Le Président de la République est-il toujours bien informé ?

Servir au sein d’une formation multinationale est souvent une riche expérience pour un militaire : à l’Etat-Major du Corps Européen de Strasbourg, c’est une mise à l’écart, une sorte de brimade linguistique, un abattement journalier, une perte d’identité nationale pour les Officiers comme pour les Sous-Officiers français, les EVAT et les personnels civils de la Défense. D’ailleurs, le nombre des candidats au départ y est éloquent. Conjugué avec celui des refus d’affectation au QGCE de Strasbourg, le tableau est révélateur d’un grave malaise que l’EMAT semble mésestimer.

Plusieurs raisons à cela : d’abord, il y a la multinationalité dans laquelle la France, nation hôte, fait figure de parent pauvre corvéable à merci. Les missions que les autres nations ne souhaitent pas accomplir pour des considérations purement nationales, statutaires voire syndicales, sont confiées aux militaires français. Il en est ainsi depuis la création du Corps Européen de Strasbourg. Le militaire français, souvent par naïveté, est devenu peu à peu l’homme des tâches ingrates et des remplacements au pied levé, celui qui gère les insuffisances reprochées à la nation hôte. Cette annonce n’est une nouvelle pour personne et sûrement pas pour la Direction du Personnel Militaire de l’Armée de Terre en tout cas. Cette situation dommageable est connue de l’administration centrale parisienne qui se maintient toujours à distance respectable des insuffisances soulevées dans les rapports inquiets qui lui parviennent par la voie officielle : celle du commandement multinational Strasbourgeois. Rien n’y fait, les inégalités côtoient les injustices, les inepties, et ceci perdure sous une chape de plomb, l’omerta. Les réponses adressées aux inquiétudes majeures sont éloquentes : « … ces questions de fond dépassent les attributions du général CEMAT voire celles du ministre de la défense… », à titre d’exemple.

Ensuite, il y a l’organisation même de l’EMCE. Peu s’y retrouvent concrètement. La complexité hiérarchique domine à tous les échelons. Les triples subordinations président. Les difficultés budgétaires sur lesquelles les cinq nations ne parviennent que très rarement à se mettre d’accord restent présentes et la France paye de nombreuses avances pour progresser. Les procédures de financement sont chaotiques, longues et impénétrables tant les règles d’administration multinationales sont indigestes. Les problèmes d’infrastructure et d’hébergement sont insolubles tant ils sont étalés dans le temps : pensez que les militaires du rang engagés volontaires ne bénéficieront de chambres conformes qu’en 2006, dans le meilleur des cas, alors que le provisoire dure depuis près de 10 ans… est-ce bien raisonnable pour cette « vitrine » de la volonté européenne de Défense ? En fait, les moyens alloués ne sont pas ceux du discours officiel, loin s’en faut. Les financements multinationaux manquent, le matériel informatique est trop souvent obsolète et la volonté des soldats s’estompe peu à peu, surtout celle des français qui ne se sentent plus aidés ni même soutenus dans leur difficile position de membres de la nation hôte, souvent décriée.

Enfin, le problème linguistique : vaste sujet… Pour illustrer ce qu’est l’EMCE de Strasbourg ou bien l’EUROCORPS voire l’EUROKORPS, le QGCE, le NATO Rapid Deployable Corps, le HRF HQ etc., tout ceci correspond un peu à la même entité vous l’aviez sans doute deviné… Il vous faut tout d’abord intégrer que dans cet Etat Major se trouvent rassemblés des militaires allemands et français, des belges francophones ou néerlandophones, des luxembourgeois, des espagnols, répartis dans un « esprit multinational » au sein de cellules, bureaux, services ou unités, dispersés sur quatre sites géographiques distincts dans Strasbourg. Initialement, lors de la création de l’EUROCORPS, les deux langues de travail officiellement retenues étaient le français et l’allemand. Sachant que celles ci n’étaient que ponctuellement employées par le personnel espagnol parfois en difficulté linguistique, à l’exception de quelques francophones/germanophones, les choses n’allaient pas si mal, chacun faisant pour le mieux, (les militaires français d’origine alsacienne tirant leur épingle du jeu comme à la Brigade Franco-Allemande). Depuis sa récente restructuration au format OTAN, le nouveau commandant de cet EM, un lieutenant général allemand (succédant lui même à un général espagnol, précédé d’un belge, lui même d’un français et au tout début d’un allemand, premier commandant de l’EMCE), a reçu pour directive de SHAPE, en Belgique, de ne faire parler, lire et écrire QUE l’anglais à Strasbourg, en opérationnel comme en langage courant : le langage de tous les jours, celui de toutes les réunions, de toutes les conversations, de toutes les notes de service, de tous les documents (consignes de sécurité pour la garde, la permanence,…) de tous les commandements, y compris ceux au pas de tir ! Imaginez une minute le stress psychologique et le niveau d’incompétence qu’un tel ordre procure à ceux qui maîtrisent mal la langue de Shakespeare, parlée lue et écrite, c’est-à-dire une grande majorité pour être honnête. Avec cette décision aussi inattendue que destabilisatrice, le moral est au plus bas, en particulier celui des militaires du rang en difficulté, chacun le comprendra. Rien ne semble tirer ce moral vers le haut dans un proche avenir et surtout pas les différentes visites d’inspection françaises qui se sont succédées depuis 2002. Les réponses de l’administration centrale aux questions soulevées sont unanimes. Organisez vous ! Faites pour le mieux ! Suivez des cours pendant que nous menons des études… quelques-unes de plus diront certains observateurs attentifs. Bref : « Aide-toi et le ciel t’aidera ! », vaste programme lancé par l’EMAT ou les « croyants non-pratiquants » sont nombreux.

A l’ADEFDROMIL, nous pensons une fois encore que les lois de la République doivent s’appliquer partout, y compris à Strasbourg, base d’un Etat-Major multinational européen, en particulier :

la loi identifiée sous le N° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française sur le territoire national (en dehors de toute crise ou exercice nécessitant des dispositions particulières ponctuelles, dûment motivées) ; la décision N° 94-345 du conseil constitutionnel du 29 juillet 1994 ; la circulaire du 19 mars 1996 relative à l’emploi de la langue française ; l’arrêté du 25 juin 2001 portant renouvellement de l’agrément d’associations de défense de la langue française.

La pratique désormais permanente de la langue anglaise par des militaires français stationnés sur le territoire de la République Française, sur ordre d’un Officier Général allemand (manifestement en conflit avec la directive N°2 en date du 14 novembre 1994 émanant du COMITE COMMUN fixant les seules langues françaises et allemandes aux militaires affectés à l’EUROCORPS), est un fait sans précédent dans notre pays. Pourtant, la circulaire du Premier ministre relative à l’emploi de la langue française (BOC/PP – 28 avril 2003 N°18 page 3173) est un cinglant rappel à l’ordre. Son non-respect nous conduit à l’interrogation suivante : Le chef de l’Etat, chef des armées, est-il bien informé sur cette situation hautement préjudiciable, à plusieurs titres ?

En attendant que cette question parvienne à la Présidence de la République – directement ou par la voie parlementaire – une prise en compte financière doit être envisagée comme le suggère la représentation française de cet Etat-Major, sous forme d’une prime linguistique. Il est légitime que nos militaires affectés au NATO RAPID DEPLOYABLE CORPS de Strasbourg disposent d’une contre-partie significative aux suggestions spécifiques qui leur sont imposées. Une prime de langue étrangère existe déjà pour les militaires non officiers des brigades de gendarmerie frontière. Pourquoi ne pas s’inspirer de ce précédent ?

Ne serait-ce pas là une forme d’équité au sein de la Défense nationale ?

L’ADEFDROMIL restera attentive sur ce sujet, suppléant ainsi le mutisme contraint des instances officielles de concertation.

La Rédaction

NB : le Français est la deuxième langue officielle de l’OTAN

Lire également :
Circulaire du 14 février 2003 relative à l’emploi de la langue française

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