Affaire BEAUSSART : refus d’attribution de l’échelon exceptionnel des adjudants-chefs annulé !

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Dans le cadre de la professionnalisation des armées, l’armée de terre a procédé en 1998 au recensement des sous-officiers du grade d’adjudant-chef qui accepteraient de quitter les armées en 1999 dans les mêmes conditions qu’en 1998, c’est-à-dire :

mise à la retraite attribution du pécule attribution automatique de l’échelon exceptionnel

pour toutes celles et tous ceux dont la candidature serait retenue.

La proposition est séduisante pour ne pas dire alléchante !

C’est dans ces conditions que l’adjudant-chef Patrick BEAUSSART fait acte de candidature le 26 mars 1998.

Le 21 décembre 1998, la Direction du personnel militaire de l’armée de terre poursuit sa mise en confiance en diffusant le message 760882/DEF/PMAT/EG/A1 confirmant l’attribution automatique de l’échelon exceptionnel 6 mois francs avant la date de radiation des contrôles de l’armée.

Finalement la demande de pécule de BEAUSSART est agréée et son placement en position de retraite prononcé le 3 février 1999.

Mais point d’échelon exceptionnel !

Intrigué, BEAUSSART décide d’adresser un courrier à l’organisme dépositaire de son dossier : le Bureau du service national de PERPIGNAN. C’est ce qu’il fait le 15 juin 1999.

S’estimant incompétent pour répondre à cette question, le BSN fait suivre au chef de corps de la dernière affectation de BEAUSSART, c’est-à-dire l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale.

Cette autorité se veut rassurante en adressant à l’attention de son ex-subordonné un bordereau d’envoi comportant les observations suivantes :
« Transmis pour attributions.
Admis à la retraite avec le bénéfice du pécule, l’intéressé est en attente de l’attribution automatique de l’échelon exceptionnel conformément au message n° 760 882/DEF/PMAT/EG/A1 du 21/12/98.
Suite à communication téléphonique du 2/07/1999 avec la DPMAT/INF, la décision de l’attribution de l’échelon exceptionnel de l’ADC BEAUSSART n’a toujours pas été prononcée pour les trois premiers trimestres de 1999 ».

Inquiet de ne rien voir venir, mais toujours confiant en la promesse faite par le général directeur du personnel militaire de l’armée de terre, BEAUSSART adresse un second courrier au BSN de Perpignan afin de connaître la suite réservée à l’attribution de son échelon exceptionnel. Cette lettre, transmise par le BSN à la DPMAT, demeure sans réponse…

Surpris que les différentes autorités chargées de veiller à ses intérêts ne lui répondent pas, BEAUSSART décide de saisir directement le ministre de la défense.

Contre toute attente, il reçoit notification d’une décision n° 480101/DEF/PMAT/COAD/1 du 10 janvier 2000 signée du général de division BERTHEAU, rejetant, malgré les promesses faites et réitérées, sa demande d’attribution d’échelon exceptionnel !

BRAVO la DPMAT, encore un joli coup bas porté aux sous-officiers ! En effet, on apprendra par une question parlementaire que 459 sous-officiers se sont retrouvés dans le même cas de figure que notre adjudant-chef !

Fallait-il en rester là ?

Assurément non !

Sur les conseils d’Annie ROMERIO, Major en retraite de l’armée de terre, BEAUSSART a immédiatement rejoint l’Association de Défense des droits des militaires qui l’a guidé et conseillé très utilement puisque quatre ans après avoir déposé un recours devant le Tribunal administratif de PARIS, celui-ci vient d’annuler la décision du 10 janvier 2000 par laquelle le directeur du personnel militaire de l’armée de terre a rejeté sa demande tendant à obtenir l’échelon exceptionnel du grade d’adjudant-chef. (TA de Paris, Beaussart/défense, 8 avril 2004).

Dans son recours initial, indépendamment des arguments de forme non retenus par le Tribunal, l’adjudant-chef BEAUSSART a fait valoir, au fond, une méconnaissance du principe d’égalité de traitement en ces termes :

« Conformément à l’article 6 du décret 75-1211 du 22 décembre 1975 modifié, les adjudants-chefs classés à l’échelle 4 ont accès à l’échelon après vingt cinq ans de services. Ils peuvent en outre avoir accès à l’échelon exceptionnel. Cet échelon exceptionnel est attribué après vingt cinq ans de services dans la limite de 15% de l’effectif budgétaire des adjudants chefs.

Les modalités d’accès à cet échelon exceptionnel sont fixées par l’instruction 2690/DEF/PMAT/EG/A1 du 2 décembre 1996. Cette instruction rappelle que conformément aux dispositions de l’article 19 de la loi modifiée 72-662 du 13 juillet 1972, l’attribution de l’échelon exceptionnel du grade est prononcée au choix.

Or, le principe du choix impliquait pour le Directeur du personnel militaire de l’armée de terre l’appréciation des situations individuelles et particulières, toutes différentes, des sous-officiers susceptibles d’être retenus pour l’attribution de cet échelon. Force est de constater que dans le cas d’espèce, le directeur du personnel militaire de l’armée de terre reconnaît n’avoir pris en compte que les adjudants-chefs plus anciens que le requérant dans le grade de façon dit-il à respecter les contraintes budgétaires auxquelles il prétend maintenant être lié, alors qu’elles n’étaient pas semble-t-il sa préoccupation lorsqu’il attribuait automatiquement cet échelon par message n° 760 882/DEF/PMAT/EG/A1 du 21 décembre 1998…

En éliminant de fait, toute une catégorie d’adjudants-chefs moins anciens en grade, le directeur du personnel militaire de l’armée de terre a méconnu le principe d’égalité de traitement des fonctionnaires. En effet, le principe d’égalité de traitement, s’il imposait un examen particulier des candidatures de tous les sous-officiers qui remplissaient les conditions légales, ne faisait pas obstacle à ce que l’administration différencie les sous-officiers selon divers critères tels que la notation et la carrière notamment. En procédant comme il l’a fait, c’est-à-dire en ne retenant que les plus anciens en grade, le directeur du personnel militaire de l’armée de terre a instauré un système d’attribution de l’échelon exceptionnel totalement automatique au profit des plus anciens et au détriment des plus jeunes… »

Dans son recours complémentaire et après communication des procès-verbaux de sélection, il a fait valoir l’illégalité des sélections à titre conditionnel comme suit :

« Dès à présent, le requérant fera observer que le travail de sélection des adjudants-chefs proposés à l’échelon exceptionnel n’a pas été effectué dans un cadre légal.

En effet, les procès-verbaux des séances du 5 mars 1998 et 2 mars 1999 stipulent que les commissions se sont prononcées pour une inscription à titre normal et pour une attribution sur demande à titre conditionnel conformément aux annexes 1 et 3.

Or, il résulte des textes en vigueur et notamment :

De l’article 19 de la loi 72-662 du 13 juillet 1972 je cite :

« … Le classement à un échelon dans un grade est fonction, soit de l’ancienneté dans ce grade, soit de la durée des services militaires effectués, soit de la durée du temps passé à l’échelon précédent, soit de la combinaison de ces critères.

Toutefois, des échelons exceptionnels peuvent être prévus par les statuts particuliers. Ils sont attribués au choix par le ministre chargé des armées et, pour les sous-officiers et les officiers mariniers de carrière, par ce ministre ou par l’autorité habilitée à cet effet, sur proposition de l’une des commissions d’avancement prévues aux articles 41 et 47. »

De l’article 6 du décret 75-1211 du 22 décembre 1975 je cite :

« … Les adjudants-chefs classés à l’échelle n°4 et les adjudants-chefs de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris ont accès à l’échelon après vingt cinq ans de services. Ils peuvent en outre avoir accès à l’échelon exceptionnel. Cet échelon exceptionnel est attribué après vingt cinq ans de services dans la limite de 15% de l’effectif budgétaire des adjudants-chefs. »

De l’article 1 de l’instruction 2690/DEF/PMAT/EG/A/1 relative aux modalités d’accès à l’échelon exceptionnel du grade d’adjudant-chef du 2 décembre 1996, je cite :

 » Aux termes de l’article 6 du décret n° 75-1211 du 22 décembre 1975, les adjudants-chefs ont accès à un échelon exceptionnel, attribué après vingt-cinq ans de service dans la limite de 15% de l’effectif budgétaire du grade. L’article 8 du décret n°77-789 du 1er juillet 1977 et l’article 49 du décret 78-507 du 29 mars 1978 étendent respectivement aux adjudants-chefs servant à titre étranger et aux sous-officiers de musique de 1e classe, le bénéfice de cet échelon.

Conformément aux dispositions de l’article 19 de la loi modifiée n° 72-662 du 13 juillet 1972, l’attribution de l’échelon exceptionnel du grade est prononcée au choix. »

que l’attribution de l’échelon exceptionnel est faite uniquement au choix ,qu’aucune attribution sur demande à titre conditionnel n’a été prévue par le législateur et le pouvoir réglementaire. Le requérant fera d’ailleurs valoir qu’il n’a jamais été averti ni consulté en vue d’établir une demande à titre conditionnel et qu’ainsi il a été traité différemment de ceux de ses camarades qui pour certains d’entre eux se sont vus offrir une telle possibilité.

qu’ainsi le directeur du personnel militaire de l’armée de terre a violé les dispositions de la loi et méconnu le principe d’égalité de traitement des fonctionnaires … ».

Force est de constater que l’adjudant-chef BEAUSSART a été suivi dans sa démonstration par le Tribunal.

Malgré cela, le Tribunal a rejeté les conclusions indemnitaires de l’adjudant-chef BEAUSSART au motif qu’il n’établit pas qu’il aurait, à raison d’une erreur manifeste commise par le ministre de la défense concernant l’appréciation de ses mérites professionnels, été privé d’une promotion dont il aurait dû bénéficier. C’est ce que l’adjudant-chef BEAUSSART tentera de démontrer dans une nouvelle procédure.

Renaud Marie de Brassac

Chronologie d’une duperie

Pour bien comprendre pourquoi l’adjudant-chef BEAUSSART et 459 adjudants-chefs se sont fait duper en 1999, il faut se reporter aux règles instaurées par la DPMAT depuis la mise en oeuvre de la professionnalisation.

Afin de dégager le maximum de sous-officiers des armées, la DPMAT s’est livrée à toutes sortes d’illégalités qui n’ont pas été contestées bien sûr par les quelques heureux bénéficiaires ! Chacun sait que les militaires trouvent normal de bénéficier d’avantages même lorsque ceux-ci se révèlent être illégaux. Pour exemple, le mécontentement manifesté par de nombreux officiers à l’annonce de l’annulation de l’avancement conditionnel par le Conseil d’Etat. D’ailleurs, les officiers généraux continuent de profiter de cette illégalité…

Parmi les illégalités au profit des sous-officiers, nous retiendrons l’attribution automatique de l’échelon exceptionnel à ceux qui optaient pour un départ à la retraite conditionnelle.

Cette mesure était déjà en vigueur en 1996, année pour laquelle nous détenons les preuves. En effet, dans une note express n°176595/DEF/PMAT/ART/2 du 30 mai 96 signée « Le général de corps d’armée BERTIN, Directeur du personnel militaire de l’armée de terre, par ordre, le colonel COSTANTINI, chef du bureau artillerie » nous pouvons lire :

« QUINTO : les intéressés percevront l’échelon exceptionnel pendant les six derniers mois de leur service actif »

De 1996 à 1998, la DPMAT a, semble-t-il, tenu ses promesses. L’échelon exceptionnel a été automatiquement attribué aux sous-officiers mis à la retraite avec le bénéfice du pécule.

C’est ce qui a mis en confiance l’adjudant-chef BEAUSSART et ses 459 camarades. Cette confiance a été renforcée par le message n° 760882/DEF/PMAT/EG/A1 du 21 décembre 1998 GUERRE DIPERMIL PARIS ainsi rédigé :

OBJET : mesures incitation au départ/pécule 1999 sous-officiers grade adjudant-chef.
REF/Instruction NMR 2690/DEF/PMAT/EG/A1 du 02 DEC 1996
TXT
Dans cadre mesures citées en objet
PRIMO : Adjudants-chefs et assimilés retenus pour pécule 1999 se verront attribuer automatiquement échelon exceptionnel ce grade six mois francs avant date RDC sous réserve remplir conditions générales définies par instruction de référence.
SECUNDO : Cette information sera portée connaissance de tout personnel adjudant-chef ou assimilé retenu pour pécule 1999 avant 31 décembre 1998.

Ce message est sans ambiguïté. Il est bien dit « automatiquement »… comme cela se faisait déjà illégalement depuis 1996 !

Le 13 octobre 1999, l’adjudant-chef BEAUSSART saisit le ministre de la Défense d’un recours gracieux et c’est… le général RIDEAU Directeur du personnel militaire de l’armée de terre qui répond par l’intermédiaire du général de division BERTHEAU. La décision est un chef d’oeuvre !

« Vous avez, par voie de recours gracieux, demandé que soit reconsidérée votre situation au regard de l’attribution de l’échelon exceptionnel du grade d’adjudant-chef au titre de l’année 1999.

Vous remplissiez bien la condition d’ancienneté de service prescrite par l’instruction citée en référence, mais vous comprendrez volontiers que je ne peux cependant m’affranchir des contraintes budgétaires (15% de l’effectif budgétaire du grade) qui m’ont amené à affiner les conditions et en particulier à ne prendre en compte que les adjudants-chefs plus anciens que vous dans ce grade. En conséquence, j’ai été amené à ne pas retenir votre dossier.

Je vous rappelle que, conformément aux dispositions de l’article 9 de la loi n°72-662 du 13 juillet 1972, modifiée, portant statut général des militaires, l’attribution de l’échelon exceptionnel du grade est prononcée au choix, et ne constitue nullement un droit, même pour les militaires remplissant toutes les conditions pour pouvoir y prétendre.

Dans ces conditions, je ne peux donner une suite favorable à votre demande. »

Allons mon cher BEAUSSART, un petit peu de bonne volonté pour comprendre… ! Vous savez bien que vos chefs veillent sur vos intérêts. C’est d’ailleurs parce qu’il veille sur vos intérêts que le ministre de la Défense s’est expliqué sur votre cas auprès du Tribunal administratif de PARIS en ces termes :

« … Je ferai remarquer que le message dont il s’agit énonce bien, afin d’éviter toute ambiguïté, l’ensemble des restrictions quant à l’attribution de l’échelon exceptionnel. Ce message précisait en effet que cet échelon exceptionnel serait attribué (…) sous réserve de remplir les conditions d’attributions générales définies par instruction de référence »

Or, figure dans l’instruction de référence la disposition suivante :
« I- Conditions d’accès à l’échelon exceptionnel
Aux termes de l’article 6 du décret n° 75-1211 du 22 décembre 1975, les adjudants-chefs ont accès à un échelon exceptionnel attribué après 25 ans de service dans la limite de 15 p 100 de l’effectif budgétaire du grade…

Conformément aux dispositions de l’article 19 de la loi n°72-662 du 13juillet 1972, l’attribution de l’échelon exceptionnel du grade est prononcée au choix ».

En conséquence, l’administration n’a pas commis de faute et, en particulier, n’a pas fourni d’informations erronées. Si le requérant a eu la certitude qu’il pourrait bénéficier de l’échelon exceptionnel, cela tient à la seule circonstance qu’il a fait une mauvaise lecture dudit message.

Fermez le ban !

En clair, mon cher BEAUSSART, allez apprendre à lire un message.

Mais, ce qui est bizarre dans cette affaire, c’est que nous avons également 459 adjudants-chefs qui doivent aller apprendre à lire et… un chancelier ! Mais oui, le chancelier de l’Institut de Hautes Etudes de la Défense Nationale a lui-même écrit en réponse à la lettre du Bureau du service national de PERPIGNAN :

« Admis à la retraite avec le bénéfice du pécule, l’intéressé est en attente de l’attribution automatique de l’échelon exceptionnel conformément au MSG n° 760882/DEF/PMAT /EG /A1 du 21/12/98.
Suite à communication téléphonique du 02/07/1999 avec la DPMAT/INF, la décision de l’attribution de l’échelon exceptionnel de l’ADC BEAUSSART n’a toujours pas été prononcée pour les 3 premiers trimestres de 1999 ».

Une question me trotte dans la tête.

Pourquoi la DPMAT a-t-elle rédigé ce message à l’attention des adjudants-chefs bénéficiaires du pécule alors que le traitement est le même pour tous les adjudants-chefs remplissant les conditions pécule ou non ? A moins que pour les autres ce ne soit pas automatique, qu’il faille payer pour l’obtenir ?

En tout cas, comme disait Boileau « ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement… »

Je crois qu’il est grand temps d’arrêter de prendre les sous-officiers pour des imbéciles.

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