Combien coûtent-elles ? Mais quoi ? Les campagnes de recrutement

En novembre 2002, dans une question écrite adressée à la ministre de la défense, Alain Marsaud, député UMP de la Haute-Vienne, demandait à cette haute autorité de lui faire connaître le coût (hors taxes et TTC) de la récente campagne publicitaire diffusée au bénéfice exclusif du recrutement de l’armée de terre, ainsi que les différents échelons concernés par les contrats adéquats.

Voici la réponse publiée au JO du 10 mars 2003 (p. 1816) :  » Les différentes actions de communication menées par l’armée de terre (salons, foires, centres commerciaux, facultés, lycées et collèges, etc.) lui ont permis de mener à bien sa professionnalisation, tout en maintenant un taux de sélection satisfaisant pour assurer un recrutement de qualité.

Les opérations de recrutement menées en 2002 sur des vecteurs de communications de masse (radio et presse écrite pour l’essentiel) ont permis d’augmenter dès avril 2002 les contacts utiles de 47 % par rapport à la dernière campagne de l’armée de terre lancée à l’automne 2001. En août 2002, les spots diffusés à la télévision ont eu un impact important sur les contacts utiles qui se sont élevés à plus de 9 000, soit une augmentation de 3 000 par rapport aux mois d’août des cinq dernières années. En septembre, l’armée de terre a retrouvé la moyenne de ses contacts utiles mensuels (12 000). La dernière campagne d’octobre 2002, menée à la fois sur les télévisions, radio, presse écrite et Internet a permis de faire monter les contacts utiles à plus de 17 000 en octobre, ce qui est exceptionnel, et de les maintenir à plus de 13 000 en novembre 2002.

La mémorisation et l’intérêt suscités par les derniers spots amènent un nombre croissant de jeunes gens à se renseigner sur les cursus professionnels proposés par l’armée de terre qui est, par le volume de ses recrutements, le premier partenaire des jeunes (18/30 ans) pour leur emploi en France.

La campagne publicitaire en vue du recrutement dans l’armée de terre est financée sur le chapitre 34.04, article 36, paragraphe 22 du budget. Le coût de création des outils publicitaires (trois spots télévision, trois spots radio et neuf visuels de presse) pour l’année 2002 s’est élevé à 678 254,37 euros hors taxes, soit 811 192,23 euros toutes taxes comprises, et les achats d’espaces publicitaires (télévision, radio et presse écrite nationales) se sont chiffrés à 2 573 195 euros hors taxes, soit 3 290 688,37 euros toutes taxes comprises.

Le directeur central du commissariat de l’armée de terre est la personne responsable du marché. Il signe les contrats avec la société titulaire du marché, les avenants éventuels ainsi que tous les ordres de service enclenchant les différentes phases du marché. La communication sur le recrutement relève de la responsabilité du sous-directeur recrutement de la direction du personnel militaire de l’armée de terre (DPMAT). A ce titre, il préside les différents comités de pilotage du marché qui sont réunis systématiquement à la fin de chaque phase d’exécution de la campagne pour étudier les résultats des opérations menées et proposer l’enclenchement de la phase suivante. Il signe également les contrats de mandat permettant l’achat d’espaces publicitaires, conformément aux dispositions de la loi n° 93-0122 du 29 janvier 1993, modifiée, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. Le suivi du marché est assuré par le chef du bureau information-communication de la DPMAT qui signe notamment les engagements de dépenses ainsi que les certifications de service.  »

Soit la bagatelle de 4 101 880 euros correspondant à 26 867 314 MF et quelques poussières. Ces totaux étant arrondis pour plus de lisibilité si l’on peut dire.

A titre simplement indicatif, revenons six ans en arrière, au 8 avril 1996, soit onze mois avant l’arrivée du big-bang militaire. Madame Evelyne Guilhem, alors députée de la Haute-Vienne, appelait l’attention du ministre de la défense sur un article intitulé  » L’armée de terre est riche, riche, riche … » publié en janvier 1996 dans La Tribune des Sous-Officiers ,  » qui fait état d’une dépense de 2,50 MF -initialement estimée à 4,30 MF- engagée par cette armée pour des spots télévisés diffusés en novembre dernier, afin de valoriser sa campagne de recrutement en cours. Alors que tous les départements ministériels doivent réduire leurs dépenses de fonctionnement et que les composantes de nos armées, notamment l’armée de terre, vont devoir repenser leur format, elle souhaite connaître s’il entend autoriser la poursuite d’une telle publicité et si, dans le cas évoqué son autorisation préalable a été sollicitée, quel en a été le coût exact (hors taxes et toutes taxes comprises), enfin le titre, le chapitre et l’article du budget ressortissant à l’armée de terre sur lesquels cette dépense a été ainsi gagée . »

La réponse de Monsieur Alain Richard, ministre de la défense à l’époque (JORF du 20 mai 1996) était reproduite ultérieurement dans ce même périodique, assortie de quelques commentaires dans un article intitulé « Le SIRPA-TERRE est riche, riche, riche… (1)  » Le ministre de la défense informe l’honorable parlementaire que la campagne de communication engagée par l’armée de terre pour des messages télévisés diffusés en novembre 1995 a été autorisée par le service d’information gouvernemental (SIG), conformément aux dispositions réglementaires. Le coût toutes taxes comprises de cette campagne s’est élevé à 4 356 100 F (3 612 023 F hors taxes). Cette dépense a été imputée sur les crédits du service d’information et de relations publiques des armées (SIRPA-TERRE) inscrits au titre III, chapitre 34-04, article 134, paragraphe 13 .

NDLR Le coût annoncé hors taxes est supérieur à celui indiqué dans l’article de la TSO. La différence entre hors taxes et TTC est la conséquence de la TVA à 20,6 % soit pour un montant de 744 076 F !… Total de cette plaisanterie télévisuelle, presque ½ milliard de NF gaspillé en esbroufe.

Mais deux questions restent sans réponse, à savoir :

si le ministre avait personnellement autorisé cette campagne de communication décidée au seul bénéfice du recrutement dans l’armée de terre (était-il même au courant ?) ? si elle sera reconduite cette année ? Ce qui serait un comble après les décisions prises par le Président de la République.

Attendre et surveiller la prochaine loi de finances pour connaître le montant du budget de fonctionnement de SIRPA-TERRE.

Cet exemple, entre beaucoup d’autres, prouve la justesse de nos desiderata : la nomination plus que nécessaire d’un délégué ministériel des personnels militaires pour mettre un frein à de tels gaspillages.  »

Si aucune comparaison fiable ne peut être établie entre ces deux époques, les prestations servies étant différentes, on rappellera toutefois que :

que de nombreuses campagnes ont eu lieu, toujours au bénéfice de l’armée de terre, « armée d’excellence » (sic !), les deux autres armées lui seraient-elles inférieures, qualitativement s’entend ? que la professionnalisation des armées a été décidée et mise en application à compter du 1er janvier 1997. Or contrairement à ce qui avait été annoncé à grand coup de média, non seulement le nouveau format des armées avec la suspension de la conscription, n’a pas fait réaliser les économies escomptées, mais paradoxalement l’addition finale est beaucoup plus lourde que prévue sans oublier de mentionner des manques d’effectifs à commencer par la BSPP (sapeurs-pompiers de Paris), la désorganisation dans certaines unités et le problème des matériels en général, obsolètes, … ou livrés en retard pour les nouveaux programmes. » Professionnalisation des armées – 15 février, la revue anglaise Jane’s Foreign Report écrit que : « En France, le coût de la professionnalisation des armées a été sous-estimé au départ et a ensuite explosé au-delà des limites traditionnelles d’un budget annuel qui n’est plus capable de répondre. Entre 1995 et 2002, la proportion du budget de l’Etat allouée à la défense est tombée de 12,3 % à 10,9 %. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que les mises en service du Rafale, du Charles-de-Gaulle, de l’A400M ou du Tigre soient toutes en retard de plus d’une décennie sur les calendriers initiaux… » (2) Tout cela n’est qu’un secret de polichinelle.

En définitive, quel est le coût total de la remise en fonction des sergents recruteurs démarchant à tous les niveaux, y compris à l’entrée des grandes surfaces : campagne vue à la télévision avec une mini-section (terre) en manoeuvre, armée de matériel pliant jusqu’au bouquet de fleurs artificielles emballé en une seconde ¾ avec la documentation… Démarche qui tenait davantage du racolage que de la sérénité qui sied à tout ce qui touche à la défense.

A mon grand regret, l’auteur de cet article stupéfaite par cette émission prise « au vol », il y a environ deux ans, n’a pas eu le réflexe de noter le jour, l’heure et la chaîne diffusant ce spectacle tout à la fois surréaliste, indécent et marrant.

Revenons à l’objectif de cet article. En effet, si on ajoute à ces coûts chiffrés au centime près, ceux non chiffrés, parce qu’inchiffrables, tels que :

les structures d’accueil (bureaux, logistique), l’ouverture des dossiers administratifs des jeunes recrutés sous CDD, (officiers, non officiers), la formation initiale et complémentaire avec éventuellement la préparation de concours… les fameuses échelles de solde (non officiers), l’usure du matériel pointu sollicité en permanence par de jeunes engagé(e)s sans cesse renouvelé(e) par tranche de cinq ans, en principe, les soldes et frais éventuels de mission (et accessoires) des personnels tous grades confondus, auxquels sont confiées les missions d’encadrement initial, et complémentaire, d’emploi et médical, le suivi « santé », là c’est un point positif… mais le hic c’est qu’actuellement la DCSSA compte aussi des trous dans ses rangs… la clôture des dossiers au moment du départ des intéressés remerciés par suite de non renouvellement de contrat décidé arbitrairement par un diktat de la haute hiérarchie, leur reconversion, leitmotiv incessant, voir leur inscription probable à l’ANPE, surtout actuellement, le versement sous certaines conditions d’allocations de chômage, le versement très aléatoire de l’indemnité de départ, attribuée aux non officiers mais entre 9 et 11 ans de service seulement, la question de l’Ircantec, conséquemment, etc.

Et enfin le coût des médailles que l’on n’oublie jamais de leur décerner au moment de quitter volontairement ou d’office l’uniforme ??? La preuve :  » Réduire les rangs des professionnels a conduit la hiérarchie militaire, bien malgré elle, à ne pas rengager -en français « ordinaire » : à licencier- des hommes que, quelque mois auparavant, on décorait pour leur courage et que l’on trouvait trop peu nombreux. Plus généralement, l’incertitude permanente pesant sur les effectifs risque de conduire à de graves dysfonctionnements : une partie des meilleurs éléments profitera de toute occasion pour quitter une carrière aussi menacée, le recrutement devenant parallèlement de plus en plus difficile « . Origine de cette citation ? L’article du CGA François Cailleteau : »Défense : la question des effectifs », paru dans la revue « Défense Nationale » en juin 1992.

Ce haut responsable militaire était alors chef du contrôle général des armées, après avoir occupé les fonctions de DFR (direction réorganisée par ses soins) dont il démissionnera assez brutalement sous André X… (Ministre de la défense de 1986 à 1988).

Il est l’un des initiateurs de la politique des carrières courtes, officialisées dès 1988, pour lui au nom de l’élitisme. Sujet sur lequel l’auteur envisage de revenir.

Sachant que les plans à long terme, dits PLT, sont étudiés conjointement par la DFR et le CGA, l’emploi des trois mots « bien malgré elle » ne manque pas d’audace !

La conclusion : elle sera empruntée à deux hommes historiques :

Napoléon à Talleyrand : « Monsieur de Talleyrand, je vous remercie »
Talleyrand à Napoléon :  » Sire, dans quel sens dois-je le comprendre ? »

Sans commentaire !

Annie Romeiro
Major (er) de l’Armée de Terre
Membre du Conseil d’Administration
De l’ADEFDROMIL

(1) Tribune des Sous-Officiers (TSO) n°135 – 3e trimestre 1996 – adresse : Limoges, 23 avenue Adrien Tarrade – tél et fax : 05.55.79.80.83
(2) L’ESSOR de la gendarmerie – n°335 – avril 2002

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