J’étais parachutiste

« Dix ans après avoir été brimé dans l’armée, un ancien parachutiste témoigne.

Les mots sont forts et certainement excessifs. Les faits rapportés sont heureusement rarissimes. Faut-il pour autant garder le silence ? Non, car ils existent encore ici ou là dans les unités d’élite. Ils sont, en général, le fait de quelques gradés égarés qui ont réussi à passer à travers les mailles du filet. Le Ministre de la Défense et le commandement dans son ensemble, traquent ce genre de personnages et sanctionnent sans faiblesse lorsqu’ils sont informés des faits. Je peux en témoigner.

J’ai personnellement servi dans cette prestigieuse Unité qu’est le 3ème Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine et je n’ai pas eu à connaître de tels débordements de la part d’officiers ou de sous-officiers. Ce régiment est une unité au passé glorieux et les officiers ou sous-officiers se disputent âprement les quelques places libres à leur sortie d’école. L’entraînement y est très dur physiquement et moralement, mais comme le disait un ancien général CEMAT « Les parachutistes vous me coûtez cher. A ce titre, vous devez être capables de faire ce que les autres unités sont incapables de faire, sinon, je n’ai pas besoin de vous ! » . Je tenais à faire cette mise au point de façon à ne pas faire de quelques cas particuliers, une généralité. Ceci dit, il faut être conscient que les brimades marquent profondément les hommes, puisque dix ans après, Xavier M. se souvient. »

Michel BAVOIL
Président de l’ADEFDROMIL

A 18 ans, motivé et plutôt bon sportif, je pensais souvent aux exploits des paras français d’Indochine ou d’Algérie. Ceux qui ont forgé « l’esprit para » Les gars de BIGEARD. En m’engageant au 3ème Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine, j’étais venu chercher ce qui n’existait pas dans la vie civile : La cohésion ; l’esprit de camaraderie ; l’aventure ; le sens de l’honneur ; celui de l’effort ; le dévouement et l’esprit de sacrifice ; une parcelle de gloire peut-être… Je suis très vite devenu fier d’appartenir à une unité d’élite, fier d’être un para, fier d’être un Soldat. Plus l’entraînement était dur, plus j’avais l’impression d’exister et d’émerger. Le goût du risque et de l’effort animait tous les jeunes engagés volontaires, pour la plupart issus de familles ouvrières. Ils souhaitaient faire carrière au sein de l’armée. Après avoir effectué 8 sauts au cours de deux préparations militaires parachutistes, j’ai décidé en 1990 de m’engager pour 5 ans, au 3° RPima de Carcassonne (90/95) Les classes s’achevèrent au terme des épreuves de formation. Brevet para à Pau ; marche de la casquette «BIGEARD» ; rallye fin de FETTA ; stage commando ; marche de la fourragère… Des semaines entières à crapahuter par tous les temps, de jour comme de nuit, à s’entraîner pour de futures missions, à destination de territoires extérieurs. A la fin de ces 6 mois de classes, j’ai intégré fièrement la Section d’Eclairage et de Renseignement (SER) de la CEA du 3° RPima.

Nous avions un lieutenant : « un dur » un « vrai » Il aimait bien, dans son jargon, « tarter » ses engagés. En fait, nous avons découvert au fil du temps que lorsque son autorité était mise à mal, celui ci se rétablissait en employant la force physique. Quel Officier ce lieutenant ! Il est vrai que nous n’avions que 19 ans et comme nous étions là pour « faire carrière », ça nous semblait presque normal au début, du moins personne ne voulait d’histoire… Nous ne parlions donc pas et nous exécutions tous ses ordres, sans trop broncher.

Ce lieutenant, était du genre à nous organiser des marches commando de nuit, sur les plages du Gabon, avec un sac de 11 kgs, l’arme, le casque, le tout sous une chaleur étouffante. Peu d’air et beaucoup d’humidité. Jusque là, rien d’exceptionnel me diriez vous. Cependant, une nuit, un camarade tomba d’épuisement. L’infirmier arrivé sur place, rendu compte de l’état de santé de notre camarade et lui prodigua des soins au bord de la plage : « C’est grave ! Il faudrait stopper l’épreuve Mon Lieutenant ! » demanda l’infirmier et ramener au plus vite ce camarade au campement pour lui donner des soins plus sérieux… mais le chef de section irrité retourna sur ses pas et secoua notre ami toujours à terre. L’insulta en le traitant de « grosse merde » (pardon aux lecteurs mais la vérité passe par une reproduction exacte) Il alla même jusqu’à menacer notre infirmier. Nous avons fini par partager ses affaires et reprîmes la marche course, tant bien que mal, avec un soldat délirant et très mal en point.

Il aimait ça notre lieutenant. « Claquer » ses soldats et nous mettre à bout, par n’importe quel moyen. Sur le terrain et à l’abri des regards indiscrets, bien des choses se déroulaient. C’était le « bon plan » pour s’acharner sur un EV et le faire craquer. Quelques-uns de ses cadres appelaient ça : « la sélection naturelle » L’encadrement se faisait un certain plaisir à suivre l’exemple donné et estimait ces méthodes dignes de nos anciens : Celles qui forgent les jeunes parachutistes ! Un soir, cet officier nous ordonna de creuser des trous de combat sur un terrain dur comme de la roche, totalement inapproprié. A l’aide de nos pelles US, nous avons tapé dans les cailloux toute la nuit. A l’aube, on n’entendait plus que des sanglots de rage… Quel sens donner à cet exercice aussi stupide qu’inutile ? Ce n’est pas ça les TAP !

Je me rappelle aussi que notre « chef » marchait avec un sac léger contenant son duvet et seulement quelques effets. Pour accélérer la marche, il augmentait sa vitesse au point qu’on parlait d’une course de marathonien. Le plus souvent, nous finissions par courir durant des kilomètres. A sa différence, nous étions chargés comme des mulets. Quel exemple pour ses hommes ! J’ai eu le privilège de passer 1ére classe au bout de 6 mois et d’obtenir le CME au bout d’un peu plus d’un an : Un CME infernal sous le commandement de ce même lieutenant. Un CME décevant, à la hauteur de ses pratiques imbéciles et peu respectueuses des soldats et des règlements. Des notations douteuses, faites à la tête du client. Mais ce chef de section, qui se permettait de juger et de frapper, se garda bien de nous raconter les déboires qu’il avait eus précédemment, dans une précédente affectation. Ce ne sont ici que quelques exemples de ce que nous avons vécu avec cet officier. En fait, pendant ces deux premières années riches en émotions, nous avons eu un autre lieutenant : Un « copier-coller » du premier, (mais en plus hypocrite, ce qui mérite d’être cité) Il s’est mis immédiatement à dos toute la section et en premier lieu, ses cadres (bel exploit) Ce fut l’enfer pendant 2 ans, un vrai panier de crabes cette section. Des petits clans se formaient à l’intérieur, chacun essayant de mettre à la faute son camarade. Quelques sergents, caporaux-chefs, voir caporaux véreux en profitaient pour casser sournoisement auprès du chef de section, certains d’entre nous, avec une lâcheté et une hypocrisie, déconcertantes. Ils auraient vendu leur meilleur ami pour gravir le quart d’un échelon !

En bref, rien de bien glorieux au « grand 3 » Au bout de quatre ans, la fatigue morale s’était définitivement installée. A notre retour en 94 de l’opération AMARYLISSE, au Rwanda, je n’avais plus du tout envie de poursuivre dans un système qui n’avait aucun intérêt ni aucun sens. Marcher, courir, creuser et monter la garde, c’était déjà bien suffisant… Mais la guerre du Golfe se dessina et l’on nous envoya au Gabon. La guerre éclata en ex-Yougoslavie et on nous envoya en manoeuvres préparatoires. On s’entraîna durant des mois pour faire quoi au bout du compte ? Rien. L’idéaliste que j’étais n’acceptait plus cette mentalité de civils déguisés en militaires pour la plupart. Quel bilan devais-je en tirer, petit caporal bercé d’illusions et tourmenté par des comportements irrationnels. Comment se prémunir d’actes et d’abus de pouvoir d’une caste qui vous brise à tous bouts de champs, rien que pour le plaisir de se donner une certaine importance. Que reste t’il de cet état d’esprit para acquis lors des épopées glorieuses ? plus grand-chose aujourd’hui avec de telles mentalités qui n’ont de militaire que le nom. Ou sont passés les vrais chefs de section, les vrais commandants d’unité, les vrais chef de corps qui portent les valeurs transmises par nos anciens, avec honnêteté, courage et dévouement. Ou sont passés l’esprit parachutiste, le respect des hommes, l’esprit de corps, l’esprit de camaraderie, le sens du devoir et de l’honneur, le sens de l’effort collectif ? En fait, pour être objectif, cette « armée professionnelle » me semble s’être davantage tournée vers les déroulements carrière juteux et les décorations, que sur le métier des armes…

La désillusion fut dure à accepter, mais tout ce que je voulais éviter dans le secteur civil je l’ai retrouvé dans cette armée là. La convoitise ; les excès ; les coups tordus ; les abus de pouvoir ; l’injustice et en prime, une carrière raccourcie et un retour dans mes foyers pour ne pas avoir voulu entrer dans le moule. Dans cette armée là, j’ai vite compris qu’il fallait mettre en berne toutes les valeurs morales.

Je me suis engagé avec une motivation hors du commun. J’en suis sorti brisé, dégoûté et antimilitariste. Il ne faut pas se le cacher. Le but recherché par ce système est de décourager un maximum d’EV à faire une carrière longue et à de rares exceptions, ce sont les meilleurs et les plus motivés qui partent les premiers, dépités.

Très vite est venu le temps de la reconversion et le retour à la vie civile. Là, on me proposa de rejoindre Fontenay le Comte. Une unité ou les cours sont réalisés par des civils de l’AFPA, rythmés par un encadrement militaire en fin de carrière : Je vous laisse imaginer l’ambiance qui règne… Malheureusement, dans bien des cas (information vérifiable sauf si les statistiques sont tronquées, ce qu’il ne faut pas écarter), on ne suit que trop rarement la formation envisagée : C’est à prendre ou à laisser et de cette manière, il n’y a que des satisfaits !

Pendant que ma compagnie s’envolait pour 4 mois en Centrafrique, la « SER» et son brillant lieutenant me récompensèrent en m’envoyant achever mes 6 derniers mois de contrat à la 11° compagnie d’instruction, comme conducteur poids lourd. Le dernier jour arriva finalement, et je traversais une dernière fois le porche de la caserne Laperrine pour rejoindre la gare de Carcassonne. Tout était terminé. Pas de pot de départ, pas d’entretien avec mon commandant d’unité. Pas d’au revoir du chef de corps ni de son second. Pas de dernier bilan afin de connaître dans quelles conditions psychologiques et matérielles je regagnais la vie civile : Rien. Strictement rien ni personne. La messe était dite et tout semblait normal, après 5 années passées au 3° RPima.

Mon retour à la vie civile fut une traversée du désert. Pendant plusieurs mois je me demandais ce que j’allais pouvoir mettre de valorisant dans mon curriculum vitae ? Que vais-je devenir dans cette société civile ou seules les réalités économiques animent les esprits ? J’ai rapidement accepté des missions intérimaires. Il fallait bien vivre. Vinrent les cours du soir pour me mettre à niveau et pouvoir me préparer pour des concours ultérieurs. Pendant plusieurs mois, j’ai du réapprendre les règles qui régissent la société civile. J’avais maigri. Des maladies tropicales ont eu raison de ma condition physique. J’étais tout simplement en mauvaise santé. Pendant que ma « reconversion » se déroulait plutôt difficilement, mes détracteurs de la SER continuaient leur « carrière » après avoir fait le ménage autour d’eux, pour rester en famille. Continuant sans état d’âme à jouer les « grands guerriers » courageux et irréprochables, surtout en face des jeunes recrues, je n’aurais pu croire un seul instant que dans un régiment prestigieux, la mentalité soit aussi médiocre et individualiste ; que l’on puisse autant manquer de considération vis à vis de jeunes parachutistes qui sont pourtant prêts à donner leur jeunesse et parfois leur vie pour défendre les intérêts de la France. IL n’y a pas de mots pour qualifier les dérapages, les propos déplacés, les actes illégaux, les faits et les gestes de certains cadres. Ces hommes volent à la fois le meilleur de la jeunesse, mais aussi l’armée tout entière : Quel gâchis !

Au final de cette situation qui reste gravée à jamais dans mon esprit, une question revient fréquemment : Il est totalement exclu que la hiérarchie ait tout ignoré du fonctionnement de cette section. A quoi rime donc ce système qui permet l’aboutissement de comportements illégaux répétés ? Cette absence évidente de contrôle et de maîtrise de la situation par le commandement m’interpelle toujours, 10 ans après…

Xavier M.

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