(Article paru dans le Républicain Lorrain du jeudi 12/01/2006)
Deux adjudants de la Brigade de renseignement, basés à Metz, assignent leur supérieur en justice pour «harcèlement moral». Une première, au sein de «la Grande Muette», où la subordination hiérarchique fait figure de dogme.
Deux sous-officiers de la Brigade de renseignement, dont l’état-major est basé à Metz, viennent d’assigner leur commandant de groupement en justice pour «harcèlement moral». Ces deux adjudants s’estiment «placardisés depuis des mois, affectés à des «tâches subalternes, voire ridicules», «isolés de leurs collègues» et «systématiquement humiliés» depuis qu’ils ont «osé» exercer leur droit de recours suite à une punition prise à leur encontre et «dénuée», selon eux, «de tout fondement». Leur avocat, Me Xavier Iochum, a saisi le tribunal d’instance de Metz sur le fondement de l’article 1382 du code civil, lequel oblige quiconque commet une «faute» et «cause un dommage à autrui» à le «réparer».
«Le statut spécifique des militaires ne fait pas référence au harcèlement moral, contrairement au statut général de la fonction publique ou au code du travail, qui le mentionnent (lire par ailleurs). C’est pourquoi nous avons mis directement en cause la responsabilité du supérieur hiérarchique, considérant qu’il avait commis une faute personnelle détachable du service», précise Me Iochum. 7 500 Euros de dommage et intérêts sont réclamés à ce lieutenant-colonel, au titre du préjudice moral. «La carrière de mes clients est gravement atteinte, leur réputation professionnelle, excellente jusqu’à ce jour, injustement ternie», estime l’avocat. Qui verse au dossier les bulletins de notation des deux adjudants, tous «excellents», et une dizaine d’attestations de collègues officiers et sous-officiers, témoignant de leur «intégrité morale» et dénonçant l’«acharnement» exercé contre eux.
Des anciens du Kosovo
Tout commence en février 2005, au Kosovo, où les deux sous-officiers sont en «Opex» (opération extérieure). Alors qu’ils circulent à bord d’un «P4», leur véhicule tout terrain, victime d’une crevaison, verse au fossé. «On a d’abord laissé entendre qu’ils avaient bu, affirmation qui n’est corroborée par aucun élément matériel», s’indigne Me Iochum. «Cet accident n’a entraîné aucune réparation», ajoute-t-il. Quatre mois plus tard, pourtant, les deux militaires sont sanctionnés pour «négligence ou imprudence» et pour s’être abstenu de «rendre compte». Quinze jours d’arrêt. Annulée une première fois pour vice de forme, la sanction a été confirmée par le commandement. Un recours est en instance devant le tribunal administratif.
«à présent, mes clients vivent un calvaire», témoigne l’avocat des deux sous-officiers. Privés de détachement à l’étranger, isolés dans un bureau où l’un d’eux est occupé à rembobiner des cassettes vidéos, ils sont, selon le témoignage d’un de leurs collègues, «totalement mis à l’écart» alors que leur qualification est «très recherchée». «Le chef du groupement les a traités en pleine réunion d’«indésirables» et de «pestiférés». On leur a dit qu’on allait «briser leur carrière» et une procédure de mutation d’office est en cours», témoigne la même source. «Mes clients ont tout donné à l’Armée, rapporte Me Iochum. Alors que leurs états de service sont excellents, ils savent que leur carrière est ruinée parce qu’ils ont osé briser un tabou en assignant un supérieur en justice. Pour autant, ils considèrent qu’il est de leur honneur de militaire de dénoncer l’acharnement qu’ils subissent. L’institution militaire ne saurait être un bastion impénétrable au droit».
Du côté de l’état-major de la brigade, où l’on confirme qu’une procédure est «effectivement en cours», on se refuse à tout commentaire, évoquant juste des «problèmes relationnels». Une «enquête interne de commandement» a été diligentée.
Nicolas BASTUK