De la reconnaissance à … la réalité.

Note de l’Adefdromil

A l’approche du 14 juillet 2010 et de la publication des décrets portant promotion et nomination dans l’ordre de la Légion d’honneur et celui de l’ordre national du Mérite, l’Association de défense des droits des militaires publie l’article reçu d’un sous-officier manifestant à juste titre son mécontentement au sujet du peu de récompenses attribuées au profit des militaires qui combattent ou ont combattu en Afghanistan.

La rédaction

De la reconnaissance à…. la réalité.

L’armée française est depuis 2010 engagée en Afghanistan. Mais depuis quatre ans, un net durcissement des opérations dans ce pays se fait sentir. À ce jour 42 soldats sont morts pour la France. Les blessés se comptent par dizaines même si les chiffres sont tenus « discrets » pour ne pas dire secrets.

À chaque « coup dur » engendrant des pertes et des blessés, il est aisé de reconnaître que les hautes autorités civiles (Président de la République et Ministre de la Défense) mettent les moyens pour s’occuper des familles des décédés et suivent avec minutie les blessés qui sont aussitôt récompensés compte tenu de leurs mérites.

En revanche, pour les régiments on constate une certaine frilosité du haut commandement militaire à reconnaître les mérites des soldats qui se sont battus et qui n’ont pas été blessés. Les récompenses sont très longues à venir dans les corps, et quand elles arrivent, c’est la portion congrue.

Pour illustrer mon propos je me baserai donc sur mon expérience personnelle et sur les informations obtenues par le biais de contacts avec mes pairs dans d’autres régiments de l’armée de terre.

Pour ma part, sous-officier servant en régiment d’infanterie, j’ai eu la chance de servir deux fois en Afghanistan. Une première fois en 2006 au sein du BAT FRA, une seconde fois en 2008 au sein d’une OMLT. Au cours de ces deux missions et lors des visites des autorités militaires les différentes catégories de personnel lors de tables rondes (spécialité des chefs en tournée des popotes) ont fait savoir que le travail accompli en Afghanistan n’est pas reconnu à son juste niveau.

En effet, un fantassin se battant dans la vallée de la Kapisa est soldé de la même manière que celui qui sert 4mois au Sénégal ou en Nouvelle-Calédonie. Nos chefs répondent que la situation financière du pays et le budget dédié à la Défense étant ce qu’ils sont, il n’est pas envisageable d’augmenter les soldes du personnel se battant en Afghanistan. Reçu !

Alors, faute de perspective de voir sa solde augmenter de quelques centaines d’euros, lors des tables rondes nous proposions que les annuités pour chaque séjour en Afghanistan soient revues à la hausse comme cela a été fait pour le personnel servant dans le Golfe en 1991. De la même manière nos chefs répondent que cela n’est pas possible. Car cela ne dépend que d’une décision politique et que le contexte actuel concernant les retraites n’est absolument pas propice à une mesure de hausse de l’indice de campagne. Reçu !

Enfin, compte tenu de l’impossibilité d’augmenter les soldes ou de marquer à la hausse l’indice de campagne il était demandé de faire un effort sur l’attribution des récompenses.

Le grand responsable de l’attribution des récompenses (je parle des décorations) dépend de la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur, organisme géré par des militaires.

Je serai plus incisif sur ce sujet, car de part mes fonctions de sous-officier en OMLT en 2006 et 2008, comme beaucoup de fantassins j’ai connu le combat à de nombreuses reprises, la vue du sang, la peur et le stress. En revanche à ce jour aucune récompense n’est venue récompenser ni moi ni les tireurs de mon groupe C20.

Dans mon régiment, certains blessés de 2006 on été récompensés plutôt rapidement. Les quelques autres ont été décorés en 2008. Mais pas à la hauteur des demandes faites par le chef de corps.

Pour ceux de l’OMLT 2008, à ce jour, aucune récompense n’est encore arrivée au régiment !

Quand le personnel à la revue de la garde demande des explications au chef de corps, celui-ci répond que la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur fait ce qu’elle veut.

Quand on demande pourquoi il faut plus de deux ans pour voir arriver les récompenses, il est répondu que la Grande Chancellerie examine minutieusement les demandes.

Quand on demande pourquoi au sein d’une section, un groupe qui par son appui a permis à un autre de sortir d’un mauvais pas et à infligé des pertes à l’ennemi, seul deux personnels sont décorés, il est répondu qu’on ne peut décorer tout le monde. Mais alors pourquoi des militaires qui n’ont jamais tiré un coup de feu arrivent à se voir remettre l’ordre du mérite ou la Légion d’honneur ? Il est répondu que cela n’a aucun rapport.

Quand on demande pourquoi tel personnel ayant fait l’objet d’une demande de citation se voit attribuer la médaille de la défense nationale pompeusement attribuée du niveau « Brigade » il est répondu que la demande devait être mal formulée ou que le combattant n’était pas « vraiment » en danger !

On peut toutefois comprendre que le chef engagé sur le terrain n’ait pas tout le loisir de rédiger bien comme il convient à la Grande Chancellerie les demandes de récompense.

J’aimerai qu’on nous explique comment ces messieurs de la Grande Chancellerie peuvent se permettre d’interpréter ou modifier à la baisse les demandes faites par les chefs commandant sur le terrain.

Comment se fait il que les délais soient si longs ? Comment se fait-il que les soldats du « front » Afghan soient décorés au même niveau que ceux de l’arrière en recevant des médailles de la défense nationale ?

En 1991, les soldats du Golfe avaient été autrement récompensés par leurs chefs !

Une petite enquête menée auprès des paras du 8° RPIMA confirmera que très peu ont été décorés (hormis ceux d’Uzbin, qui ont été récompensés aussitôt par le président ou le ministre de la défense). Même chose pour le 27ème Bataillon de Chasseurs Alpins qui a relevé le 8° RPIMA en décembre 2008 et je ne parle pas du 3° RIMA rentré récemment.

Conscient que mon coup de gueule a peu de chance de faire changer les choses, j’ai pris le parti de n’être plus volontaire pour partir en Afghanistan. Une médaille de la défense nationale, quel que soit son niveau, non merci !!!

Souhaitons que le président de la République et le ministre de la défense passent plus souvent dans les régiments… Les récompenses seront là.

UN SOUS-OFFICIER  DECU PAR SES CHEFS

Cet article a 2 commentaires

  1. Domisoldo Diez

    Oui depuis 2001, presque dix années, la France est engagée militairement en Afghanistan.

    A l’article de notre camarade intitulé « De la reconnaissance à… la réalité » ci-dessus, quelques précisions d’ordre administratif, financier et historique me paraissent utiles.

    1. – La solde.

    Depuis 1997, nos troupes non affectées (c’est-à-dire n’ayant pas d’ordre de mutation) à l’étranger sont au régime de la solde OPEX. C’est ainsi.
    L’Adefdromil s’est régulièrement exprimée pour dénoncer cette spécificité militaire à la baisse.

    2. – Les bonifications de service (campagne double).

    Lors du premier conflit du Golfe, nos troupes ont eu droit, après un long combat des associations, à… trois jours de campagne double, soit la durée de l’offensive alliée en direction du Koweit.
    Pour mémoire, en 1939-1940, la campagne double n’a été ouverte qu’à compter du 10 mai 1940, jour de l’offensive allemande, jusqu’au malencontreux jour de juin ou un gouvernement se disant français a cru devoir signer un armistice.

    3. – La couverture du conjoint et des enfants survivants.

    Elle existe.
    Néanmoins, une assurance-vie « qui fonctionne » dans ce genre de situation non juridiquement qualifiée demeure indispensable.
    Il en existe deux, l’AGPM et le GMPA.
    Rappelons-nous que c’est le contrôleur général des armées Lachenaud qui est à l’origine de la création de l’AGPM, effaré qu’il a été en constatant l’insuffisance de la couverture des familles de nos morts en Indochine.
    Quant au GMPA, au départ c’est une affaire d’aviateurs, à une époque où non seulement les conflits, mais également la mécanique et la météo, étaient peu sûrs.

    4. – Les citations et décorations.

    Eternel sujet.

    Il convient de comparer ce qui est comparable en bonne langue de bois.
    Ainsi, le « maintien de l’ordre », les « opérations de police » et la « pacification » en Algérie.
    Les associations ont lutté pendant quarante ans pour que les soldats français acteurs de ce conflit se voient reconnaître la qualité de combattants.

    Qualificatif dont ont ainsi bénéficié dans la foulée, depuis 1995, les soldats engagés dans les « opérations de maintien de la paix », avec un titre de reconnaissance de la Nation ouvrant droit à cotiser pour une retraite mutualiste du combattant, certes modeste, mais abondée par l’Etat et défiscalisée.

    Quant à l’attribution de citations, avec ou sans croix, dans ce dernier cas et depuis peu avec « médaille de la défense nationale bis », la grande chancellerie n’y est pas pour grand chose.
    Pour l’abondance (premier conflit du Golfe) et l’éventuelle parcimonie (l’article ci-dessus), il convient d’en référer au Commandement.

    Pour conclure, il faut rappeler que la grande chancellerie ne gère que la médaille militaire et les deux ordres nationaux, la Légion d’honneur et le Mérite étant de plus contingentés par ministère.

  2. Gérard D

    Il a raison sur le fond, et je souscris à 100 %.

    Toutefois, il ne doit pas faire de distinguo et/ou stigmatiser ce qu’il appel l’arrière. Il a raison de demander le bénéfice de la campagne double. Il à tort de demander une solde supérieur, non pas qu’elle ne serait pas mérité, au contraire, mais cela donnerait l’idée aux politiques d’user du principe des vases communicants, plus à l’un et moins à l ‘autre, ce qui serait profondément inéquitable. En effet, nous ne choisissons pas nos Opex et certains, moi le premier, ont été empêchés de partir en Afghanistan.

    En revanche, il est juste de dire que les VM devraient être plus nombreuses et plus rapidement octroyées. Mais, ce n’est pas le fait de tirer un coup de feu qui fait le soldat et ceux qui n’ont jamais tirés un coup de feu ne sont pas moins méritants que les autres. Nous sommes tous interdépendants. Quant à dire que ceux du « front » Afghan sont décorés au même niveau que ceux de l’arrière c’est, à mon sens, tenter de créer une caste parmi nous. Ceux qui ont fait par opposition à ceux qui n’ont pas fait l’Afghanistan. Aujourd’hui nous, les missions extérieures dites de la 4ème génération du feu, souffrons de la pugnacité de ceux d’AFN (d’une certaine frange bien connus du monde combattant) qui considèrent que seule LEUR guerre était dure (alors que comparée à la 1ère et la 2ème guerre c’était une Opex, comme l’Afghanistan) et nous mettent des bâtons dans les roues chaque fois qu’ils le peuvent pour ralentir l’égalité de traitement que nous demandons. Encore une fois nous ne choisissons pas nos Opex.

    Ces réserves faites. Evidemment, je le répète, sur le fond il a entièrement raison. Mais nous devons être solidaire les uns les autres et parler tous d’une même voix. Car nous avons une chance inouï, nous sommes les seuls à pouvoir, aujourd’hui encore, servir notre pays, notre drapeau, notre patrie.

    A nous, tous, en qualité de citoyen, apte à voter, de faire savoir aux politiques que nous prendrons en compte leurs activités à notre profit au moment de mettre notre bulletin dans l’urne et que nous n’hésiterons pas à faire en sorte qu’ils ne soient pas réélus si nous estimons qu’ils nous ont ignorés……. Ce langage ils le comprennent, même à mots cachés…… là, est notre combat pour obtenir justice….

    Et c’est un vieux fantassin qui parle.

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