Le syndrome de Cruella

Les vétérans de 1990-1991 du conflit contre l’Irak sont avertis, il ne saurait y avoir de syndrome de la Guerre du Golfe, car nous sommes mentalement trop forts. La démonstration est imparable.

Sachant qu’il aura quand même fallu ester en Conseil d’Etat pour faire admettre à Cruella (1) qu’il s’agissait bien là-bas d’une  » guerre « , et non d’une aimable opération de maintien de l’ordre pétrolier (c’est d’ailleurs devenu une fâcheuse habitude depuis l’Algérie que les militaires ne fassent plus la guerre, mais du maintien de l’ordre), chacun se réjouira sans arrière-pensée de l’excellent état sanitaire ainsi déclaré de nos troupes revenues de  » Tempête du Désert « .

Si l’ensemble des coalisés se sont entendus sur l’absence de tout syndrome, la France ne put longtemps nier seule, l’existence de pathologies diverses et variées qui, sans relever du syndrome interdit, se sont néanmoins abattues sur bon nombre de soldats.

L’association Avigolfe créée en juin 2000, avec pour but de faire la vérité sur la guerre du Golfe et ses effets et de faire reconnaître le droit à réparation et aux soins des personnes concernées, ne fut pas étrangère, tant s’en faut, à cette prise de conscience.

 » Il appartient au chef à tous les échelons « , dit la chanson,  » de veiller aux intérêts de ses subordonnés « . Pour ce qui nous concerne, Avigolfe nous permet de relever une nouvelle fois que l’autorité militaire sait à l’occasion manifester bien des tergiversations dans cette ardente obligation. La recherche des pathologies du Golfe a tant manqué de conviction qu’il est dorénavant permis de se demander si, à force de  » veiller  » aux intérêts de ses subordonnés, il n’arrive pas quelquefois au chef de sommeiller quelque peu.

Notre Ministre avait d’ailleurs annoncé la couleur : » Le résultat des travaux menés par le professeur SALAMON permettra d’apporter peut-être une réponse partielle à cette question « . Lorsque l’on déborde d’un pareil enthousiasme à la perspective de faire peut-être aboutir partiellement un dossier ayant près de 15 ans de retard, la suspicion est permise.

Les Vétérans ayant été exposés à des risques bien spécifiques, uranium, cocktail de vaccins, fumée des puits de pétroles, pré-traitement contre les neurotoxiques, pesticides, insecticides, cachet anti-sommeil, agents toxiques, stress, Avigolfe a voulu savoir si un certain nombre de cas médicaux dont elle avait connaissance pouvaient avoir un lien avec ce joyeux mélange.

Malformations congénitales et/ou anomalies chromosomiques dont souffrent les enfants nés après le retour de mission. Cas de mortalité périnatale et de malformations foetales. Mal de dos, dépression, pertes de dents, pathologies ostéo-articulaires Maladies respiratoires, « atteintes de l’oeil », maux de tête, troubles du sommeil. Avigolfe interroge sur 31 décès et suit plus de 300 dossiers.

Trois années d’une enquête commanditée par le Ministère lui-même aura surtout posé la question de son indépendance. Cette enquête a été menée par le professeur SALAMON, épidémiologue émérite. Tel un bénédictin il a recensé des cas, mais pas tous car pris dans un échantillon non représentatif. Jamais il ne se prononce sur l’existence ou non du lien de causalité, comme ont su le faire les Américains par exemple, laissant ce travail d’expert… aux plaignants eux-mêmes.

Si au fond rien ne peut être révélé, la méthodologie ministérielle quant à elle appellera quelques commentaires.

Le directeur du Cabinet civil et militaire avait affirmé par lettre datée du 14 mars 2002, que le ministère entamerait une campagne par voie de presse, pour que l’ensemble des vétérans de la guerre du golfe se fassent connaître auprès de l’équipe du professeur SALAMON. Promesse non tenue. Environ 10500 personnels ont été retrouvés. La Défense n’ayant pas les moyens (?) de remonter à la totalité des vétérans du Golfe, dont elle a longtemps ignoré qu’ils étaient près de 25000, devait diluer les résultats en y incluant des soldats présents au Yémen, Pakistan, Egypte, Djibouti, Israël, Turquie n’ayant rien à faire dans l’enquête. La proportion de militaires en bonne santé, utilement et facilement retrouvables puisque toujours en activité, l’emporte sur celle des ex-militaires perdus dans la nature. Ceci sans préjuger du désordre qui accompagna l’élaboration de certaines réponses, ainsi lorsque des sondés crurent devoir prendre en compte leurs enfants… nés avant leur départ en mission. Partiels, insuffisants, sont aussi les examens mis en place dans le cadre de cette enquête. Ils s’effectuent sur la base d’un forfait de 180 euros, ce qui en matière d’examens médicaux ne va pas chercher bien loin. Encore fallait-il que les demandeurs ne soient pas dans les DOM TOM ou à l’étranger. Bref c’est un échantillon de 1000 vétérans qui en ont bénéficié. C’est peu pour qui annonçait une étude exhaustive. Les résultats de l’étude des décès confiée à l’institut de veille sanitaire sont restés la propriété de cet organisme, sans enter dans le champ d’investigation de l’enquête. A l’ère du nucléaire il apparaît de plus en plus que la reconnaissance d’une contamination à l’uranium de certains projectiles relève toujours du registre des constations, comme une banale entorse, alors que c’est toute la Division Daguet qui y fut soumise, disent les plaignants, sans se soucier de prendre rang dans la défense administrative de leurs droits ultérieurs. Un certain nombre de déclarations tardives, contradictoires posent la question de la bonne foi du Ministère. Ici c’est ROQUEJOFFRE qui n’était pas au courant de l’utilisation d’obus à uranium, alors que TF1 en avait fait état. Là ce sont 60000 munitions à l’uranium fabriquées par la France… pour ne pas les utiliser (?). Ici ce sont des médications préventives et réactionnelles entre elles qui auraient été prises à doses homéopathiques sur un jour selon JANVIER, ou sur plus d’un mois selon d’autres autorités. Là ce sont des substances éveillantes distribuées du simple au quintuple selon les sources. Ici ce sont 5 détections d’agents chimiques en présence de troupes françaises, là où un rapport américain en recense 15. Pour le Ministère, 5 ou 15 ne changent rien à l’affaire puisque comme pour le nuage de Tchernobyl, les Français étaient trop éloignés pour être atteints. On connaît la suite. Un Ministère qui fait de la rétention d’informations, qui préfère la chaise vide à l’occasion d’un débat télévisé où il était invité, tout cela ne fait pas une culpabilité mais forge un peu plus encore certaines convictions.

En conclusion, AVIGOLFE dénonce l’attitude du Ministère de la Défense qui utilise tous les moyens pour gagner du temps, brouiller les pistes, nier des données aujourd’hui prouvées par l’association, bref refuser de reconnaître la réalité de cette guerre et ses conséquences sanitaires sur les populations civiles et militaires concernées.

AVIGOLFE dénonce également le refus persistant de reconnaître les droits de certaines victimes et de leurs familles, qui vivent aujourd’hui des situations douloureuses.

Pour terminer, laissons la parole au professeur SALAMON.

 » Le « syndrome de la guerre du Golfe » n’existe pas. Mais si on s’arrête là, c’est une idiotie car cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des conséquences dont peuvent se plaindre les militaires « , quand ils imputent leurs maladies à leur participation à la guerre.

 » Des critiques peuvent être avancées « , reconnaît-il dans la présentation de son étude. D’abord,  » la validité de l’information recueillie, faisant appel à la mémoire des sujets, en ce qui concerne les expositions (à différents produits toxiques, ndlr) sur le terrain « . L’enquête a eu lieu plus de dix ans après les faits et les archives militaires sont très déficientes. Durant des années, le Ministère affirmait que jamais l’ordre de prendre des antidotes contre les armes chimiques n’avait été donné, avant que le général commandant l’opération Daguet explique le contraire ! Le « taux de réponse » pose aussi problème : « Les résultats présentés ne concernent que les sujets joignables et ayant accepté de répondre« . Et majoritairement en bonne santé, puisqu’en activité, comme déjà expliqué.

Bref, en confiant au temps qui passe le soin d’ensabler dans l’Hexagone le plus de traces possible, certains esprits chagrins diront qu’il y avait là un moyen plus sûr que de le demander aux déserts de Mésopotamie. Il est clair qu’en ne traitant que pour 2004 des événements vieux de 14 ans, la Défense n’a pas pris le risque de devoir reconnaître ses maladies professionnelles, ni celui de distribuer plus de pensions d’invalidité qu’il n’en fut octroyé à l’hôpital Laveran de Marseille, pour des gens en bonne santé de surcroît.

Parce que les droits des vétérans lui semblent ne pas être respectés, Avigolfe a porté plainte au pénal. L’enquête est confiée au juge d’instruction Mme BERTELLA-GEFFROY. Aujourd’hui les vétérans français n’hésitent plus à porter plainte et à témoigner auprès de son équipe. Une adresse e.mail a même été mise en place à cet effet par la juge d’instruction : golfe75@wanadoo.fr.

Ce désordre permet de redire qu’un organisme de défense des intérêts des militaires, indépendant de la hiérarchie, n’aurait jamais toléré pareils atermoiements du chef, à tous les échelons, dans sa prétendue vocation à veiller aux intérêts de ses subordonnés.

Il permet surtout d’enrichir la liste déjà longue des syndromes répertoriés. Un nouveau syndrome est né. Pas celui de la Guerre du Golfe puisqu’il n’existe pas, mais un syndrome de l’après Guerre. Une maladie chronique qui consiste à traîner les galoches dès qu’il s’agit de la défense des droits des militaires et de leurs intérêts professionnels et moraux. Ainsi se définit le syndrome de Cruella.

Mariallio

(1) « Cruella » = Grande Muette, mais vue de l’intérieur. Pour rester neutre on dira institution militaire ou armée ou l’institution.

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