Le Clemenceau : par les 20e hilarants, les 30e grinçants et les 40e rugissants

Le porte-amiante Clemenceau, avec ses ronds dans l’eau, fleuron des muets de la Grande Muette, est devenu le plus éloquent des bavards. Il en dit long sur l’aptitude à gouverner.

Il y eut d’abord la gestion médiatique de l’horrible affaire de ce civil braqueur-assassin coupeur de routes, l’Ivoirien Firmin Mahé, tué de sang froid par un militaire français. A mettre en parallèle avec l’ignoble agonie à connotation raciste anti-gendarme-blanc, du major de Gendarmerie Raphaël Clin, une affaire pour laquelle l’Hôtel de Brienne se montre plus discrète. Deux poids, deux mesures, ce n’est pas nouveau.

Il y eut ensuite cette logorrhée ministérielle pour masquer le passage en force de l’ex porte-avion Clemenceau au travers de la Convention de Bâle.

C’est toujours une satisfaction de fin gourmet que de comparer ces deux affaires qui ne sentent pas bien bon.

Du côté de la prétendue vertu, on profite d’un dérapage inacceptable inhérent aux opérations réflexes du terrain pour se hausser du col. En montrant à la France du 20 heures de quel bois se chauffe le Ministre du pôle d’excellence et des valeurs de la Défense. Fermez l’ban !

De l’autre, dans le confort d’un Palais ministériel, avec du temps pour écouter les juristes, une gestion calamiteuse de l’affaire du Clemenceau. En montrant au monde entier qu’en terre de France, pays donneur de leçons d’écologie à la terre entière, pays de la repentance forcée, actuellement pour faits d’esclavagisme, on peut prendre quelques libertés avec ce pôle d’excellence. Et déverser ses poubelles toxiques sur les esclaves des temps modernes que sont les misérables aux mains nues des « chantiers navals » d’Alang.

Quel discours évolutif entre les certitudes initiales sur le zéro défaut de l’opération, et la piteuse retraite consistant à se refaire une virginité sur le mode « Comme je l’ai dit depuis le départ (comme ressenti, les certitudes initiales affichées au 20 heures étaient trop souriantes pour être honnêtes) nous attendons les décisions de justice et nous suivrons les décisions de justice« . On est en droit d’attendre que toute décision se fonde sur un dossier bétonné, et non sur des décisions de justice à venir. Comme pour Poncet.

Entêtement et obstination coûteuse caractérisent « cette connerie », selon le Chef des Armées.

Dès avant son départ de Toulon, chacun savait ce que reproche le Commissaire du Gouvernement du Conseil d’Etat : « Aucun rapport, aucun inventaire, aucun diagnostic amiante ne figurent au dossier. Sur ce point capital, qui détermine la qualification de déchet dangereux, et par suite l’interdiction d’exportation, les écritures de l’administration ne répondent pas aux requérants », souligne Yann Aguila, pour qui « le silence des mémoires de l’Etat (…) est tout de même très éloquent« .

Ce qui n’empêchait pas les hérauts de la Défense de vanter un véritable dossier-pilote, basé sur un processus innovant, respectueux de la protection des travailleurs et de l’environnement, le démantèlement de l’ex porte-avions constitue une avancée concrète dans le traitement des navires en fin de vie ! Défense de rire.

Chacun savait mais personne n’écoutait. Ce sera donc le Canal de Suez et son bakchich, le périple en Océan Indien, puis Le Cap et Brest. 7 millions d’Euros. Sans compter naturellement ce que va coûter l’extraction et la neutralisation de l’amiante du navire. Et son démontage.

La défausse n’est pas mal non plus.

Défausse sur 5 années de socialisme pendant lesquelles le Clem resta en déshérence !

Sur le Ministère des finances, propriétaire de la coque Q790 de l’ex PA soudainement redevenu civil, alors qu’on le prétendait, bien que démilitarisé, toujours militaire. Cette nuance, pour ne pas tomber sous le coup de la Convention de Bâle, relève tout simplement de la malhonnêteté intellectuelle.

Sur de prétendus intérêts industriels. Peut-être ceux de Technopure, société de désamiantage clouée au pilori, bien qu’ayant bénéficié d’un bonus de +3% pour travail bien fait.

Défausse encore, au sujet de l’audition qui doit se dérouler à huis clos devant certains Parlementaires « sur la demande de Michèle Alliot-Marie », alors que toute l’opposition l’a exigée. En parlant même de démission. Il est vrai qu’elle n’a que ce mot à la bouche pour les ministres en exercice.

Cette affaire montre que la Défense ne conduit pas à un destin. Tout y est trop facile.
Pour un Premier Ministre, un Ministre de l’intérieur, de l’Education nationale ou pour les chefs de partis, voire un Président qui veut rempiler, la course à l’Elysée est un chemin semé d’embûches. Chausse-trapes, tomates, pancartes, pluie d’objets variés et avariés, quolibets et sifflets, quand ce ne sont pas crachats, ont valeur d’argumentaire dans notre belle démocratie.

« Dans le civil », toute prise de décision à incidence sociale exige une prudence de lynx de la part du Ministre qui s’y colle. La moindre retouche sociale sur la partie émergée de l’iceberg doit passer sous les fourches caudines des gréviculteurs. Sinon c’est le verdict de la rue. Ce parcours du combattant tanne le cuir du futur homme d’Etat.

Sur ce plan, être à la Défense est un parcours de santé. Il incite à la facilité. A chaque déplacement le chemin aux bordures blanches ripolinées du matin est bordé de plantons rutilants. Les étoilés huilés de frais saluent sans grincement. Pas plus que ne grince la drisse des couleurs que l’on lève, car l’huile ne manque pas. Avec tout ce qu’il y a à faire passer, l’huile ne doit jamais manquer. Quelquefois un sifflet détonne dans cette sinécure. Mais c’est celui de la Royale, tradition et insigne honneur.

A-t-on jamais vu un Ministre de la Défense se frotter à la rue ? Bref la Défense ne prépare pas l’homme d’Etat.

Aussi peut-on se laisser aller et commettre :

Un Statut des Militaires d’un autre âge, dit « nouveau » et présenté, faute de contradiction possible, comme la petite merveille du millénaire. Ce qui fait bien sourire la Capitaine, chef du Syndicat de la Bundeswehr, notre voisine.

Une affaire Poncet, surmédiatisée sans contradiction possible pour la plus grande gloire du Ministre.

Mais quand il s’agit d’une affaire comme celle du Clem, la contradiction du citoyen est possible. Le masque tombe. La sanction est immédiate.

Pour terminer, le best of.

Il existe une instruction ministérielle sortie après l’affaire Poncet qui impose aux militaires de refuser d’obéir à tout ordre prescrivant d’accomplir un acte manifestement illégal ou contraire aux règles du droit international applicable dans les conflits armés ainsi qu’aux conventions internationales en vigueur en France. La Convention de Bâle en est une.

Imaginons que pour le remorquage du Clem, un pacha militaire s’en réfère pour refuser la mission. On devine assez la suite de sa carrière du côté des bateaux-mouches et autres bateaux-lavoirs…

Ceci montre l’inanité d’une pareille instruction, en l’absence d’un organisme de défense des droits des militaires, indépendant de la hiérarchie, tel l’Adefdromil.

A la suite de l’affaire Poncet, MAM estimait fort justement que « reconnaître publiquement une faute, c’est aussi souligner sa rareté » puis, pour mieux anesthésier ses troupes, lançait doctement « Je suis sûre que l’armée française est sortie grandie de ses épreuves ». L’absence de toute contrition pour cette saga du Clem fait craindre le pire. Et ne grandit pas beaucoup.

En janvier, certains voeux à la presse s’étaient transformés en un véritable discours de politique générale. Avec cet argument : «Ce que nous faisons au ministère de la Défense, il est possible de le faire ailleurs.». Ce n’est pas très rassurant pour l’avenir.

Un souhait pour conclure :

Que Dieu et Marie fassent que le Clem ne sombre pas au passage du Cap de Bonne Espérance, là où vents et tempêtes des 40e rugissants peuvent être terribles. Personne n’y croirait.

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