L’armée victime d’une attaque sournoise de la Cour des comptes

Le Canard enchaîné – Mercredi 11 février :

Les militaires ont tellement d’argent qu’ils ne parviennent pas à le dépenser .

Dans son dernier rapport public, la Cour des comptes égratigne la Défense sur sa professionnalisation laborieuse et plus coûteuse que prévu. En présentant ses voeux à la presse, le 14 janvier, Alliot Marie avait pourtant juré qu’il n’existait aucun problème de recrutement. Erreur : les magistrats viennent de la prendre en flagrant délit d’optimisme trompeur.

Mais pour les armées, c’est un moindre mal. Car ces mêmes magistrats ont sous le coude, depuis le 22 décembre 2003, un projet de rapport dont l’état-major prie pour qu’il ne soit jamais rendu public. Et pour cause. On y apprend que la Défense, qui ne cesse de pleurnicher pour obtenir toujours plus d’argent, n’est même pas fichue, tant elle est mal gérée, de dépenser tous ses crédits. Et cela ne devrait pas s’arranger : cette année, le budget de la Défense est en hausse de 7,1%.

En cause, les 2,5 milliards d’euros par an (soit 20% des crédits d’équipement) consacrés au « maintien en condition opérationnelle », autrement dit à l’entretien des matériels. C’est surtout l’armée de terre qui en prend pour son grade : sa gestion brouillonne est détaillée, non sans délectation, sur 93 pages.

Le résultat est pittoresque. Entre 1997 et 2002, si l’armée de terre n’a pas dépensé tous ses crédits de maintenance, c’est que les marchés sur les pièces de rechange n’ont pas été passés à temps. Ainsi, en 1997, elle disposait d’une somme de 411 millions d’euros pour son programme d’entretien des matériels : 62 millions resteront inemployés. Idem en1998 et1999. En 2002, ce sont 67 millions qui resteront en rade.

En clair, alors qu’hôpitaux, labos de recherche, collèges et lycées raclent les fonds de tiroirs, des centaines de millions d’euros n’ont pas trouvé preneur chez les militaires.

Bataille fratricide .

Au passage, les enquêteurs de la Cour lèvent un autre lièvre. En plus de son aviation légère, l’Alat (traitée à part dans le rapport), l’armée de terre – allez savoir pourquoi – entretient encore 15 avions « dont l’absence de spécificité à l’égard des missions dévolues à cette armée conduit a s’interroger sur la pertinence de leur composante aéroterrestre ». Traduction : qui profite de ces appareils ?

Le pire, pour les armées, c’est que cette offensive civile sans précédent s’inspire d’un autre rapport, daté de juin 2003, d’origine militaire, celui la classé « confidentiel défense » et qualifié par la Cour des comptes elle même de « sévère », ce méchant rapport émane du Contrôle général des armées, sorte d’inspection des finances maison. Les traîtres sont partout !

« Il faut soupçonner chaque chiffre », soulignent les contrôleurs militaires. Concernant la « disponibilité technico-opérationnelle des matériels de l’armée de terre », on se pince : la marge d ‘erreur tourne autour de 20% « Il faut que l’armée de terre se donne les moyens de piloter efficacement sa maintenance », insistent ces inquisiteurs. Sans se faire d’illusions. Conclusion de ce rapport du Contrôle général des armées : alors que la marine et l’aviation commencent à réformer leur gestion, « la voie suivie par l’armée de terre est inverse. Elle consiste à accroître les prérogatives de la Direction centrale du matériel . » Laquelle ne devrait pas faire bon accueil à ces changements « qui vont à l’opposé de ce qui constitue sa tradition ». Et la tradition, dans l’armée, c’est sacré.

Gestion à l’aveuglette . (Le Canard Enchaîné du mercredi 11 février 2004)

L’armée de terre est toujours fâchée avec les chiffres. Déjà, en juin 2002, un précédent rapport du Contrôle général constatait que nos étoilés « conduisent leur gestion sans connaître la dépense réelle ni l’évolution des avoirs financiers (…). Cela est d’autant plus surprenant que les montants en jeu sont considérables (…) : 321,36 millions d’euros » ; On ne va pas chipoter pour si peu.

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