’en parler en une phrase. Les policiers sont confrontés aujourd’hui à des difficultés de vie qui viennent s’ajouter à une situation professionnelle déjà particulière. »

Da.D.

« J’avoue avoir pensé au suicide »

(Extrait du journal Le parisien du 13 février 2008)

Marc LOUBOUTIN, ancien policier

Agé de 44 ans, Marc Louboutin en a passé dix-sept dans la police. Cet ancien officier, devenu photographe et écrivain, a raconté dans un livre (1) les réalités d’un métier choisi par vocation. Il nous parle sans concession de ce sujet sensible.

Ces suicides s’expliquent-ils en partie par la spécificité de ce métier ?

Marc LOUBOUTIN. Oui. Les policiers sont plus exposés. Le flic, c’est un éboueur social. Confronté à tout ce qui va mal dans la société, il évolue dans un univers violent sans y être préparé. En contact permanent, direct et sans artifice avec la mort et la misère, les flics sont comme une digue qui recevrait sans cesse les chocs d’une houle puissante. Ce métier use un homme de l’intérieur. La proximité avec la mort la désacralise. On a son arme en permanence avec soi. Il existe une pression importante. Le grand mot est d’« être efficace », l’activité est basée sur le quantitatif. Beaucoup de flics ne s’épanouissent plus dans leur job. Si des problèmes personnels, liés ou pas au boulot, viennent s’ajouter, le flic est plus vite tenté par une solution radicale.

Connaissez-vous des policiers qui ont mis fin à leurs jours ?

J’ai perdu une dizaine de collègues, certains très proches. Quitté par sa femme, l’un d’eux a tué ses enfants avant d’en finir. Il y a aussi cet officier des Yvelines qui s’est suicidé chez lui parce que sa hiérarchie l’avait poussé à bout. Paradoxalement, ce sont les gars qui s’investissent le plus qui sont les plus fragiles.

Et vous, y avez-vous songé ?

Oui, j’avoue y avoir pensé sérieusement. J’avais participé à l’arrestation d’un grand braqueur, mon dossier était bon, je devais partir à la BRB . Résultat, on m’a envoyé à Belleville. Puis j’ai bossé avec des collègues plus que limites, mais c’est moi qu’on a sanctionné. J’avais 27 ans, ma situation professionnelle n’était pas extraordinaire, même si je travaillais beaucoup. Mon couple a d’ailleurs éclaté. Je dormais dans mon bureau, je ne voyais plus ma môme. On entre dans un engrenage, on ne trouve pas de porte de sortie.

« Un kilo cinq cents grammes de pression sur la détente et ce cirque absurde était fini… »

Vous avez donc imaginé en finir…

Oui. Je passais de longs moments à fixer mon révolver. Là devant moi. Je passais du temps à le charger et le décharger, mon calibre. Je me répétais : « Pourquoi pas ? » Un kilo cinq cents grammes de pression sur la détente et ce cirque absurde était fini…Ce sont les collègues qui m’ont permis de reprendre pied. Les flics sont solidaires entre eux. Puis j’ai été muté en province, ça a été salutaire.

Comment prévenir les passages à l’acte ?

Il faudrait révolutionner l’encadrement. A mon sens, globalement, la hiérarchie s’en fout. On n’a pas le sentiment d’être clairement soutenu.

Propos recueillis par Geoffroy Tomasovitch

(1) Métier de chien, lettre à Nicolas » Editions Privé

57 psys dans toute la France (Extrait du journal Le parisien du 13 février 2008)

Les difficultés des policiers, Eliane Theillaumas connaît. Cette psychologue est à l’origine de la création du service de soutien psychologique opérationnel (SSPO) de la police nationale en 1996. A l’époque, la « grande maison » avait dû faire face à une vague de suicides inquiétante dans ses rangs. Douze ans plus tard, elle est toujours à la tête de cette structure qui compte aujourd’hui 57 psys sur toute la France et qui accueille et écoute chaque année plus de 10 000 fonctionnaires de police.

« Ils n’ont aucune crainte à avoir. Ils peuvent vider leur sac »

Lorsqu’on évoque avec elle le problème du suicide, Eliane Theillaumas est prudente : »on oublie souvent que, derrière les statistiques, il y a des humains avec leur histoire personnelle. Trop médiatiser les suicides, c’est les banaliser et encourager un phénomène d’identification de la part des autres policiers. » Pour autant, et même si ces fameuses statistiques démontrent qu’on ne se suicide pas plus chez les policiers que dans le reste de la population, Eliane Theillaumas admet que « la profession de policier est par définition difficile. Ainsi par exemple, les fonctionnaires de sécurité publique arrivent à chaud sur des évènements dramatiques, comme des accidents de circulation. C’est leur réalité et elle contraste parfois avec l’image un peu idéale qu’ils pouvaient se faire du métier à travers leurs rêves ou les séries télévisées. S’ils ne sont pas assez souples, ils peuvent en souffrir terriblement. »

Au SSPO, les policiers sont accueillis dans la discrétion. « Ici, on ne juge pas et surtout on n’évalue pas. Ils n’ont aucune crainte à avoir. Ils peuvent vider leur sac », ajoute Eliane Theillaumas. Du coup, les réticences du début ont presque totalement disparu : « C’est surtout la hiérarchie qui a pris ce problème en compte. Elle est de plus en plus impliquée. Avant on restait dans le non-dit et sur l’image du flic indestructible. Aujourd’hui, tout le monde a compris qu’il fallait une écoute dans une société qui ne prend plus le temps d’écouter grand monde »

Damien Delseny

Les gendarmes aussi (Extrait du journal Le parisien du 13 février 2008)

Chez les gendarmes, on les appelle les « conduites auto-agressives ». Les suicides et tentatives de suicide n’épargnent pas les casernes. Selon Michel Bavoil, ancien officier président de l’Association de défense des droits des militaires (Adefdromil), 34 gendarmes se sont donnés la mort en 2000 tandis que 67 tentaient de mettre fin à leurs jours. Une tendance confirmée par les résultats d’une surveillance épidémiologique menée entre 2001 et 2005 qui font état de 332 suicides dans les armées sur cette période, dont un tiers en gendarmerie. Pour autant, il est très difficile d’établir la cause réelle de ces suicides. « Il est évident que la hiérarchie cherche souvent à les camoufler, assure Michel Bavoil. Il faudrait que les enquêtes soient confiées à la police et inversement. Quant au recours au psy, il reste tabou car, pour nous c’est synonyme d’inaptitude au service. »

V.B .

Conduites Auto-agressives chez les militaires

De 1990 à 2000, il y a eu dans la gendarmerie 983 conduites auto-agressives réparties ainsi : 645 tentatives de suicide et 338 suicides. Pour cette période, c’est l’année 1993 qui a été la plus marquante avec 41 suicides.

Entre 2001 et 2005, les armées ont subi 332 suicides et environ un millier de tentatives de suicides. Ces chiffres émanent d’un document du Service de santé des armées réalisé suite à une surveillance épidémiologique de l’Ecole du Val-de-Grâce sur la période considérée.

De ce document, il ressort que les hommes se suicident deux fois plus que les femmes. L’arme à feu est utilisée dans 44,9% des suicides, notamment dans la Gendarmerie. La mort par pendaison représente quant à elle 39,7%.

Pour 100 000 personnes, les taux de suicides sont les suivants :

Gendarmerie : 27,1% ; Armée de terre : 19 ,7% ; Armée de l’Air : 14,1% Marine nationale : 13,2%

Le ratio de la population civile est d’environ 19 suicides pour 100 000 personnes.

A noter que durant la période 2001/2005, 59 suicides ont eu lieu sur les sites militaires. Ils sont le fait très souvent de difficultés d’adaptation au milieu militaire, c’est-à-dire de différents avec la hiérarchie.

Pour la seule année 2001, année des manifestations de gendarmes dans la rue, 46 gendarmes se sont donnés la mort. Est-ce un hasard ?

Tout comme les policiers, les gendarmes vivent en permanence une situation de stress. Ils sont régulièrement confrontés à des faits divers traumatisants : accidents de la route, meurtres, suicides, noyades etc.…Ils traversent comme tout un chacun des crises personnelles (divorces, mésententes familiales, disparition d’un être cher, problèmes financiers…). Certains répugnent à suivre une thérapie par crainte de voir leur carrière remise en cause par le psychiatre militaire pour difficultés d’adaptation au milieu militaire, d’autres appréhendent le retrait de leur arme de service, la compromission de leur avancement ou tout simplement le regard du chef et des collègues.

Pour pallier ces craintes, il faudrait réfléchir à la mise en place d’une structure non culpabilisatrice ayant pour effet d’éloigner les gendarmes de la situation pathogène dans laquelle ils se trouvent momentanément. En juillet 2007, un gendarme mobile particulièrement fragile avait ainsi été désarmé par ses chefs à la suite d’un différend avec un de ses supérieurs et d’un comportement irrationnel. Faute d’être orienté vers une structure de soutien, il a mûri sa vengeance pendant plusieurs mois et après s’être procuré une arme, il est passé à l’acte. Bilan : 4 morts dont le militaire qui s’est suicidé après avoir tué son supérieur et ses deux enfants.

Renaud Marie de Brassac

À lire également