Question parlementaire – Assemblée nationale n°3419 – « Bénéfice de campagne » et gendarmes retraités originaires des outre-mer

16ème législature

Question N° 3419
de Mme Karine Lebon (Gauche démocrate et républicaine – NUPES – Réunion )
Question écrite
Ministère interrogé > Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique
Ministère attributaire > Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Rubrique > retraites : fonctionnaires civils et militaires

Titre > « Bénéfice de campagne » et gendarmes retraités originaires des outre-mer

Question publiée au JO le : 22/11/2022 page : 5491
Réponse publiée au JO le : 17/01/2023 page : 441

Texte de la question

Mme Karine Lebon attire l’attention de M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur la situation de plusieurs dizaines de retraités de la gendarmerie originaires des outre-mer auxquels le service des retraites de l’État (SRE) oppose désormais l’argument du délai de forclusion prévu à l’article L. 55 du code des pensions pour continuer à leur refuser les bénéfices de campagne auxquels ils peuvent pourtant prétendre pour les services accomplis dans leur département d’origine. Ces retraités se retrouvent ainsi exclus d’un dispositif datant de 1924 et qui prévoit de doubler les annuités de retraite des militaires pour les périodes de service effectuées outre-mer. Cette discrimination est issue d’une interprétation erronée des textes, en particulier du nouvel article R. 14 C du code des pensions civiles et militaires modifié par un décret en Conseil d’État de 2011, lors de la réorganisation administrative de 2015 qui a désigné les services de la gendarmerie comme pilotes du centre payeur des retraites des gendarmes. En effet, entre 2011 et 2015, l’article R. 14 C modifié selon lequel les « originaires » qui accomplissent un « passage » dans leur territoire d’origine bénéficient de la bonification de campagne est strictement appliqué. De fait, le bénéfice de campagne est légalement attribué aux gendarmes originaires des outre-mer en activité, à ceux qui prennent leur retraite ainsi qu’à certains d’entre eux déjà retraités. Mais, à partir de 2015, cette bonification est remise en cause par la gendarmerie et le SRE, renouant ainsi avec une situation qui avait prévalu entre 1988 et 2011 durant laquelle déjà les originaires des outre-mer n’avaient pas eu droit à ce dispositif. Cette nouvelle période discriminatoire basée sur des notes interprétatives durera cinq années durant lesquelles les retraités concernés ne cesseront, comme ils le faisaient depuis 1988, individuellement et collectivement, de dénoncer la différence de traitement dont ils sont victimes. Ils saisiront le Conseil d’État et auront à chaque fois gain de cause, avant ou après 2015, que ce soit sous l’ancien article R. 14 du code des pensions (texte de 1924) ou le nouvel article R. 14C. Ainsi, dans un arrêt en date du 13 novembre 2013 relatif à la situation d’un militaire originaire des Antilles affecté sur son territoire de naissance entre 1983 et 1986, le Conseil d’État jugera qu’il y a « violation directe de la règle de droit » et que l’égalité de traitement est la seule règle applicable. Le SRE, qui a eu notification de cette décision, ne l’a pas appliquée. Il faut attendre 2020 pour que la situation évolue, avec la nouvelle décision rendue par le Conseil d’État suite au recours déposé par un gendarme originaire de La Réunion faisant valoir ses droits à la retraite en 2015. En février 2020, le plaignant aura lui aussi gain de cause et, en octobre 2020, la gendarmerie établira enfin une note établissant que tous les gendarmes originaires des outre-mer en activité bénéficieront de la bonification ainsi que certains jeunes retraités. Reste la situation de certains gendarmes retraités auxquels le « bénéfice de campagne » a été refusé par rapport aux dates de départ à la retraite et qui subissent toujours ce préjudice financier mais aussi moral. Un collectif de gendarmes réunionnais en activité a saisi la Défenseure des droits qui, dans une décision en date du 29 octobre 2020, mentionne que « la note interprétative 79221 du 7 novembre 2014 constitue une discrimination fondée sur l’origine et le lieu de résidence », c’est-à-dire sur des critères prohibés par la loi du 27 mars 2008. Elle demande par conséquent au service des retraites de l’État et à la gendarmerie de réparer le préjudice subi par tous les militaires qui en feront la demande. Pour seule réponse, la gendarmerie et le service des retraites de l’État opposent aux militaires retraités concernés « le délai de forclusion ». Cet argument est difficilement acceptable. Les gendarmes retraités concernés se retrouvent ainsi doublement lésés. D’abord par les interprétations erronées de la gendarmerie et du SRE contre lesquelles ils ont dû se battre des années durant et à présent par un « délai » entièrement imputable à ces mauvaises interprétations qui les ont privés de leurs droits. C’est pourquoi Mme la députée demande à M. le ministre de mettre un terme à cette discrimination que le Conseil d’État a condamnée à plusieurs reprises. Il s’agit, selon la Défenseure des droits, d’un délit pénal occulte, qui ouvre la possibilité aux retraités victimes d’intenter une action en justice même si l’application stricte du droit imposerait davantage de généraliser à ces derniers la procédure qui s’applique actuellement au cas par cas et sans restriction dans le temps. En effet, le collectif de retraités a pris connaissance de situations multiples et variées où des demandes ont été satisfaites, par simple courrier auprès du SRE, sans contentieux ni délai. Des régularisations ont même eu lieu en 2021 et ont concerné certains de leurs membres à la retraite depuis plus de 15 ans. Elle souhaite connaître sa position sur le sujet.

Texte de la réponse

L’article R. 14 C du code des pensions civiles et militaires de retraite (CPCMR) dans sa version actuelle dispose que les bénéfices de campagne sont décomptés à raison du « service accompli, soit à terre, soit à bord des bâtiments (…) « 1°) En Algérie, dans les territoires et pays d’outre-mer, Maroc et Tunisie, pour les militaires envoyés de la métropole, d’Algérie, d’un autre territoire ou pays d’outre-mer, Maroc et Tunisie. / Sont considérés à cet égard comme envoyés d’Europe les militaires français originaires d’Europe ou nés dans un territoire ou pays d’outre-mer, Maroc et Tunisie, de passage dans ces régions et n’y étant pas définitivement fixés ». Pour mémoire, jusqu’en 2011, étaient considérés comme envoyés d’Europe « les militaires français originaires d’Europe ou nés dans un territoire ou pays d’outre-mer, Maroc et Tunisie, de père et de mère tous deux Européens, de passage dans ces régions et n’y étant pas définitivement fixés ». Le décret n° 2011-1429 du 3 novembre 2011 a supprimé dans l’article R. 14 précité les mots « de père et de mère tous deux Européens ». La notion « d’originaire » a pu faire l’objet de diverses interprétations et le Conseil d’État est intervenu sur le sujet, une première fois, dans sa décision du 13 novembre 2013 (n° 349767) portant sur l’état du droit antérieur à 2011. Il y indique alors que l’article R. 14 du CPCMR a pour objet de « réserver les bénéfices de campagne aux militaires ayant accompli des services dans un territoire ou pays dont ils ne sont pas originaires ». Ainsi, si les « originaires » de métropole pouvaient toujours prétendre aux bénéfices de campagne, se posait la question de l’interprétation de la notion de « définitivement fixés » pour les « originaires » du territoire. Dans ce cadre, il a été considéré que le critère « d’installation définitive » s’appréciait sur la période comprise entre la naissance du militaire et sa date d’incorporation dans une armée ou la gendarmerie nationale. Dès lors, le militaire accomplissant des services dans son pays de naissance outre-mer, et qui y avait vécu continuellement jusqu’à son recrutement, était exclu du bénéfice de campagne, peu important qu’il ait ou non commencé sa carrière en métropole.  Le Conseil d’État, dans deux décisions du 12 février 2020 (n° 416965 et 416966) a ensuite été amené à se prononcer sur ce point particulier du début de carrière du gendarme et de son éventuel impact. Pour la haute juridiction administrative, nous citons : « il résulte des dispositions de l’article R. 14 du code des pensions civiles et militaires de retraite citées ci-dessus qu’à l’exception des militaires qui reçoivent comme première affectation opérationnelle le territoire dans lequel ils sont installés, les militaires envoyés dans un des territoires qui y est mentionné pour accomplir des services ont droit aux bénéfices de campagne, peu important qu’ils en soient originaires ou qu’à l’occasion de cette affectation, ils s’y fixent définitivement ». Le service des retraites de l’État (SRE) a tiré les conséquences de cette décision pour l’attribution des bénéfices de campagne, en neutralisant le critère du lieu de naissance et en retenant le seul critère du lieu d’installation avant l’affectation opérationnelle pour l’attribution du bénéfice de campagne.  S’agissant de la situation spécifique des gendarmes retraités auxquels le « bénéfice de campagne » a été refusé avant ce revirement jurisprudentiel, il est rappelé que les demandes de révision d’une pension doivent respecter les dispositions de l’article L. 55 du CPCMR, lesquelles prévoient que « sous réserve du b de l’article L. 43, la pension et la rente viagère d’invalidité sont définitivement acquises et ne peuvent être révisées ou supprimées à l’initiative de l’administration ou sur demande de l’intéressé que dans les conditions suivantes : À tout moment en cas d’erreur matérielle ; Dans un délai d’un an à compter de la notification de la décision de concession initiale de la pension ou de la rente viagère, en cas d’erreur de droit. (…) « . Sur l’application de l’article L. 55 du CPCMR, le Conseil d’État a eu l’occasion de rappeler dans sa décision n° 466254 du 4 octobre 2022 que « ces dispositions prévoient, dans les relations entre les pensionnés et l’administration, un droit à révision des pensions concédées dans le cas où la liquidation de celles-ci est entachée d’une erreur de droit, ouvert dans les mêmes conditions de délai aux pensionnés et à l’administration, le délai de révision ainsi prévu bénéficiant aussi bien aux pensionnés, dont les droits à pension sont définitivement acquis au terme de ce délai, qu’à l’administration qui est, postérieurement à l’expiration de ce même délai, mise à l’abri de contestations tardives. M. D… n’est, par suite, pas fondé à soutenir qu’elles méconnaîtraient le principe d’égalité devant la loi ni, en tout état de cause, le principe d’égalité devant la justice ». Dans la mesure où toute demande de révision de pension sur le fondement des deux décisions précitées s’inscrit dans le cadre de l’erreur de droit, le délai d’un an fixé par l’article L. 55 qui vient d’être rappelé peut être opposé légalement aux pensionnés le cas échéant. Et il n’est donc pas possible de traiter, de manière globale, l’ensemble des situations qui pourraient être soumises au Service des retraites de l’État. Cette position a été confirmée par plusieurs décisions du tribunal administratif de la Réunion en date du 2 août 2022 (n° 2000597, 2100855, 2101061, 2101257, 2101347, 2101388, 2101396, 2101443, 2101444 et 2101515). Le juge administratif a ainsi retenu que le délai d’un an prévu par les dispositions de l’article L. 55 du CPCMR n’est pas rouvert par la décision rendue en faveur d’un autre pensionné par le Conseil d’État statuant au contentieux dont les intéressés se sont prévalus pour demander le bénéfice de la bonification, de sorte qu’ils n’étaient pas fondés à soutenir que le SRE leur avait opposé à tort le délai d’un an du L. 55 du CPCMR pour refuser la révision de leur pension.

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