Mort accidentelle d’un gendarme à la Guadeloupe

Mort accidentelle d’un gendarme à la Guadeloupe

(FRANCE SOIR mercredi 22 février 2006)

« On a tué un blanc »
Des propos racistes ont accueilli le décès du militaire percuté par une moto

Sur le bitume comme dans les têtes il fait chaud, ce dimanche 12 février sur l’île de Saint-Martin dans l’archipel nord de la Guadeloupe, un confetti à 250 km de Pointe-à-Pitre que la France partage avec les Pays-Bas Ils ne sont que deux gendarmes de la brigade de Marigot pour s’opposer à un « run », une course sauvage de jeunes motards lancés à pleine vitesse sur les petites routes de l’île.

Jusque-là, ces courses folles se disputaient sur la ligne droite de Grand Case, le dimanche matin. Mais depuis l’installation d’un ralentisseur c’est la ligne droite de Bellevue entre la frontière avec la partie néerlandaise de l’île et l’entrée de Marigot la française, qui accueille les furieux de l’asphalte.

Il est 7h45. A la hauteur du stade de rugby des Arawaks, Raphaël Clin, un gendarme de 31 ans, auparavant en poste à la BT de Grenoble, s’avance au milieu de la chaussée, barrant la route à la horde mécanique. Mais l’homme qui déboule à 180 km/h sur sa puissante moto ne fait pas mine de s’arrêter. A-t-il seulement eu le temps de voir la silhouette bleue qui lui fait signe de s’arrêter ?

Percuté de plein fouet, Raphaël Clin va agoniser sur le sol sans que personne, sur la quarantaine de personnes présentes ne daigne seulement appeler les secours. Au contraire, des insultes, des cris vengeurs fusent : « Crève ! » « Mort aux blancs ! » La tension est telle que son collègue doit se soucier de mettre à l’abri l’arme de service de Raphaël avant que quelqu’un n’ait l’idée de s’en servir contre lui… Lorsque l’ambulance arrive, les médecins du SAMU évacuent le militaire sous les applaudissements de la foule.
« Lorsque je suis arrivée à l’hôpital, raconte son épouse, Stéphanie, il y avait plein de monde. Des gens de la famille de ce chauffard. Ils injuriaient les gendarmes et quand on nous a dit que mon mari était mort, ils avaient tous le sourire. Ils criaient : « victoire ! On a tué un gendarme ! on a tué un blanc ! » Et pourtant, Raphaël était un modèle d’intégration, un des rares gendarmes blanc à parler le créole. Même à Sandy ground, les jeunes lui disaient : « T’es bien, le blanc ! » Voilà dans quelle souffrance il est parti… Bravo le racisme ! lui qui ne savait même pas ce que ce mot voulait dire… »

Les gendarmes ne cachent pas leur malaise : « Tout le monde doit savoir que nous ne sommes pas venus au paradis, explique la voisine des Clin, elle aussi mariée à un militaire. Tout le monde doit savoir comment la gendarmerie travaille ici, dans quelles conditions. » Depuis le drame, un gamin de douze ou treize ans l’a traitée de « salope » à travers le grillage d’enceinte de la brigade. Peu bavard d’ordinaire, son mari craque : « Depuis dimanche nous vivons un véritable cauchemar. De suite, j’ai pensé, comme beaucoup de mes camarades ici, à partir pour que mon épouse n’ait pas à subir un jour la même détresse et la même colère que Stéphanie. On va se battre avec elle pour la mémoire de Raf, puisqu’il ne nous reste plus que ça… » Le groupement aurait d’ailleurs proposé à tous les personnels qui le souhaitent de rentrer en métropole.
Inhumé dans la Sarthe, le gendarme Clin a été décoré à titre posthume de la médaille militaire. Maigre consolation pour sa petite Inès, qui, à 4 ans, n’a plus de papa.

Philippe Bouvier

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