Réfugiés vulnérables: le Comité contre la torture suspend un renvoi vers l’Italie

Le Comité contre la torture (CAT) de l’ONU a pris une décision historique. Le 3 août 2018, il a en effet demandé à la Suisse de suspendre le renvoi vers l’Italie d’un Erythréen victime de torture dans son pays d’origine. L’accès aux soins ne lui étant pas garanti, un renvoi dans le cadre du règlement Dublin constituerait un traitement inhumain et dégradant et donc une violation de la Convention des Nations Unies contre la torture (CAT).

Le cas de A.N.

Le plaignant, A. N., est érythréen. En septembre 2015, il a déposé une demande d’asile en Suisse. Il a été emprisonné dans son pays d’origine pendant 5 ans, en partie à l’isolement, et a été interrogé et torturé à de multiples reprises. En raison de ces traitements, il est resté gravement traumatisé et son état requiert un suivi médical. Les rapports médicaux des Hôpitaux universitaires de Genève ont confirmé qu’A. N. souffrait de graves limitations physiques résultant de la torture à laquelle il a été soumis.

Clarifications manquantes de la part des autorités suisses

Bien qu’A. N. ait reçu une assistance médicale en Suisse, les autorités suisses n’ont pas tenu compte de ses besoins médicaux lorsqu’elles ont pris la décision de l’expulser vers l’Italie en vertu du règlement Dublin. Aucune enquête individuelle n’a été menée pour s’assurer qu’A.N. ait accès à un traitement médical approprié en Italie. Au lieu de cela, le Secrétariat d’Etat à la Migration SEM a ordonné son renvoi. Le Tribunal administratif fédéral a soutenu cette décision à deux reprises.

Plainte auprès du Comité contre la torture de l’ONU

A la suite de cela, le CSDM (Centre Suisse pour la défense des droits des migrants) a déposé une plainte auprès du Comité contre la torture des Nations Unies. Il a fait valoir que le renvoi violerait le droit à la réadaptation (art. 14 de la Convention contre la torture) étant donnée qu’A.N. s’était vu refuser l’accès à un traitement médical spécialisé en Italie. Le Comité a donc considéré le renvoi comme étant inhumain et violant les articles 3 et 16 de la CAT.

Violation potentielle du principe de non-refoulement

Dans ses conclusions du 3 août 2018, le Comité note que les autorités suisses auraient dû enquêter sur les conséquences possibles d’un renvoi forcé. En effet, il existait un risque important qu’A.N. se voie refuser l’accès aux soins médicaux nécessaires en Italie. De plus, ce renvoi l’aurait séparé de son frère vivant en Suisse. Cela aurait entraîné la perte de l’environnement stabilisateur qui est essentiel au traitement du syndrome de stress post-traumatique existant. Le Comité a donc conclu que le renvoi constituerait une violation des articles 3, 14 et 16 de la Convention contre la torture et a invité la Suisse à examiner la demande d’asile d’A. N. en tant que telle.

Commentaire

La décision du Comité indique clairement que le règlement Dublin doit être appliqué dans le respect des droits humains, confirmant ainsi une exigence de longue date de la société civile suisse. Elle avait notamment lancé en 2017 une campagne contre une application aveugle du règlement Dublin qui avait rencontré un écho fort.

Aujourd’hui, le cas d’A.N. montre de façon exemplaire qu’en cas de problèmes médicaux graves, un examen individuel visant à établir le caractère raisonnable du renvoi est indispensable, y compris dans le cadre de la procédure d’application du règlement Dublin. L’expulsion de personnes vulnérables peut constituer un traitement inhumain, d’où la nécessité d’appliquer le principe de non-refoulement.

Les décisions du CAT ne sont pas juridiquement contraignantes mais font figure d’autorité. En ratifiant librement la Convention contre la torture, la Suisse a volontairement accepté la compétence du Comité pour la procédure de plaintes individuelles. Les autorités suisses sont désormais tenues d’examiner toutes les procédures en cours à la lumière de ses conclusions et, si nécessaire, de renoncer au renvoi.

Sources

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