Refus de report de jours de permission… Le tribunal a tranché !

Exposé des faits

Le 8 avril 2002, le major ARLABOSSE en service sur la Base aérienne 123 d’Orléans, dépose au secrétariat de son unité une demande de report d’un reliquat de quatre jours de permissions au titre de l’année 2001 sur l’année 2002. Elle est ainsi rédigée :

« Objet : demande de report de droits à permission
Référence : instruction n° 20840/DEF/DAJ/FM/1 du 13 juillet 1983

J’ai l’honneur de vous demander l’autorisation de reporter 4 jours de permissions de mes droits 2001 sur l’année 2002. Je n’ai pu bénéficier de ces jours pour des raisons liées au service ».

Cette démarche administrative est conforme à l’article 20 de l’instruction n° 20840/DEF/DAJ/FM/1 du 13 juillet 1983 en vigueur au moment des faits. En effet, cet article précise :

« Les droits à permissions annuelles sont exercés du 1er janvier de l’année considérée au 1er mars de l’année suivante ; seuls les droits à permissions qui n’auraient pu être pris pour des raisons impérieuses de service peuvent être reportés sur la nouvelle année civile et, à titre exceptionnel, sur l’année suivante ; l’autorisation de report est prise par le chef de corps et, pour le report à titre exceptionnel, par l’autorité militaire exerçant le commandement immédiatement supérieur à celui du chef de corps. ».

Le 16 avril 2002 à 9h00, le major ARLABOSSE est reçu par son Commandant d’unité, le Lieutenant-colonel C. qui, après une demi-heure d’entretien, tente désespérément de le dissuader de faire suivre sa demande de report auprès du Colonel A. Commandant la Base Aérienne. Au cours de cet entretien, le Lieutenant-Colonel C. a des propos étonnants pour un chef qui, conformément à l’article 10 du statut général des militaires, doit veiller aux intérêts de ses subordonnés :

« c’est inacceptable de la part d’un major, en plus chef de spécialité, de faire une demande de report de jours de droit (…) Puisque vous la maintenez, je vais être obligé de vous massacrer. ».

Furieux, ce lieutenant-colonel rassemble à 14 heures dans son bureau, le chef des opérations, le chef de l’activité aérienne, le chef des pilotes et notre major pour redéfinir l’attribution des « récupérations » à accorder aux personnels gérés par l’unité.

Le 3 mai 2002, ARLABOSSE est informé oralement par le lieutenant-colonel C. qui ne dissimule pas sa satisfaction, que sa demande de report est refusé par le commandant de base.

Le 3 juin 2002, la décision explicite de rejet lui est finalement notifiée. A cette occasion, ARLABOSSE prend connaissance de l’avis technique émis par le commissaire lieutenant-colonel Chef du Soutien du Personnel de la Base Aérienne 123 en date du 26 avril 2002 :
« Demande déposée dans le cadre de l’instruction n°20840/DEF/DAJ/FM/1 relative aux permissions des militaires du 13 juillet 1983.
Toutefois, l’intéressé ayant, aux dires mêmes de son Commandant d’Unité, bénéficié de deux semaines de récupération non réglementaires à l’issue d’un détachement opérationnel, j’émets également un avis défavorable à cette demande ».

L’avis du commandant d’unité ne figurant pas sur la demande manuscrite, on peut se demander à quel titre le commissaire prend pour argent comptant des « dires » ! Ah ! les petits coups de téléphone…

Traité par le dédain et le mépris, pour le principe, ARLABOSSE saisit le 13 juin 2002 la commission des recours des militaires.

Le 5 juillet 2002, le Lieutenant-colonel C. quitte son commandement en laissant le soin à son successeur le lieutenant-colonel B. de rédiger une réponse à l’attention de l’Etat-major de l’Armée de l’air dans le cadre de la procédure contradictoire de la CRM.

Afin de finaliser sa réponse, le nouveau commandant d’unité convoque ARLABOSSE dans son bureau et tente lui aussi de le convaincre de retirer son recours ! Il informe ARLABOSSE de toutes les conséquences qui risquent de lui arriver s’il persiste à braver sa hiérarchie :

« Vous savez Major, ce n’est pas très bon pour les mutations…Vous risquez d’être convoqué par un général…si vous pleurez vos jours de droit, vous pouvez être dégagé du milieu opérationnel ».

Pas très courageux, ce commandant d’unité conclura en disant : « pour ma part, je suis obligé d’aller dans le même sens que mon prédécesseur le lieutenant-colonel C. ».

Les observations de l’Etat-major de l’armée de l’air section condition du personnel

(…) l’argumentaire développé par l’intéressé repose sur un faisceau d’éléments tendant à prouver que celui-ci n’a pu, en raison de sa fonction et du caractère impérieux des missions effectuées, bénéficier de l’intégralité de ses droits à permissions (24 jours).

En ce qui concerne l’argumentation du Major ARLABOSSE, l’état-major de l’armée de l’air (EMAA) ne remet pas en cause le caractère impératif des misions accomplies par ce dernier (missions opérationnelles assurées par l’escadron 01.061 Touraine durant la posture de réaction (PR1) et départ en détachement à Libreville), ainsi que l’importance de sa fonction au sein de cette unité.

Toutefois, la base aérienne 123 a porté à la connaissance de l’EMAA que, malgré les charges afférentes à son poste, celui-ci a bénéficié à l’issue du détachement réalisé à Libreville du 11 février 2002 au 21 mars 2002 (soit 42 jours) de 16 jours dont 08 jours ouvrés de permissions non décomptés accordés par le commandant d’unité au titre du dispositif de compensation en temps dénommé « récupération ».

En outre, l’EMAA précise que l’intéressé, compte tenu du temps de présence sur la base aérienne 123 Orléans (ce dernier ayant pris son poste à compter du 01 octobre 2001) s’est vu octroyer en plus des journées précitées, 20 jours de permissions longue durée au titre de l’année 2001.

Au regard de ces éléments, il apparaît :

que nonobstant le caractère impérieux des missions effectuées par le Major Philippe Arlabosse, celui-ci a, compte tenu de son temps de présence sur la base aérienne 123 d’Orléans, pu bénéficier de 20 jours de permissions et de 08 jours de « récupération », total supérieur aux 24 jours de droits théoriques ; que le nombre de jours accordé à différents titres par le commandant d’unité attestent de la volonté de ne pas léser le requérant en ce qui concerne ses permissions ; que le problème semble relever d’une mauvaise gestion des droits par le commandant d’unité, notamment par la priorité donnée à l’octroi de jours de « récupération » par rapport aux droits à permission.

En conséquence, l’état-major de l’armée de l’air suggère que le requérant soit débouté de sa demande.

La décision du Ministre de la Défense

Nous passerons sur les visas pour ne retenir que le corps de la décision, c’est à dire ses considérants et la décision finale.

(…) Considérant que le major ARLABOSSE a bénéficié de jours de permissions, dont l’octroi n’est pas prévu par la réglementation en vigueur, qui auraient dû être décomptés sur ses droits de l’année 2001 ;

Considérant qu’en refusant le report des quatre jours de permissions demandé par l’intéressé le 08 avril 2002, le commandant de la base aérienne 123 d’Orléans n’a pas commis d’erreur de droit ;

Considérant que le major Philippe ARLABOSSE a eu connaissance des informations formulées par l’état-major de l’armée de l’air et qu’il a pu y répondre dans les délais prescrits ;

Décide : Le recours formé par le major Philippe ARLABOSSE est rejeté.

Pour le ministre et par délégation
Le directeur adjoint du cabinet civil et militaire
Christian PIOTRE

On imagine, au stade de la procédure, la satisfaction non dissimulée de la hiérarchie du Major ARLABOSSE. Circulez ARLABOSSE, on vous avait prévenu !

Mais notre Major est tenace.

Il décide de saisir le Tribunal Administratif avec le concours de l’ADEFDROMIL.

Saisine du Tribunal Administratif d’Orléans

Indépendamment des éléments de forme présentés et sans intérêt pour la solution du litige, le Major ARLABOSSE a fait valoir un argument de fond : l’Erreur de droit.

Se référant à l’article 13 de la loi 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, à l’article 15 du décret 75-675 du 28 juillet 1975 portant règlement de discipline générale dans les armées, et à l’article 20 de l’instruction n°20840/DEF/DAJ/FM/1 du 13 juillet 1983, le Major ARLABOSSSSE expose :

« C’est en application stricte de ces dispositions légales et réglementaires que le requérant a demandé à bénéficier du report de ses quatre jours de droit à permission.

D’ailleurs le Tribunal ne peut que constater que le Ministre de la Défense ne remet pas en cause le caractère impératif des missions accomplies par le requérant (missions opérationnelles assurées par l’Escadron 01.061 Touraine durant la posture de réaction (PR1) et départ en détachement à Libreville) ainsi que l’importance de sa fonction au sein de cette unité).

La circonstance qu’à l’issue du détachement réalisé à Libreville du 11 février 2002 au 21 mars 2002 le requérant ait bénéficié d’une décision de son commandant d’unité de 16 jours dont 8 ouvrés de permissions non décomptés au titre du dispositif de compensation en temps dénommé « récupération » est fort heureusement sans influence sur les droits à permissions annuelles du requérant. Le requérant ne saurait être tenu pour responsable de l’octroi de ces jours de récupération liés à la mission effectuée et accordés par une autorité investie d’un commandement.

En prétendant a posteriori que l’octroi de ces droits n’est pas prévu par la réglementation en vigueur, ce qui viendrait à reconnaître que le commandant d’unité du requérant a commis une faute alors qu’il s’agit en réalité d’une mesure d’ordre intérieur relevant des compensations du temps de travail, le ministre de la défense commet une erreur de droit.

Cette erreur de droit ne peut qu’entraîner l’annulation de l’acte attaqué.. (…) »

Dans sa réplique au Tribunal Administratif le Ministre de la défense rejette l’erreur de droit

« Sur l’erreur de droit.

Monsieur ARLABOSSSE affirme que le Ministre de la Défense a commis une erreur de droit en considérant les jours de permissions dits de « récupération », qu’il a obtenu au titre d’une opération militaire particulière, comme des permissions devant être décomptées de ses droits annuels à permissions.

Il ne peut en être ainsi.

Le décret n°75-675 portant règlement de discipline générale dans les armées du 28 juillet 1975 précise dans son article 14 « les militaires ont droit à des permissions de longue durée, à des permissions complémentaires planifiées et à des permissions pour évènements familiaux.

Sauf pour les permissions pour évènements familiaux, la détermination de la date de départ et de la durée de chaque permissions tient compte des nécessités du service. Lorsque les circonstances l’exigent, l’autorité militaire peut rappeler les militaires en permission.
En cas de participation à des opérations militaires ou à des campagnes lointaines, le régime des permissions est fixé par le ministre de la défense ».

Des dispositions combinées de la loi n°72-662 du 13 juillet 1972 et du décret n°75-675 du 28 juillet 1975, il convient de constater que les droits à permissions, quels qu’ils soient, résultent des dispositions législatives et réglementaires.

Au vu du décret n°75-675 portant règlement de discipline générale dans les armées du 28 juillet 1975, force est de constater que, dans le cas d’opérations militaires ou de campagnes lointaines, c’est au Ministre de la Défense qu’il revient de fixer le régime des permissions, et non pas à une autorité subordonnée.

Dès lors, si le Commandant du centre de commandement de la force aérienne de projection, commandant d’une unité où a servi le requérant, l’a autorisé à prendre 16 jours de congés, à l’issue de son détachement au Gabon, ce ne peut être qu’en contrepartie d’une déduction sur ses droits annuels à permission.

Il résulte de tout ce qui précède que Monsieur ARLABOSSE ne peut invoquer aucune disposition législative ou réglementaire lui ouvrant droit au bénéfice supplémentaire d’une permission à l’occasion d’une mission particulière.

Il s’ensuit que le requérant n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision lui refusant le report des 4 jours de permissions qui ont été décomptés sur ses droits annuels et auxquels, par conséquent, il n’a plus droit.

Le moyen tiré de l’erreur de droit sera rejeté.

La solution du litige

Jugement du Tribunal administratif d’ORLEANS du 19 mai 2004,

« Considérant que pour refuser au major ARLABOSSSE le report sur l’année 2002 de quatre jours de permissions qu’il n’avait pu prendre en 2001, le ministre de la défense s’est fondé sur le motif que le requérant avait bénéficié au titre de l’année 2002, de jours de permissions dont l’octroi n’aurait pas été prévu par la réglementation en vigueur, qu’il ressort des pièces du dossier que ces jours de permissions non décomptés lui avaient été octroyés par son commandant d’unité à titre de récupération à l’issue de son détachement à Libreville du 11 février au 21 mars 2002 ; qu’à supposer que la décision d’octroi de ces jours de compensation n’ait trouvé son fondement dans aucune disposition législative ou réglementaire elle pouvait en tout état de cause légalement être prise par le commandant d’unité dans le cadre des mesures nécessaires au bon fonctionnement des services placés sous son autorité ; que M.ARLABOSSE est ainsi fondé à soutenir que la décision du ministre de la défense est entachée d’erreur de droit et doit être annulée ;

DECIDE

Article 1er : La décision du 8 octobre 2002 est annulée.

(…)

Pour avoir osé demander le respect de son droit à report de ses permissions annuelles non prises, le major ARLABOSSE a été humilié, menacé et saqué dans ses notes.

Le Tribunal vient de lui rendre sa dignité en lui reconnaissant son droit.

Nulle doute que ses supérieurs hiérarchiques désavoués dans cette affaire auront à coeur de méditer l’article 10 alinéa 2 du Statut général des militaires.

Lire également :
Décision du Tribunal administratif d’Orléans – lecture du 16 mai 2004

À lire également